aleppo
Fumée au dessus d'Alep pour bloquer la visibilité
On aimerait tant parler du passage des cols, du grand cinéma de Locarno, des intenses débats d'Ascona sur l'Europe. Mais voilà qu'un mail surgit.

Ami de longue date, Claude Zerez, réfugié syrien en France, lance une alarme. Il s'évertue à garder le contact avec les chrétiens restés sur place. Sa ville, Alep, est divisée depuis des années en quartiers, les uns sous contrôle islamiste, les autres encore sous l'autorité du gouvernement laïque. Une guerre effroyable s'y éternise, nourrie par des puissances extérieures, embrouillée par tant de doubles ou triples jeux diplomatiques.

Ces derniers mois, la partie contrôlée par les djihadistes, non seulement ceux de l'Etat islamique mais par les alliés de l'Arabie saoudite, s'est trouvée assiégée, la route d'où ils recevaient leurs armes était coupée. Les médias ont rapporté l'horreur jour après jour: population affamée, hôpitaux démolis, chaos dans les ruines.

Or, le conflit bascule. Sans gros titres. Sans images à la télévision. Une simple lettre...

«L'armée syrienne avait, la semaine dernière, gagné une bataille en libérant le quartier de Bani Zeid qui surplombe la ville et d'où les rebelles-terroristes lançaient leurs mortiers et fusées sur les quartiers civils d'Alep depuis quatre ans. Et on nous promettait la libération prochaine des autres quartiers d'Alep occupés par les rebelles.

Hélas, les combats qui faisaient rage depuis trois jours autour de la seule route qui relie Alep au reste du monde dans la région de Ramoussé ont permis aux terroristes de prendre la route et de la couper.


Cette route, percée fin 2013, est notre cordon ombilical; elle relie Alep à Homs et au reste du pays et du monde. Par elle passe tout le ravitaillement de produits et d'aliments d'Alep. C'est elle qu'empruntaient les Alépins pour quitter ou revenir en ville. Depuis jeudi soir, le ravitaillement d'Alep est arrêté. La pénurie s'est installée. Il n'y a plus d'essence, de fioul, de produits frais (fruits, légumes et viande), le pain est devenu rare. Et les Alépins sont très inquiets pour leur avenir immédiat.

Est-ce que les gouvernements occidentaux vont protester, s'indigner, menacer, présenter une résolution au Conseil de sécurité pour demander la levée du blocus d'Alep(-Ouest), qui compte 1 500 000 habitants, comme ils l'avaient fait il y a dix jours quand l'armée syrienne encerclait Alep-Est prétextant la survie des 250 000 habitants de cette région?

Où sont maintenant les protestations de nos amis qui, tombant dans le piège du politiquement correct, demandaient, il y a dix jours, la levée de l'encerclement des rebelles pour des raisons humanitaires?

Déjà, l'eau et l'électricité étaient coupées depuis longtemps. L'électricité, on l'achetait des générateurs privés, et l'eau, on la puisait de centaines de puits forés dans les deux dernières années. Les générateurs privés et les pompes des puits d'eau ont besoin de fioul, et s'il n'y a plus de fioul, il n'y aura plus d'eau. Avec 40 degrés à l'ombre...

Un million cinq cent mille personnes sans eau, je me demande s'il faut le qualifier de crime de guerre ou de crime contre l'humanité!»


Or, que lit-on? Des journaux comme Le Monde, Le Temps, la NZZ ont largement décrit, à raison, les souffrances des populations sous contrôle islamiste en butte aux attaques gouvernementales. Mais après le succès des assaillants, quasiment pas un mot sur l'asphyxie de la plus grande partie d'Alep, celle où s'entassent les minorités chrétiennes et autres, où les femmes vont cheveux au vent, où l'on tremble à l'idée de tomber sous le joug djihadiste.

Il faut dire que les rebelles disposent d'un puissant système d'information relayé par l'Arabie saoudite, la Grande-Bretagne (où siège une officine spécialisée) et les Etats-Unis. La voix de l'Etat syrien (toujours désigné sous le terme «régime de Bachar») est discréditée, ainsi que celle des Russes qui l'appuient. La guerre est aussi celle des mots.

Faut-il répéter qu'il n'y a plus de rebelles «modérés» au front? Les opposants démocratiques à la dictature n'ont aucune force miliaire et sont pour la plupart en exil. Ceux qui s'acharnent contre ce qu'il reste de l'Etat laïque appartiennent tous, avec leurs étiquettes changeantes, aux mouvances islamistes antichiites, antichrétiennes, antioccidentales. Ménagées si ce n'est soutenues par l'Occident! Il se tait devant le martyre de ceux qui lui sont les plus proches.

Chrétiens d'Alep, pardonnez-nous.

Jacques Pilet
Jacques Pilet