La visite du roi Salman d'Arabie en Russie, annoncée comme importante, s'avère l'être d'une façon superlative, c'est-à-dire autant comme un symbole que comme un facteur essentiel mesurant le nouveau rapport d'influences au Moyen-Orient. Nous préférons en effet employer cette expression ( "rapport d'influences" ) plutôt que le classique "rapport de forces", simplement pour marquer l'évidence que l'influence, aujourd'hui où la communication joue un rôle si essentiel, est effectivement le facteur déterminant. Nous ne sommes plus dans une ère géopolitique, mais dans une ère que nous qualifions de "psychopolitique".
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Dans le cas russe, la force ( l'intervention russe en Syrie) n'a pas été et n'est pas un facteur direct de pression sur les différents acteurs pour les faire se tourner vers Moscou, mais un facteur indirect renforçant l'influence, l'attraction que Moscou exerce sur eux. Le rapport est moins celui de la contrainte qu'une puissance exerce sur une autre ( la force) que celui de la démonstration à laquelle une autre puissance est sensible ( influence ).

De ce point de vue, le facteur saoudien est encore plus important et convainquant. Il n'est pas temps ni intéressant de tirer la conclusion que l'Arabie est désormais une "alliée de Moscou", encore moins "une amie de Moscou", d'autant que ces termes ont une valeur très relative en diplomatie, encore plus lorsque l'influence et la communication tiennent la place qu'ils tiennent. Au contraire, au niveau du symbole qui est, lui, une mesure extrêmement importante de l'influence, il y a eu un acte fondamental. La démonstration en est faite avec le volet des accords passés qui concerne l'armement. Il s'agit du domaine-clef, depuis 1945, de l'exclusivité des liens des anglo-saxons ( US surtout, UK derrière ), de la France plus récemment et de façon supplétive, dans tous les cas rapports d'exclusivité des liens de sécurité de l'Arabie avec le bloc-BAO.

Cette exclusivité est mise en cause structurellement par l'accord russo-saoudien, portant sur des systèmes importants et structurants ( les missiles sol-air S-400 ) et des perspectives de coopération ( promesse de l'aide russe pour le développement des technologies permettant le développement d'une industrie saoudienne d'armement ).

On ne prêtera pas trop d'importance immédiate à la situation du point de vue factuelle, voire aux perspectives, tout cela demandant à être concrétisé. Mais le symbole est considérable pour ce qui est du message que les Saoudiens envoient aux USA et au bloc-BAO, qui est la signification d'un constat d'ores et déjà fait et confirmé, bien plus qu'une prédiction ou un moyen de pression, ou une menace : "Il est un fait que vous n'êtes plus les maîtres-tuteurs de la région, et cela a et aura des conséquences structurelles sur nos relations".

Bien entendu, ce même domaine de l'armement est utilisé dans le texte de ZeroHedge.com du 5 octobre 2017, repris ci-dessous, pour mesurer le triomphe de la Russie au Moyen-Orient au moment de la marque symbolique du deuxième anniversaire du début de l'intervention russe en Syrie, par ailleurs illustré de façon opportune par des succès décisifs sur le terrain. Curieusement, les Russes ont démontré en Syrie un peu le contraire de ce qu'ils plaident inlassablement depuis cinq ans, savoir que la force ne peut être le moyen de résoudre la crise. Certes, le succès russe engendrant le renouveau décisif de la puissance de l'armée syrienne ne clôt certainement pas le conflit, mais il a été l'outil de son basculement fondamental qui permet de croire à la possibilité d'un apaisement dont les Russes seraient les tuteurs absolument nécessaires. ZeroHedge.com résume donc cette situation nouvelle par cette observation ironique :

« Cela signifie qu'après l'Iran et la Turquie, la machine de guerre russe s'est étendue vers Ryad, qui avait pourtant encore commandé des systèmes d'arme US pour des centaines de $milliards cet été. Israël est-il le prochain sur la liste des acheteurs d'armements russes ? »

L'observation est ironique mais la question ne l'est pas uniquement. Notre avis est qu'il existe une réelle possibilité que de telles relations s'établissent entre la Russie et Israël, au niveau des armements, les liens entre les deux pays ayant la complexité que l'on sait et la démarche russe pouvant éventuellement créer une situation complètement nouvelle au Moyen-Orient. D'autre part, le moment est, comment dirait-on, - opportun ? Bien entendu, ceci contribuant à expliquer cela : la direction politique US est dans un état si extraordinaire d'impuissance et de parcellisation qu'elle pourra difficilement se regrouper et riposter. ( Phénomène "D.C.-la-folle" derrière un président produisant son désordre de star de la télé réalité, avec l'illustration de ce constat de Margareta Simonian, de RT : « Il n'y a plus désormais un seul Washington D.C., il y a de nombreux petits Washington D.C. travaillant les uns contre les autres. »)

Il est assez probable que les USA seront encore plus réduits à la défensive, tentant de garder ce qui leur reste de pressions bureaucratique et corruptrice pour conserver ce qui deviendrait leur "part de marché" en Arabie ( plutôt que leur marché exclusif ), mais le temps est passé où ils pouvaient faire revenir un allié récalcitrant dans "le droit chemin" des achats exclusifs d'armement US. On a déjà compris cela avec l'entêtement turc pour acheter les même S-400 malgré les pressions formidables de l'OTAN contre cette démarche.
C'est-à-dire que le succès de Poutine et de la Russie est complet, au point où l'on peut parler de "triomphe". Dans tous les cas, la position russe est originale : il ne s'agit nullement de domination, avec une attitude active, sinon agressive, avec les jeux de contraintes et d'affirmation hégémonique. L'attention est portée d'abord aux intérêts russes, avec le seul souci de participer à la maîtrise d'une situation que la Russie juge très dangereuse pour la région et, par extension, pour elle-même bientôt si rien n'avait été fait et ne continue à être fait ; cette démarche suppose par conséquent une intervention qui doit être faite dans les cadres légaux et paraître le moins possible hégémoniste.
C'est donc "sur leur mérite" que les Russes ont construit en 3-4 ans une énorme base d'influence, en attirant à eux des acteurs épuisés par le désordre produit par les USA, le bloc-BAO et le Système. Le triomphe de Poutine est mérité, mais il est d'abord logique et conforme à la raison face à la folie progressiste-sociétale du bloc-BAO ; on espère simplement, pour leur fortune, que les Russes ne changeront pas d'attitude, que leur succès ne leur fera pas perdre le sens de la mesure et cette espèce de modestie qu'ils mettent assez naturellement dans leur attitude diplomatique en la tenant strictement dans le cadre des normes d'un monde multipolaire, à côté d'une fermeté remarquable dans l'action.