Dans les grandes mesures qui n'ont été rapportées que brièvement par la presse de l'establishment, le président Obama a donné une nouvelle portée au Joint Special Operations Command (JSOC), le Commandement des opérations spéciales interarmées du Pentagone, l'autorisant dorénavant à mener des assassinats partout dans le monde.
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© The Salt Lake TribuneObama at APEC press conference.
Les unités du JSOC sont depuis longtemps employées par les chefs des six grands commandements militaires régionaux, tels que le Centcom qui couvre le Moyen-Orient et l'Asie centrale, pour mener des opérations antiterroristes. C'est l'une de ces unités, le Seal Team Six, qui a mené à bien l'assassinat d'Oussama ben Laden, le chef d'Al-Qaïda en mai 2011.

Obama a approuvé une proposition de donner au JSOC l'autorité de fonctionner en autonomie en dehors des commandements régionaux, essentiellement comme une force d'assassinat mondialisée. Les unités du JSOC ne relèveront donc plus des commandants régionaux, mais directement du Special Operations Command (SOCOM), le Commandement des opérations spéciales siégeant au Pentagone.

Selon le Washington Post, «Des missions pourraient être menées bien au-delà des champs de bataille de l'Irak, de la Syrie et de la Libye, où le Commandement des opérations spéciales interarmées (JSOC) a déjà effectué des opérations clandestines dans le passé. Une fois opérationnel, le JSOC passera d'un outil de frappe utile et très apprécié des commandements militaires régionaux à une nouvelle force de renseignement et d'intervention multi-agences.»

Le mandat de la nouvelle formation, qui sera appelée la «Counter-External Operations Task Force» (Force opérationnelle de contre-opérations extérieures), ou Ex-Ops dans le jargon du Pentagone, embrassera toute la planète. Les escadrons de la mort américains pourront dont être déployés pratiquement n'importe où, des villes européennes aux jungles sud-américaines, en passant par les États-Unis mêmes.

Selon le Post, l'idée d'une réorganisation pour réunir les opérations de lutte contre le terrorisme sous un commandement mondial indépendant fait l'objet de discussions au Pentagone depuis 15 ans, essentiellement depuis les attentats terroristes du 11 septembre, mais elle a toujours été rejetée avec comme motif qu'elle causerait des frictions avec les commandants régionaux et créerait de la redondance dans les structures de commandement.

Le journal n'a pas abordé la question de savoir pourquoi maintenant, une décennie et demie plus tard, l'administration Obama a décidé d'aller de l'avant avec cette nouvelle initiative mondiale de lutte contre le terrorisme. Cette décision est probablement, à tout le moins en partie, une réaction à la débâcle des États-Unis dans leur «guerre contre le terrorisme» du point de vue des objectifs mondiaux de l'impérialisme américain.

Les guerres menées par les États-Unis en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, et les frappes de drones répétées dans d'autres pays, y compris au Pakistan, au Yémen et en Somalie, ont infligé des niveaux catastrophiques de mort et de destruction, mais elles ne sont pas parvenues à imposer le contrôle hégémonique espéré par les États-Unis sur la région et ses vastes ressources énergétiques. La décision d'Obama représente une volonté d'escalader la violence militaire américaine en Asie centrale, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au-delà.

Une autre considération probable est la possibilité que les offensives militaires en cours contre les territoires de l'État islamique d'Irak et du Levant, et en particulier le siège de Mossoul, puissent motiver des milliers de militants de l'État islamique à recourir à des attaques terroristes en dehors du Moyen-Orient.

Le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, s'est rendu à Paris le mois dernier avec le commandant du SOCOM, Raymond Thomas, pour s'entretenir avec des responsables de la sécurité de plusieurs pays européens. Un sujet majeur de leurs discussions a été l'impact sur l'Europe d'un affaiblissement soudain de la position militaire de l'État islamique en Irak et en Syrie. Carter a déclaré à ses homologues européens que le JSOC «a été mis à la tête» des opérations pour contrer les opérations extérieures de l'État islamique, ce qui constitue la première mention d'une réorganisation imminente du Pentagone.

Le rapport du Post cherche à présenter cette réorganisation approuvée par Obama comme un effort pour fixer des limites aux opérations des forces spéciales de la prochaine administration Trump, avec notamment la nécessité de «l'approbation par plusieurs agences avant de mener toute frappe de drone et d'une "quasi-certitude" d'aucune perte civile». Mais ces restrictions sont uniquement à des fins esthétiques et n'ont pas empêché l'exécution de masse de civils dans le cadre de la guerre menée par des drones lance-missiles.

De plus, Trump n'est lié en aucune façon aux ordres exécutifs émis par Obama. Le président élu fascisant a déjà manifesté ses intentions en ce qui concerne les opérations des forces spéciales américaines. Il a promis d'ordonner le meurtre des femmes et des enfants de combattants suspectés de l'État islamique, un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève.

Les derniers ordres de la Maison-Blanche facilitent ces intentions homicides. Il y a moins d'un mois, Obama faisait campagne contre l'élection de Trump, le dénonçant comme inapte à être le commandant en chef et une menace pour le monde. Maintenant, comme le rapporte le magazine Foreign Policy, Obama va «remettre des outils à la prochaine équipe Trump pour mener une guerre comme aucun président n'a jamais détenu auparavant».

Dans un théâtre en particulier des opérations antiterroristes américaines, en Somalie, Obama a pris des mesures supplémentaires pour intensifier le carnage en déclarant que le groupe islamiste al-Shabab était un belligérant dans le conflit armé autorisé par le Congrès américain en 2001 après les attentats du 11 septembre.

La manœuvre légale, rapportée lundi par le New York Times, démontre la portée infiniment élastique de la «guerre contre le terrorisme» déclarée par les États-Unis. La Authorization for the Use of Military Force (AUMF), (Autorisation pour l'utilisation de la force militaire), adoptée par le Congrès le 14 septembre 2001, approuvait l'exécution d'une action militaire contre Al-Qaïda et ses forces associées, c'est-à-dire le régime des talibans en Afghanistan.

L'AUMF de 2001 a été interprétée par les administrations Bush et Obama comme une autorisation générale de mener des actions militaires partout où le président prétend trouver une connexion à Al-Qaïda, peu importe combien mince celle-ci peut-être. Al-Shabab n'a été fondée qu'en 2007, six ans après les attaques du 11 septembre, et en réponse à l'invasion de la Somalie par les troupes éthiopiennes. Elle n'a jamais effectué d'opérations en dehors de l'Afrique de l'Est.

Le Times fait remarquer que la décision de la Somalie faisait partie d'une série d'actions d'Obama visant à élargir l'autorité militaire, notamment en élargissant la portée des frappes aériennes en Afghanistan et en approuvant les frappes aériennes contre Syrte, la ville libyenne détenue par les partisans de l'État islamique. Plus de 400 frappes aériennes ont suivi, réduisant en décombres une ville déjà dévastée par cinq années de guerre civile à la suite de la campagne de bombardement menée par les États-Unis et l'OTAN en 2011.

Les préparatifs visant à renforcer la base pseudo-juridique de la guerre en Somalie ont sans doute commencé bien avant les élections, alors qu'Obama s'attendait à confier l'autorité à l'ancienne secrétaire d'État Hillary Clinton. Mais ces préparatifs ont continué de façon ininterrompue après la victoire de Trump et, comme le Times le rapporte, c'est «une mesure qui renforcera l'autorité du président élu Donald J. Trump pour combattre des milliers de combattants islamistes dans l'État chaotique de la Corne de l'Afrique».

Plus tôt ce mois-ci, le Guardian britannique a déclaré que «Barack Obama ne resserrera pas les règles régissant les frappes de drones américains avant l'inauguration de Donald Trump.» Une représentante américaine d'Amnesty International, Naureen Shah, a dit au journal: «Obama a normalisé l'idée que les présidents puissent avoir des programmes secrets de massacre à grande échelle à leur disposition.»

Ces événements ont jeté une lumière nouvelle et sinistre sur les rapports de fréquentes discussions à huis clos entre Obama et Trump depuis les trois semaines qui ont suivi les élections du 8 novembre. «Ils ont parlé régulièrement sur un certain nombre de questions», a déclaré Kellyanne Conway, directrice de la campagne de Trump, sur les ondes du programme State of the Union de CNN dimanche passé.

Dans sa première déclaration postélectorale, Obama s'est bien efforcé de minimiser les vitupérations de la campagne électorale, déclarant que la lutte électorale entre les démocrates et les républicains n'était rien de plus qu'une «mêlée intramurale». Il n'y a là rien de plus vrai: les deux partis représentent bien en effet la même classe, la même aristocratie financière américaine et ses intérêts mondiaux, défendus en fin de compte par la mort et la destruction qu'elle sème avec sa machine de guerre.

(Article paru d'abord en anglais le 29 novembre 2016)