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Des Pakistanais avaient défilé dans les rues de Karachi à plus d'une reprise (ci-dessus le 11 février dernier) pour réclamer la pendaison de Raymond Davis.
Photo: AFP
L'Américain de la CIA qui a tué deux hommes au Pakistan a été libéré mercredi contre le «prix du sang», une compensation aux familles prévue par la loi islamique, une issue susceptible d'apaiser les relations entre Islamabad et Washington mais aussi d'enflammer une opinion publique très anti-américaine.

Ce coup de théâtre clôt un affaire rocambolesque de près de deux mois mêlant tous les ingrédients du film d'espions, avec gros bras ancien des forces spéciales à la couverture diplomatique douteuse, fusillade digne des meilleurs tireurs d'élite, course-poursuite en pleine ville, guerre des nerfs entre services secrets, tractations diplomatiques au sommet et, finalement, versement d'un «prix du sang» en vertu de la charia.

Au terme de quatre heures d'audience à huis clos au sein du tribunal qui s'est déplacé dans une prison sous très haute sécurité à Lahore, la grande ville de l'est où ont été commis les meurtres, le ministre de la Justice de la province du Pendjab (est), Rana Sanaullah, a pris presque tous les observateurs à contre-pied.

«Les familles des deux hommes tués ont déclaré solennellement devant le tribunal qu'elles accordaient leur pardon» à Raymond Davis, a-t-il déclaré. La presse pakistanaise annonçait depuis des semaines qu'il serait inculpé de double meurtre.

«Il a été remis en liberté, il peut aller où il veut», a conclu le ministre, précisant que les familles avaient accepté la «diya», le «prix du sang» (l'équivalent de 2,3 millions $ CAN au total selon le procureur), compensation prévue par la charia, laquelle est prise en compte en République Islamique du Pakistan parallèlement à la justice ordinaire.

La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a affirmé que les États-Unis n'avaient «payé aucune compensation» pour obtenir la libération de Raymond Davis. «Nous sommes très reconnaissants pour cette décision» de le libérer, a-t-elle déclaré à des journalistes l'accompagnant lors d'une visite au Caire.

Le jugement pakistanais est susceptible, d'un côté, de normaliser les relations très tendues depuis le début de l'affaire entre Washington --qui réclamait l'immunité diplomatique pour son ressortissant-- et Islamabad, son allié-clé dans sa «guerre contre le terrorisme».

Mais, de l'autre côté, il risque d'enflammer la rue dans un pays à l'opinion publique est très majoritairement anti-américaine et dont une frange importante exigeait que l'«espion américain» soit jugé, voire pendu.

Le 27 janvier, en plein jour à Lahore (est), Raymond Davis avait tué de plusieurs balles, dont certaines dans le dos, deux jeunes Pakistanais à moto dont il assure qu'ils s'apprêtaient à le détrousser.

Les enquêteurs soulignaient que faire mouche depuis l'intérieur de sa voiture puis en sortir pour abattre dans le dos les deux hommes, dont l'un s'enfuyait, relevait de la prouesse d'une fine gâchette. Ils concluaient au «meurtre de sang froid» et les médias américains soulignaient que Davis, une montagne de muscles de 36 ans, était un ancien des forces spéciales américaines.

Puis, au terme de fuites savamment distillées par les puissants services secrets pakistanais, Washington ne démentait pas que l'Américain travaillait sous contrat pour la CIA, chargé, selon les versions, de traquer des terroristes présumés ou de surveiller les installations de la seule puissance militaire nucléaire du monde musulman.

En outre, une équipe américaine appelée à la rescousse, avait heurté en voiture et tué un passant en tentant d'exfiltrer Davis, réussissant à disparaître après une course-poursuite avec la police.

Et la veuve d'un des jeunes motocyclistes se suicidait devant les médias en avalant de la «Mort aux rats».

Les États-Unis - le président Barack Obama en tête- avaient assuré que Davis travaillait pour leur ambassade et disposait d'un passeport diplomatique qui lui assurait l'immunité, mais le gouvernement pakistanais, sous la pression de manifestations de rue quasi-quotidiennes, n'a jamais clairement confirmé ou démenti, jouant la montre jusqu'à mercredi.

Les États-Unis, principaux bailleurs de fonds du Pakistan, considèrent que les principaux cadres d'Al-Qaïda se cachent dans ce pays et entraînent leurs kamikazes dans les camps des talibans pakistanais, dans les zones tribales du nord-ouest, qui servent également de bases aux talibans afghans.