Antoine de Saint-Exupéry, mort le 31 juillet 1944 alors qu'il effectuait un vol de reconnaissance photographique des côtes françaises, n'a cessé d'exprimer, dans ses œuvres, son tourment de voir l'homme vivre trop souvent en-dessous de lui-même, en-dessous de sa véritable humanité.

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© GoogleAntoine de Saint-Exupéry ( 1900 - 1944 )
« Aujourd'hui [...] je suis triste pour ma génération qui est vide de toute substance humaine. Qui, n'ayant connu que le bar, les mathématiques et les Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd'hui dans une action strictement grégaire qui n'a plus aucune couleur. » [1]

70 ans après sa mort (31 juillet 1944), le douloureux constat d'Antoine de Saint-Exupéry sur la culture de son époque conserve une actualité criante. Il est en fait, une invitation à partager ce regard si passionné et si profond de l'auteur du Petit Prince sur l'homme d'aujourd'hui.

Dans son œuvre, ce dernier n'a eu de cesse de dénoncer une culture qui aliène l'homme, qui l'interdit d'être lui-même, en résumé, qui le prive de son essentiel : sa propre humanité. Ainsi, les fonctionnaires de l'aéroport de Toulouse enfermés dans leur « sécurité bourgeoise et leur routine » qui ont tout fait pour « oublier leur condition d'homme ».

C'est
« l'homme robot, l'homme termite, l'homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau, à la belote. L'homme châtré de tout son pouvoir créateur et qui ne sait même plus, du fond de son village, créer une danse ni une chanson. L'homme que l'on alimente en culture de confection, en culture standard comme on alimente les bœufs en foin » [2]
.
Ainsi, l'enfant de ces réfugiés polonais miséreux, que Saint-Exupéry découvre dans un train en troisième classe.
« Voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de la vie », se dit-il au premier regard. Mais sa méditation conclura : « Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés-concerts. Mozart est condamné... » [3]
L'homme est condamné par notre culture à être ce maillon de la chaîne, cette pièce de l'engrenage, à ne pas être... Ce n'est pas d'abord une vision pessimiste mais un regard profond qui cherche passionnément l'essentiel, qui veut atteindre la racine des maux. Le problème n'est pas d'abord la guerre, la misère, l'injustice sociale. Le problème c'est qu'il n'y a plus d'homme. Ou plus exactement qu'il n'est plus permis à l'homme de devenir lui-même, que ce dernier n'est plus considéré comme tel.

Le regard de Saint-Exupéry pointe du doigt la vraie difficulté et la vraie souffrance : l'absence d'être.
« Ce qui me tourmente, ce n'est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s'installe aussi bien que dans la paresse. [...] Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C'est un peu, dans chacun des hommes, Mozart assassiné. » [4]
Face à ce constat dramatique, quel chemin propose notre auteur ? Ce fut la recherche de toute sa vie. Elle transparaît tout particulièrement dans son dernier livre inachevé, Citadelle, où l'on retrouve de multiples méditations sur le sens de l'art, de l'amitié, sur Dieu.

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Dans sa lettre au Général « X » écrite quelques mois avant sa mort, ces thèmes apparaissent avec une ferveur particulière
. « Ah ! Général, il n'y a qu'un problème, un seul de par le monde. Rendre aux hommes une signification spirituelle, des inquiétudes spirituelles. Faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. Si j'avais la foi, il est bien certain que, passé cette époque de « job nécessaire et ingrat », je ne supporterais plus que Solesmes. On ne peut plus vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous ! On ne peut plus. On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. » [5]
La vraie réponse au « Mozart assassiné en chacun des hommes » ne se révèle-t-elle pas finalement dans l'espérance de cette magnifique dernière phrase de Terre des hommes : « Seul l'Esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'Homme. » [6]

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