Le 3 août, Rome a envoyé un bâtiment, le Commandante Borsini, voguer en eaux libyennes afin d'arrêter des réfugiés fuyant la Libye pour l'Europe. Cette violation des eaux territoriales de la Libye, une ancienne colonie italienne, vise à détruire leurs embarcations et refouler les réfugiés vers la Libye, où les milices qui contrôlent le pays depuis la guerre de l'Otan contre la Libye en 2011 les gardent dans des conditions atroces.
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© Alamy.comRéfugiés libyens
Le parlement italien vient d'approuver une loi permettant à la marine italienne d'envahir les eaux libyennes, sous prétexte d'aider les gardes-côtes libyens à arrêter les réfugiés. La ministre de la Défense italienne, Roberta Pinotti, a même déclaré que le but était de « renforcer la souveraineté libyenne. » Une large majorité des deux chambres a voté pour l'intervention, 328 contre 113 dans la chambre basse et 191 contre 47 dans la chambre haute.

La loi a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux libyens et des manifestations dans la capitale, Tripoli, où l'on affichait l'image d'Omar al-Mukhtar, le « Lion du Désert » qui a dirigé la résistance au colonialisme italien au début du 20e siècle, et l'inscription « Non à un retour au colonialisme ». Rome a réagi en proposant de réduire le nombre de vaisseaux au large de la Libye de six à deux.

Les ONG humanitaires ont dénoncé l'opération italienne. « Le déploiement de la marine italienne dans les eaux libyennes pourrait produire des détentions arbitraires sous des conditions abusives », a déclaré la responsable de Human Rights Watch Judith Sunderland. Elle a ajouté que l'Italie
« se prépare à aider les forces libyennes connues pour avoir détenu des personnes dans des conditions qui les exposent au risque de torture, de violences sexuelles, et de travail forcé. »
La marine italienne a également saisi le Iuventa, le bateau de l'ONG allemande Jugend Rettet, qui tentait de sauver des réfugiés sur le passage dangereux au centre de la Méditerranée, entre la Libye et l'Italie. L'ONG avait refusé de signer un « code de conduite » dicté par l'Union européenne qui aurait limité le nombre de refugiés qu'elle pourrait sauver en haute mer.

« Si les ONG ne signent pas (le code de conduite), il est difficile de voir comment ils pourront continue leur travail », a déclaré le ministre de l'Intérieur italien, Marco Minniti à La Stampa.

La mission italienne illustre le danger d'une nouvelle intervention impérialiste en Libye menée par des puissances européennes rivales. Déjà, Paris a appelé à l'installation de camps où des responsables français et libyens emprisonneraient, inspecteraient, et trieraient les réfugiés. A présent, Rome propose sa propre intervention, sur fond de rivalités croissantes entre l'Italie et la France en Afrique du Nord.

L'opération italienne a suscité une condamnation du maréchal Khalifa Haftar, un ancien déserteur libyen lié à la CIA qui contrôle à présent une large part de l'est du pays autour de Benghazi et qui sert de mandataire de l'impérialisme français.

L'Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par Haftar a déclaré dans un communiqué qu'elle repousserait « tout vaisseau naval qui entrerait les eaux nationales sans la permission de l'armée ». Elle a traité l'opération italienne de « violation de la souveraineté » libyenne visant à « exporter la crise migratoire illégale de son territoire vers celui de la Libye ». L'ANL a prétendu que ses forces à Benghazi, Tobruk et Ras Lanouf, dans l'est du pays, ainsi qu'à Tripoli à l'ouest, confronterait les navires italiens.

Ce n'est toutefois qu'un enfumage, car l'ANL ne dispose de forces que dans l'est du pays, alors que les réfugiés empruntent des voies navales qui partent de l'ouest vers l'Italie. C'est là que Rome veut envoyer ses vaisseaux.

Il est évident que Haftar, comme les autres dirigeants de milices libyennes, est hostile aux sentiments anticolonialistes des travailleurs et des masses libyens. Rien de fondamental ne le sépare des milices de Misrata et ailleurs dans l'ouest de la Libye, actuellement liées à Rome. Son ambition est seulement de monnayer le contrôle par l'ANL des vastes réserves de pétrole de l'est libyen et des raffineries à Ras Lanouf pour nouer des relations avec d'autres puissances impérialistes, dont la France, ainsi qu'avec les régimes russe, algérien et égyptien.

Ces conflits soulignent une fois de plus le caractère réactionnaire de la guerre menée par l'Otan en Libye en 2011. Avec l'aide d'universitaires et de partis petit-bourgeois dont le Nouveau parti anticapitaliste en France, les médias ont traité sans vergogne une guerre de pillage impérialiste, coordonnée avec des milices islamistes et tribales, d'intervention « humanitaire » pour défendre une révolution démocratique. Le renversement du régime libyen par l'Otan n'a crée qu'un désastre pour les habitants de la Libye, ainsi que pour des centaines de milliers de réfugiés dans le pays.

Près de 2.500 réfugiés sont morts noyés en Méditerranée dans les sept premiers mois de 2017, alors que 94.000 avaient fait la traversée entre l'Italie et la Libye. Si les noyades continuent ainsi, cela fera de 2017 l'année la plus meurtrière pour les réfugiés en Méditerranée.

La guerre civile aiguise également les conflits entre les grandes puissances, et notamment entre les puissances impérialistes au sein de l'Otan. Alors que Washington menace la Russie et la Chine, sur fond de tensions entre Washington et l'axe Berlin-Paris qui veut développer une politique militaire « indépendante », une coalition disparates de pays soutient Haftar.

En janvier, un militaire algérien faisait cette confidence au site Web Middle East Eye sur les liens unissant Moscou, Alger, et l'ANL en Libye : « On ne va pas attendre indéfiniment que les partis politiques libyens parviennent à s'entendre. La Libye a besoin que la loi soit appliquée sur tout le territoire et, surtout, d'une armée forte capable d'assurer la sécurité jusqu'aux frontières. Et avec les Russes, nous avons la même vision des choses. »

Selon une autre source algérienne, Moscou et Beijing trouveraient que Haftar est une valeur sûre qui combattra les membres de l'État islamique qui pourraient rentrer via la Libye en Asie centrale ou au Xinjiang en Chine pour y mener des attentats : « Dans une certaine mesure, les Russes souhaitent aussi sécuriser la zone. Car ils craignent qu'avec la défaite de l'EI en Syrie et en Irak, les terroristes russes et chinois du Turkestan oriental proches de Jabhat Fatah al-Sham (ex-Al Nosra, organisation d'Al Qaïda en Syrie), soit 2 000 à 3 000 hommes, se rabattent aussi en Libye. »

Après une croisière de Haftar à bord du porte-avions russe Kouznetsov en Méditerranée en janvier, le chef des forces américaines en Afrique, le général Thomas Waldhauser a déclaré qu'il était « impossible de nier » les liens entre Moscou et Haftar. Waldhauser a ajouté, « Ils sont sur le terrain, ils essaient d'influencer les acteurs, on regarde ce qu'ils font avec grande préoccupation et, vous savez, à part l'aspect militaire, on a vu des activités récentes dans le domaine des affaires. » Il a dit que Washington continuerait à travailler avec le régime à Tripoli.

Paris défend Haftar depuis l'élection de Macron, l'ayant invité à un sommet à Paris, alors que les dissensions franco-italiennes sur de nombreux dossiers deviennent de plus en plus violentes. Non seulement Paris refuse d'accepter des réfugiés arrivés en Europe via l'Italie, mais Macron a nationalisé les chantiers navals STX à St Nazaire pour empêcher qu'une firme italienne, Fincantieri, les reprenne.

Ceci a provoqué un commentaire agacé de Il Fatto quotidiano contre l'axe Paris-Berlin dans l'UE :
« Les idéaux européens masquent les intérêts nationalistes. Le président français Emmanuel Macron a justement décidé de nationaliser STX, le plus grand chantier naval français, afin d'éviter qu'il ne tombe aux mains des Italiens ... En Libye, Macron joue sans l'Europe et contre l'Italie sur le pétrole et l'immigration : le but est de conquérir l'or noir en faveur de la société française Total. La France agit selon ses intérêts, comme l'Allemagne ».