Les divisions à peine dissimulées au sein du gouvernement Trump sur la politique étrangère ont encore été affichées mercredi. Le secrétaire d'État Rex Tillerson a été obligé de répondre à une information d'une source sûre de NBC qu'il a appelé Trump « un abruti » lors d'une réunion au Pentagone de hauts responsables de Trump en juillet et était sur le point de démissionner.

Trump
© Jonathan Ernst / Reuters
Dans des commentaires prudents aux médias, Tillerson a nié qu'il envisageait sa démission et a rejeté la suggestion que le vice-président Mike Pence et d'autres responsables l'ont persuadé de ne pas le faire. Il a balayé, mais n'a pas nié, le fait d'avoir traité Trump d'abruti lors de la réunion du Pentagone, et a poursuivi en louant le président et sa politique étrangère.

Nonobstant les efforts concertés de Tillerson, Trump et divers porte-parole du gouvernement de minimiser toute fracture, le secrétaire d'État a été en désaccord public avec le président, le plus sévèrement au sujet de la poussée intensifiée vers la guerre contre la Corée du Nord.

Dans une réprimande extraordinaire à Tillerson le week-end dernier, Trump a déclaré que le secrétaire d'État « perdait son temps » en disant aux journalistes qu'il étudiait la possibilité de pourparlers avec la Corée du Nord pour désamorcer le dangereux affrontement sur la péninsule coréenne. La répudiation pure et simple par Trump des négociations avec Pyongyang n'était pas seulement une claque dans la figure de Tillerson, mais aussi dans celle des dirigeants chinois, avec lesquels Tillerson venait de s'en entretenir.

Quelles que soient les différends entre Trump et Tillerson ceux-ci restent purement tactiques. Tillerson est tout aussi engagé que Trump à mener une guerre contre la Corée du Nord si elle n'accepte pas les demandes des États-Unis d'abandonner son arsenal nucléaire. Néanmoins, compte tenu de l'énormité d'un conflit qui pourrait coûter la vie à des millions de personnes et plonger le monde dans la guerre, il a laissé ouverte la possibilité de négocier un accord avec la Corée du Nord pour qu'elle se dénucléarise.

En excluant des pourparlers avec la Corée du Nord, Trump semble déjà être engagé sur la voie de la provocation et d'une guerre qui, comme il l'a averti à l'ONU, « détruirait totalement » un pays de 25 millions d'habitants. Trump a déclaré dans son tweet le week-end dernier à Tillerson : « Ménagez vos efforts Rex, nous ferons ce qu'il faut faire. »

Dans son témoignage mardi devant le Comité sénatorial des forces armés, le secrétaire à la défense, James Mattis, a défendu prudemment Tillerson en disant qu'il « soutenait pleinement » les efforts du secrétaire d'État pour trouver une solution diplomatique mais qu'il reste axé sur la défense des États-Unis et de nos alliés ».

Interrogé sur le rejet par Trump des négociations comme étant une perte de temps, Mattis a tenté de minimiser les divisions au sein du gouvernement. Tillerson ne faisait que sonder les occasions de parler avec le Nord, a déclaré Mattis. « Nous ne parlons pas avec eux, en accord avec la consternation du président de ne pas engager des pourparlers avec eux avant que le moment ne soit propice ».

Cependant, Mattis s'est opposé tacitement à Trump lorsqu'il a informé la même audience du Sénat qu'il soutenait l'accord de 2015 avec l'Iran pour limiter strictement ses programmes nucléaires. « Si nous pouvons confirmer que l'Iran respect l'accord, si nous pouvons déterminer que cela correspond à notre intérêt, alors il est évident que nous devons continuer sur ce chemin. »

Trump a dénoncé à plusieurs reprises l'accord avec l'Iran, déclarant qu'il s'agissait d'une des « pires et plus partiales transactions » jamais conclues par le pays. Les États-Unis ont demandé que cela soit renégocié, une démarche opposée par d'autres signataires, y compris les principaux alliés européens, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, qui ont fortement investi en Iran.

Alors que le Congrès des États-Unis a finalement accepté l'accord de 2015, il fallait que le président américain certifie tous les trois mois que l'Iran respectait les termes de l'accord. Selon le Washington Post, Trump se prépare à prononcer un discours politique majeur sur l'Iran la semaine prochaine avant la prochaine date limite pour une nouvelle certification le 15 octobre.

Si Trump déclare que l'Iran n'est pas en conformité, le Congrès des États-Unis pourrait alors réimposer des sanctions paralysantes, ce qui fera capoter l'accord. Une telle démarche contredirait le constat de l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique que l'Iran respecte l'accord et augmenterait considérablement les tensions non seulement avec Téhéran mais avec les grandes puissances européennes, ainsi que la Russie et la Chine.

Il y a trois mois, Trump a menacé de ne pas certifier la conformité de l'Iran, mais aurait été dissuadé par ses principaux conseillers, qui lui ont proposé une astuce pour sauver la face. Le Washington Post a indiqué que Tillerson, Mattis et d'autres cherchaient à faire la même chose à nouveau. Tillerson a déclaré aux journalistes mercredi : « Nous aurons une recommandation pour le président. Nous allons lui donner quelques options pour avancer. »

Le sénateur républicain Bob Corker, président du Comité sénatorial des relations extérieures, a souligné les divisions profondes qui guettent le gouvernement Trump et l'establishment politique dans son ensemble. Interrogé pour savoir s'il soutenait Tillerson, Corker a déclaré mercredi : « En tant qu'équipe, Tillerson, Mattis et [le chef de cabinet] John Kelly de la Maison Blanche nous aident à maintenir le chaos à distance, alors je les soutiens totalement. Absolument. »

Ce serait complètement erroné de voir Tillerson, Mattis, Kelly et d'autres comme une sorte de faction anti-guerre parmi l'élite dirigeante américaine. Ils soutiennent tous les guerres criminelles sans fin en Irak, en Syrie et en Afghanistan et les préparatifs accélérés pour la guerre en Asie et en Europe. Il s'agit plutôt de divisions qui ont émergé à Washington en raison d'une débâcle après l'autre rencontrée par les États-Unis, et qui portent donc sur le choix du moment opportun pour mener de nouvelles guerres.

La campagne implacable sur l'interférence alléguée de la Russie lors de l'élection présidentielle de 2016 en faveur de Trump reflète de forts différends quant à savoir si c'est la Russie ou la Chine qui représente la plus grande menace pour la domination mondiale des États-Unis. Au bout du compte, le caractère imprudent et fasciste du gouvernement Trump est l'expression de la crise de l'impérialisme américain à mesure que celui-ci cherche désespérément à utiliser sa force militaire pour arrêter son déclin historique au détriment de ses rivaux.

Les turbulences politiques et les bouleversements dans la Maison-Blanche sont un autre avertissement que les États-Unis se dirigent vers une autre guerre désastreuse sur la péninsule coréenne. Après avoir enflammé délibérément les tensions grâce à ses menaces répétées contre la Corée du Nord, le gouvernement Trump a créé une situation où tout incident - délibéré ou accidentel, majeur ou mineur - pourrait déclencher un conflit.

(Article paru en anglais le 5 octobre 2017)