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Des inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) lors d'une visite du site nucléaire de Fukushima Daiichi,le 21 août 2010. Crédits photo : Tomohiro Ohsumi/Bloomberg
Réputée pour son opacité, la société privée Tepco, qui gère les sites nucléaires nippons, avait ignoré des mises en garde de l'AIEA.

Sur la sellette pour sa gestion erratique des événements et son impréparation à la catastrophe de Fukushima, la firme Tokyo Electric Power Company (Tepco), le quatrième producteur mondial d'énergie nucléaire, traîne un vieux parfum de soufre, à l'instar des dix autres opérateurs nucléaires du Japon. Entre 1978 et 2002, 97 incidents, dont 19 jugés «critiques», ont été recensés par le Nisa, l'autorité nationale de sûreté nucléaire.

Le scandale a culminé dans les années 1990 après la découverte de rapports falsifiés sur des taux de radiation et de multiples fissures dans les canalisations du circuit de refroidissement de plusieurs centrales, dont le réacteur no 1 de Fukushima Daiichi, conduisant à l'irradiation de plusieurs techniciens.

Dissimulatrice, ombrageuse, forte d'une assise financière à nulle autre égale au monde et bénéficiant du soutien sans réserve du pouvoir exécutif, l'industrie nucléaire japonaise n'aime pas que l'on fouille dans ses affaires. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) en a longtemps fait les frais. Depuis 1983, ses experts sillonnent l'Archipel pour mener des évaluations poussées des centrales nucléaires japonaises, lors de missions baptisées Osart (Operational Safety Review Team), à l'instar de celle menée à Fukushima en 1992. Plusieurs sources interrogées à Vienne sous couvert d'anonymat confirment qu'elles se sont toujours déroulées dans un climat tendu, voire hostile, les opérateurs japonais se montrant particulièrement «peu coopératifs» et faiblement enclins à se laisser «inspecter» par des experts étrangers, selon l'une de ces sources.

En 2002, le Japon et l'AIEA sont à couteaux tirés. En aparté, un officiel de l'AIEA raconte combien il est difficile de travailler avec ses interlocuteurs nippons sur place. «Nous avions l'impression qu'ils nous disaient: nous voulons bien votre expertise technique, mais le Japon est différent, et nous n'avons pas besoin que vous nous disiez ce qu'il faut changer dans notre organisation.»

«C'est en partie un problème de communication, tempère un ancien ingénieur nucléaire qui a longtemps travaillé pour l'AIEA au Japon, et qui a demandé un strict anonymat. Les Occidentaux ne comprennent pas comment fonctionnent les Japonais. Ils exigent des négociations rapides, des décisions immédiates. Les Japonais ressentent mal cette impatience, interprétée comme une sorte d'arrogance typiquement occidentale. Cel a peut les conduire à réagir en manifestant une certaine forme de... fierté nationale.»

Ces frictions culturelles n'expliquent pas, à elles seules, les incidents qui ont émaillé l'histoire récente de l'industrie nucléaire du Japon. À plusieurs reprises, les autorités nucléaires japonaises ont ignoré de très sérieuses mises en garde, proférées en des termes pourtant beaucoup moins diplomatiques que les experts des missions Osart.

Des normes antisismiques totalement périmées

En 2008, lors d'une réunion du G8 à Tokyo, l'AIEA avertit le Japon que les normes antisismiques de ses centrales nucléaires sont totalement périmées, d'après un câble diplomatique américain obtenu par le site WikiLeaks, et que ses réacteurs ne sont conçus que pour résister à des séismes d'une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter.

L'avertissement ne sera pas entendu. Le 16 juillet 2007, un séisme d'une magnitude de 6,8 avait pourtant frappé la centrale Kashiwazaki-Kariwa (nord-ouest), provoquant un début d'incendie et des rejets radioactifs en mer du Japon. Le réacteur endommagé restera hors-service durant vingt et un mois, l'AIEA critiquant sévèrement les manquements à la sûreté sur le site.

Il en va de même des normes anti-tsunami. Fukushima et ses générateurs au diesel auraient été conçus «pour résister à une vague de 6,3 m de haut», explique Ian Hore-Lacy, porte-parole de la World Nuclear Association, un lobbyiste nucléaire établi à Londres. La vague qui, vendredi 11 mars, a frappé Fukushima et a tout emporté sur son passage, générateurs principaux et de secours, faisait... 7 m de haut.

Ces défauts conceptuels touchent également les méthodes de stockage du combustible. «Les Japonais sont très cupides, renchérit Iouli Andreiev, un scientifique russe, spécialiste des accidents nucléaires. Ils ont rentabilisé chaque centimètre carré d'espace disponible dans leurs centrales. Mais lorsque vous avez un bassin de stockage rempli à ras bord de combustible usagé, le risque d'incendie croît en conséquence si l'eau venait à s'évaporer du bassin.» D'après l'AIEA mercredi, le bassin de stockage de combustible usagé du réacteur no 4, en proie aux flammes depuis trois jours, était «proche de sa capacité maximale», soit 800 assemblages de combustible, lorsque le drame s'est noué.