La crise entre le Qatar et l'Arabie saoudite est entrée dans son 100ème jour sans qu'aucune perspective de solution ne pointe à l'horizon. Au contraire, les relations se sont encore détériorées. L'émir du Qatar, Tamin ben Hamad Al Thani, s'est rendu ce jeudi 14 septembre en Turquie pour rencontrer son allié et protecteur, le président Recep Tayyeb Erdogan.

Qatar
Pour que l'émir du Qatar décide de quitter précipitamment son pays pour la première fois depuis le début de la crise avec l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte, le 5 juin, c'est qu'il y a péril en la demeure. En effet, les menaces à peines voilées de Riyad contre son petit voisin se sont accentuées et la polémique a repris de plus belle. Le dernier clash a eu lieu mardi 12 septembre au Caire, entre le ministre d'Etat qatari pour les Affaires étrangères, Sultan ben Saad al-Mreikhi, et le délégué de l'Arabie saoudite à la Ligue arabe, Ahmad al-Qattan. Pendant plus d'une demie heure, les deux hommes ont échangé des propos peu avenants et le ministre qatari a accusé le royaume wahhabite d'essayer de priver son pays de toute «légitimité» et de «renverser» son régime. Le diplomate saoudien a évidemment nié ces accusations mais il a été pris d'une grande colère lorsque le ministre qatari a qualifié l'Iran de « noble ». Il a dit que les dirigeants de Doha « regretterons beaucoup » ces propos, affirmant que l'Arabie saoudite «est capable de faire tout ce qu'il faut» pour cela.

Le coup de fil stérile

Ce violent esclandre a été précédé d'une reprise de la polémique et des campagnes médiatiques réciproques entre les deux pays, à l'issue d'informations filtrées par le Qatar sur un entretien téléphonique entre son émir et l'héritier du trône saoudien, Mohammad Ben Salman. Cette conversation téléphonique a bien eu lieu à la demande de Donald Trump, qui a conseillé à Tamim d'appeler Ben Salmane. Venant de Washington, ce dernier n'a pas pu refuser l'appel, mais l'entretien entre les deux princes n'a rien donné. Au contraire, Ben Salmane a insisté que la seule solution est que Doha accepte les 13 conditions présentées par les quatre pays, ce qui équivaut à une reddition pure et simple.

Le voyage surprise de Tamim en Turquie dénote donc une grande inquiétude. Les dirigeants qataris sont de plus en plus convaincus que le véritable but des Saoudiens et de leurs alliés est de remplacer le régime actuel à Doha. Cela n'est d'ailleurs pas surprenant. L'Arabie saoudite (et avec elle le Qatar !) n'a-t-elle pas revendiqué haut et fort que son but en Syrie est de renverser le président Bachar al-Assad ? Au Yémen, le royaume wahhabite n'est-il pas engagé dans une guerre pour imposer au peuple yéménite le président démissionnaire Abed Rabbo Mansour Hadi au détriment de ses représentants authentiques ? A Bahreïn, Riyad ne porte-t-il pas à bout de bras la dynastie des Khalifa contre la volonté de l'écrasante majorité de la population? Le changement de régime, de président ou de prince est une constante de la politique extérieure saoudienne.

Une histoire de coups d'Etat

Mais pourquoi aller si loin ? N'y a-t-il pas eu une tentative d'intervention militaire menée par l'Arabie saoudite, en 1996, pour renverser Hamad ben Khalifa, père de l'actuel émir ? Ce même Hamad qui avait renversé, quelques mois plus tôt, son père Khalifa profitant de son absence du pays pour une visite privée en Suisse? D'ailleurs, la branche actuelle des Al Thani est arrivée au pouvoir lorsque ce même Khalifa a renversé, en 1972, son cousin l'émir Ahmad ben Ali Al Thani.

Cette branche bannie des Al Thani est aujourd'hui dirigée par Abdallah ben Ali, frère de l'émir renversé en 1972, alors qu'il faisait une partie de chasse en Iran. Et c'est lui que les Saoudiens souhaiteraient voir installé sur le trône de ce petit émirat, à la place de Tamim.

Le scénario du renversement du régime au Qatar est d'autant plus sérieux que l'Arabie saoudite soutien à fond «l'opposition» qatarie, qui tient ce jeudi à Londres une réunion à laquelle les médias saoudiens accordent une attention particulière.

En quittant le Qatar, Tamim semble sûr de la solidité de son règne sur le plan interne. Il ne craint pas un coup d'Etat mais une intervention militaire extérieure, seule capable de le renverser. Cependant, une telle option, si elle venait à être mise en œuvre par les Saoudiens, risque de provoquer une grave crise régionale, surtout qu'entre dix-mille et trente mille soldats turcs sont déployés au Qatar dans le cadre d'un Traité de défense commune.

Une fois de plus, l'Arabie saoudite n'a plus de cartes à jouer. Pour un pays qui s'autoproclame représentant du monde arabe et musulman, son influence est battue en brèche dans son pré-carré du Golfe. C'est un trône bien vacillant que Mohammad ben Salmane veut hériter, même au prix de profonde dissensions au sein de la dynastie des Saoud.