Pour prendre le pouls du déclin des populations des vertébrés terrestres, trois spécialistes ont étudié l'évolution de leur nombre au sein de 27.600 espèces. Leur approche diffère de celle de l'UICN, et prend en compte le nombre des individus et l'ampleur de leurs aires de répartition. Verdict : 32 % sont en recul. Pour ces chercheurs, « la réelle ampleur de l'extinction de masse qui touche la faune a été sous-estimée : elle est catastrophique ».
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© sivanadar, Shutterstock
« Nous constatons que le taux de perte de population des vertébrés terrestres est extrêmement élevé, y compris chez les espèces peu concernées" » écrivent Gerardo Ceballos, de l'université nationale autonome du Mexique et ses collègues de l'université de Stanford, Paul Ehrlich et Rodolfo Dirzob.

Les trois chercheurs tirent la sonnette d'alarme dans leur étude qui vient de paraître dans les Pnas (Proceedings of the National Academy of Sciences). Pour eux, qui travaillent depuis longtemps sur la question d'une sixième crise d'extinction majeure en cours sur Terre, il s'agit d'un véritable « anéantissement biologique » (biological annihilation) au vu de son ampleur et de son accélération, « [elle a été] sous-estimée : elle est catastrophique ». En 2015, Gerardo Ceballos et Paul Ehrlich avaient déjà estimé que les disparitions d'espèces avaient été multipliées par 100 depuis le début du XXe siècle.

Les résultats sont accablants. Ils reposent sur les fluctuations dans les populations de quelque 27.600 espèces de vertébrés terrestres connues, incluant des mammifères, des oiseaux, des reptiles et des amphibiens. S'y ajoute une analyse très détaillée de l'évolution de la population de 177 mammifères entre 1900 et 2015.

32 % des espèces étudiées sont en déclin

Les trois auteurs soulignent qu'ils n'ont pas voulu se concentrer exclusivement sur les espèces menacées. En effet, cette approche est, pour eux, trompeuse car elle « peut donner l'impression que le biote terrestre n'est pas immédiatement menacé mais qu'il entre juste lentement dans un épisode majeur de perte de biodiversité ». Les chercheurs ont préféré mesurer les contractions de leurs populations, que ce soit pour les plus menacées identifiées par l'IUCN, comme pour celles dites « communes » et « peu concernées », car, rappellent-ils, « [...] la disparition des populations est un prélude à celle des espèces ».

Ainsi ont-ils constaté qu'un tiers, 32 % ( précisément 8.851 sur 27.600 ), des espèces qu'ils ont étudiées, lesquelles représentent environ la moitié de toutes celles connues, sont en déclin. Et cela, autant en effectifs qu'en d'aires de répartition. Pour ce qui est de l'échantillon de 177 mammifères dont les chercheurs précisent qu'ils disposent de données détaillées, les résultats montrent que tous ont perdu 30 % ou plus de leurs territoires et plus de 40 % ont subi de graves diminutions de leur population.

Parmi les exemples les plus représentatifs, citons les guépards, qui ne sont plus que 7.000 aujourd'hui (contre 100.000 en 1900). Les lions aussi : il y a 25 ans, ils étaient 43 % plus nombreux..., à présent, ils ne sont plus que 35.000... Et inutile de dire combien de royaumes cet animal a perdu en l'espace de quelques siècles. Les grands singes aussi sont en recul dont plusieurs comme l'orang-outang sont « en danger critique », la dernière étape avant l'extinction. Une étude publiée le 7 juillet dans Scientific Reports estime qu'à Bornéo, leur population a chuté de 25 % en dix ans seulement. Ils étaient encore 288.500 en 1973 et ne pourraient ne plus être que 47.000 en 2025, si rien n'est fait pour enrayer leur perte d'habitat et l'abattage ( jusqu'à 2.500 orangs-outangs sont tués chaque année ).

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© PnaLe pourcentage d’espèces en déclin classées par l’UICN comme « en voie de disparition », endangered, (y compris « en danger critique d’extinction », « en voie de disparition », « vulnérable » et « proche menacé ») ou de « faibles préoccupations » (low concern) chez les vertébrés terrestres. Ce chiffre souligne que même des espèces qui n’ont pas encore été classées comme en voie d’extinction (environ 30 % dans le cas de tous les vertébrés) sont en déclin. Cette situation est plus critique encore pour les oiseaux, dont près de 55 % des espèces en baisse sont toujours classées dans la catégorie « peu préoccupantes ».
Une biodiversité en recul partout dans le monde

Dans leur enquête, les chercheurs ont établi que toutes les régions du monde sont concernées par le recul des populations. Les impacts les plus visibles sont situés dans les zones qui comptent la plus importante diversité animale : les tropiques. Les taux d'érosion les plus élevés sont observées notamment en Amérique centrale et du Sud, en Indonésie et en Asie du Sud-est. Toutefois, les chiffres sont aussi inquiétants partout ailleurs relativement à la biodiversité qui est moindre.

Les premières causes pointées par ce rapport sont les pertes d'habitats : des territoires volés ou dégradés par l'Homme pour ses besoins. Déforestation,agriculture, routes, urbanisation, exploitations minières et pétrolières, etc. sont les principales menaces pour les écosystèmes. Revenons sur le cas des orangs-outangs, très symptomatique de la situation :
« 10.000 vivent dans des zones qui ont été allouées par des gouvernements nationaux et locaux au développement de l'huile de palme. Si ces zones sont converties en plantations d'huile de palme, sans changements dans les pratiques actuelles, la plupart de ces 10.000 individus seront détruits et la chute vertigineuse de leur population va probablement continuer », s'inquiète ainsi Erik Meijaard, de l'université de Queensland et coauteur de l'étude du 7 juillet citée plus haut.
Les autres causes sont la chasse et le braconnage, la surpêche, la pollution (des eaux, des sols, de l'air), les espèces invasives et désormais, le changement climatique, lequel ne cesse de s'intensifier.
« Les moteurs ultimes de la sixième extinction de masse sont moins souvent cités, lancent les trois chercheurs. Il s'agit de la surpopulation humaine, liée à une croissance continue de la population, et de la surconsommation, en particulier par les riches ». Selon eux, « nous ne disposons que d'une petite fenêtre pour agir, deux ou trois décennies au maximum ». Et bien sûr, sans la biodiversité, c'est aussi notre espèce que nous mettons en danger : « L'érosion des espèces entraîne de graves conséquences en cascades sur l'ensemble des écosystèmes, ainsi que des impacts économiques et sociaux pour l'humain », expliquent-ils.
Les chercheurs rappellent aussi qu'en un siècle, 200 espèces de vertébrés se sont déjà éteintes en un siècle. « Cela représente environ deux espèces par an. Or, si l'on se fie au taux d'extinction "normal" de ces deux derniers millions d'années, ces 200 espèces auraient dû mettre jusqu'à 10.000 ans à disparaître ».