Commentaire: Il y a de plus en plus de lois pour protéger le citoyen des attaques terroristes, il y a de plus en plus de terrorisme. Les lois sont donc inefficaces. Mais les lois sont maintenues, et même renforcées. Diantre, se dit-on : si l'on risque de mourir toujours plus et si les terroristes terrorisent toujours plus, à quoi ça sert ? On réfléchit 2 minutes et l'on finit par comprendre que les attentats, la peur et la terreur sont une manne pour l'homme politique moderne. Du pain bénit, un trésor. Qui fournissent à nos dirigeants, donc, l'occasion de supprimer les libertés d'une populace dont ils se méfient viscéralement. C'est qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour que celle-ci, un jour libre, heureuse, sereine, n'en viennent rapidement à réaliser que ses dirigeants sont inutiles, nuisibles et psychologiquement dérangés. En bons parasites sociaux qu'ils sont, prêts à tout pour que leur imposture ne soit pas découverte, les politiciens fabriquent un "état d'urgence". Une expression qui semble traduire étrangement, de façon "souterraine", ce qui semble être finalement leur état d'esprit... acculé.

Pour l'Etat d'urgence qui ne sera sans doute jamais levé, ses causes immédiates et ses conséquences tout à fait concrètes :

etat d'urgence
© Inconnu
Les dernières déclarations de l'Elysée suggèrent que l'état d'urgence ne serait pas renouvelé après le mois de novembre prochain. Promesse à la Pyrrhus, puisque, simultanément, est annoncée une énième révision de la législation antiterroriste et la migration de dispositions dérogatoires vers le droit commun.

L'inspiration de cette annonce revêt presque une dimension universelle, puisque, simultanément, Theresa May a annoncé que « si les lois de défense des droits de l'homme nous empêchent de le faire, nous changerons ces lois pour pouvoir le faire. »

Pourtant, notre nouveau Président de la République, dans son ouvrage Révolution, avait eu des mots encourageants pour nous convaincre que, plus que son prédécesseur, mieux que les autres, il avait perçu la dimension perverse du piège tendu par les terroristes, c'est-à-dire nous contraindre, à bas-bruit et sournoisement, à saborder nos principes et brimer nos valeurs, en sacralisant l'exception. Le projet de loi qui se dessine, inédit dans sa portée liberticide, contredit sévèrement cette intuition. Il suppose l'extraction vers le droit commun de dispositions contenues dans la loi de 1955 relative à l'état d'urgence ayant vocation à demeurer exceptionnelles car temporaires et, avec elles, leur inefficacité et leurs effets toxiques en primes.
Le piège se referme en effet peu à peu et ce alors même que, sans impact sur cette opinion publique vitrifiée, se succèdent les avis de la Commission consultative des Droits de l'homme, les rapports parlementaires critiques, des prises de parole évidemment discrètes des hauts-fonctionnaires des services de sécurité de l'Etat. Tous relèvent unanimement le caractère inefficace, voire contreproductif de l'état d'urgence mais demeurent étrangement inaudibles.
Inefficace, tout a été dit et démontré, il l'est, d'évidence.

A la fois parce qu'il est insusceptible d'empêcher un attentat commis par un kamikaze venu de nulle part mais aussi parce que, dans les très larges filets lancés à l'occasion des milliers de perquisitions mais aussi des assignations à résidence, ce ne sont que très majoritairement des infractions de droit commun qui ont été identifiées et réprimées ; bien maigre « moisson » pour des effets ravageurs.

Le bilan est négatif mais aucun responsable politique ne le dira.

Pas plus, ils ne diront, car ils ne s'en soucient guère et même si des alarmes leur parviennent ici ou là, que la brutalité avec laquelle ces mesures administratives ont été prises, marquées par des destructions d'appartements familiaux, parfois devant des enfants, distillent un mauvais poison, celui qui accentue et dramatise un sentiment palpable depuis tant d'années dans certaines communautés et familles, d'être les oubliés de la République.

Ainsi, et nous pouvons en porter témoignage, à une perte de confiance en l'Etat s'est substitué trop souvent un sentiment de persécution qui rend abrasif. Et la machine infernale, si vigoureusement souhaitée par les terroristes, peut se mettre en route car leur recrutement s'opère toujours auprès de la frange la plus accidentée et naufragée d'une population qui a le sentiment d'être non seulement mal entendue dans son désarroi mais aussi l'objet d'une hostilité rampante que des éléments de langage nauséabonds utilisés à droite et à gauche ces dernières années ont, c'est le moins que l'on puisse écrire, contribué à alimenter.
Lorsqu'il ne frappe pas les mauvaises cibles et n'alimente pas la menace, l'état d'urgence est même volontairement dévoyé. Amnesty relève par exemple que les interdictions de manifestation, au nombre de 155, sont « sans lien démontré avec la lutte contre la menace terroriste » et « ont un impact démesuré sur le droit des personnes à exercer leur liberté d'expression pacifique ».
C'est cet état d'urgence que l'on voudrait intégrer dans le droit commun, celui qui a fait la démonstration de son inefficacité et, plus encore, de ses effets pervers sur certaines communautés, injustement marginalisées. Elles le sont sur le fondement de « notes blanches », véritables lettres de cachet moderne, trop souvent alimentées par la délation et par une islamophobie qui progresse sournoisement et dont bien peu s'émeuvent, d'autant plus que s'en émouvoir semble de plus en plus politiquement incorrect.

On aurait au moins pu légitimement s'attendre à ce qu'une telle pérennisation de mesures dérogatoires (assignations à résidence, fermeture des lieux de culte...), à la supposer opportune, s'accompagne d'une revalorisation de la place du juge judiciaire, qui a vu une partie essentielle de ses prérogatives confisquée non seulement dans leur prononcé (confié principalement aux Préfets) mais, plus encore, dans leur contrôle (confié au juge administratif). Personne n'y a songé, ce qui est ahurissant. Quitte à compromettre nos principes, le moindre mal eut été de rejudiciariser les mesures prises. Ajoutons qu'un tel transfert empêchera toute possibilité d'un retour en arrière, une fois que l'accoutumance de l'opinion pour ces outils liberticides, qui est déjà à l'œuvre, sera irréversible, parce qu'inscrite dans le marbre de la loi.

Le nouveau Président de la République affirme vouloir se défier du court-termisme, celui qui obsède tous ceux qui sont dans la religion de survivre politiquement. Eh bien cela suppose de s'interroger avec force sur les causes et les conséquences à long terme de tout régime d'exception qu'on voudrait si opportunément blanchir. En novembre 2015, en annonçant que l'état d'urgence était un bouclier contre la menace - ce qu'il n'est pas - le gouvernement s'est piégé, car y renoncer c'était risquer un procès en faiblesse. Le tour de passe-passe est sous nos yeux, on déracine le symbole que représente le droit d'exception et on maintient la fiction de son efficacité en l'intégrant au droit commun.

Les plus hautes autorités de l'Etat, après les premières révélations opérées par Snowden de Hong Kong, ont hurlé aux graves atteintes à l'intérêt de l'Etat, à la vie privée. On n'en fera pas par charité, le florilège. Et pourtant, le nouveau projet de loi, qui comporterait des mesures concernant les services de renseignement - et en particulier la surveillance des communications hertziennes - serait une nouvelle entaille dans nos libertés, sans tirer aucun enseignement de plus de dix-huit mois passés sous état d'urgence ni de l'application de la loi du 10 juillet 2015 qui déjà confère aux services français des pouvoirs de nature exceptionnelle sans contre-pouvoir.

Les mesures qui permettraient de « sortir » de l'état d'urgence - comme l'appelle de ses vœux Gérard Collomb - ne doivent pas être celles qui les pérennisent et qui excluent par la suite toute idée d'un effacement ou d'un contrôle régulier sur leur efficacité. Le porte-parole du gouvernement a récemment déclaré « l'état d'urgence ne peut pas être l'état du droit commun ». Il ne l'est pas s'il le devient... Le droit commun est ainsi abîmé, démonétisé.
La France, depuis plusieurs années, s'est dotée d'un arsenal juridique dont tout le monde sait qu'il est l'un des plus répressifs d'Europe et pourtant, on voudrait aller plus loin, avec un risque qui est sans doute le pire et qui est le suivant : les mesures dérogatoires, quand on s'y accoutume, conduisent mécaniquement à une perte de vigilance citoyenne sur les grandes valeurs démocratiques. Si on persuade les citoyens que ce qui était illégal et impossible avant, le devient, au motif d'une logique de soupçon et d'un principe de précaution inavoué et inavouable, on désinhibe et on décomplexe toute une gamme de comportements qui s'en trouvent libérés, objectivés, avec ce qui l'escorte nécessairement, la déculpabilisation de comportements xénophobes, voire racistes.
La volonté visible de notre Président à vouloir rentrer dans l'Histoire ne peut que l'inciter à une réconciliation avec l'héritage des Lumières que nous portons. Les libertés fondamentales ne sont pas les adversaires de la démocratie mais le bien le plus précieux qu'elle protège.