Les Français pensaient faire «barrage au fascisme», mais il semble qu'ils aient voté pour que les détenteurs de la dette française - fonds d'investissements, banques françaises mais aussi étrangères - soient assurés d'être payés rubis sur l'ongle.

Juncker
Le sujet a soigneusement été évité pendant l'entre-deux-tours, mais il n'a pas fallu 24 heures après l'élection d'Emmanuel Macron pour que les dirigeants européens, plutôt silencieux sur le sujet jusque-là, ne se fassent entendre et rappellent les contribuables français à leurs obligations contractuelles. Non élu, mais désigné collégialement par les chefs d'Etat et de gouvernement, le commissaire européen à l'Economie, Pierre Moscovici, a rappelé à Emmanuel Macron que la France était sous le coup d'une procédure pour déficit excessif (PDE) et devait ramener durablement le déficit budgétaire sous la barre des 3% du produit intérieur brut (PIB).

Il a ensuite ajouté que la France n'avait qu'un effort «très minime» à faire pour se maintenir sous la barre de 3% en 2018. Le commissaire européen et ex-ministre des Finances français socialiste s'est par ailleurs dit confiant qu'Emmanuel Macron tiendrait «ses engagements de campagne» et respecterait les critères européens.

La veille, c'est Jean-Claude Juncker qui s'en faisait l'écho, déclarant : «Les Français dépensent trop». Comprendre, il faut s'assurer que les intérêts de la dette - à défaut du principal, qui ne cesse de croître depuis les années 1970 - seront bien payés à échéance.

Et pendant ce temps, le ratio dette souveraine française sur produit intérieur brut approche dangereusement les 100%. Rapportée à la richesse nationale, la dette de l'ensemble des administrations publiques françaises, mesurée selon les critères de Maastricht, atteignait ainsi près de 98,4% du PIB en 2016. Un principal en constante augmentation, qui génère à son tour toujours plus d'intérêts, soit quelque 44,5 milliards d'euros en 2016.

Pourtant, les bourses mondiales n'ont quasiment pas bougé au lendemain de l'élection. Reposant sur le principe du pari sur une situation future, et des profits à en tirer, les marchés financiers avaient donc déjà intégré la victoire du candidat d'En Marche!. Le programme d'Emmanuel Macron, pro-européen, prévoit la suppression de quelque 120 000 fonctionnaires, ainsi qu'une augmentation de la CSG, qui tout en permettant à l'Etat de dépenser moins, rassure les opérateurs financiers quant aux risques d'une crise de la dette souveraine. «C'est comme si les investisseurs savaient depuis longtemps comment ça allait se terminer», a reconnu un investisseur cité par l'AFP.

Aussi, sur le marché dit obligataire - celui où les entreprises comme les Etats émettent des titres de dette - le taux d'emprunt français à 10 ans a-t-il terminé en séance le 8 mai à Wall Street à l'équilibre, à 0,845%, tandis que l'écart de taux de la dette allemande, considérée plus sûre par les marché à même échéance, continuait à se réduire, un mouvement amorcé depuis le premier tour. Alors que cet écart, spread en jargon financier, commençait à croître dangereusement avant le premier tour, il s'est resserré à l'ouverture des marchés ce 9 mai, atteignant un plus bas depuis la mi-décembre 2016.

Les investisseurs peuvent donc dormir tranquille, il semble que l'on touchera d'abord aux dépenses de l'Etat avant de remettre en cause le paiement des intérêts de la dette. C'est dans ce but que le déficit doit être contenu sous la limite des 3%, afin que les Français restent solvables. La France devra trouver quelque 200 milliards d'euros sur les marchés financiers rien que pour 2017. A la fois pour combler le déficit budgétaire annuel de l'Etat, mais aussi faire «rouler» la partie de la dette existante arrivant à échéance.