Quelle est jolie cette europe ( pas de majuscule ) qui a fait plus de misère, plus d'oubliés et paradoxalement, plus de millionnaires, la misère des uns faisant la richesse des autres. Et comme la solidarité, l'entraide, la désobéissance civile, l'envie de lutter contre tous les corrompus, de leur faire payer leurs forfaitures et trahisons, n'est pas dans les projets d'un peuple soumis et exsangue, de bien vilains jours se profilent à l'horizon.....
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© InconnuBricks
Le film Bricks, qui sort en salle ce mercredi, s'attache à la lutte de militants et d'habitants, en Espagne, qui combattent les décisions arbitraires des banques. Leurs principales victimes : 600 000 familles n'arrivant plus à rembourser leur crédit immobilier et qui sont donc menacées d'expulsion. Abandonnées par le gouvernement espagnol, parfois sommées de continuer à payer leurs traites malgré l'expulsion, elles sont obligées d'organiser leur combat avec des moyens très limités, dans des situations d'urgence. Une lutte à échelle humaine. Chronique de ce documentaire par l'association Les Lucioles du doc.

Nous sommes loin de la success story. Les réalisateurs ont fait le choix d'une caméra au poing qui bouge, qui tremble, qui rend compte de la détresse du moment. Le but de la lutte n'est pas de faire justice, mais d'éviter qu'une famille ne se retrouve à la rue. Nous sommes plongés dans la réalité d'un quotidien ni glorieux, ni courageux mais simplement humain, et qui tente de le rester face à l'indifférence des politiques.


Nous suivons Blanca, femme de ménage mexicaine qui peine à rembourser son crédit à taux variable ( dont l'usage est interdit en France ). Il ne lui reste que quelques semaines avant son expulsion et elle est désemparée. Elle se tourne alors vers les militants de la PAH ( Plataforma de Afectados por la Hipoteca ), sans réellement savoir quoi attendre d'eux.

Nous allons également à la rencontre de multiples acteurs : le maire inventif d'une ville fantôme désertée, le patron d'une fabrique de briques en peine de commandes qui ferme la moitié de l'année, les responsables du groupe de lutte. Tous sont concernés par cette crise, mais personne ne semble savoir comment en sortir. La lutte s'organise au cas par cas, soutenu par une cinquantaine d'activistes. Et c'est finalement la force de ce film : nous rappeler que la mobilisation et la désobéissance civile permettent de faire entendre sa voix et de faire plier des institutions d'apparence implacable.

« Usine et métaphore de la brique »

La brique, fabriquée en usine, est une métaphore d'un système qui s'autodétruit, qui produit à outrance pour mieux annihiler. La métaphore est filée tout au long du film, avec de belles séquences de construction/destruction, dans la fumée des machines. Les séquences dans l'usine fonctionnent presque comme une métonymie du film : il n'y a pas d'intervention, le regard est fixé sur une chaine de production sans âme. Le cadre et la trame sonore sont taillés aussi minutieusement que le cortège de briques qui défile sur les tapis roulants. La lumière y est ciselée par la fumée et la machinerie ; mais le retour à l'extérieur et aux conséquences n'en est que plus violent.

Le film est construit autour d'un contraste formel fort entre la brique et le quotidien de ceux qui se font expulser. La « brique », sujet de spéculation et cause de l'expulsion, est aussi le nom donné au courrier officiel qui avertit, trop tard, de cette dernière. La brique suit un tracé linéaire jusqu'à sa fissure tels les parcours de vie des habitants dont l'expropriation interrompt un chemin de vie.

« Points de vue et contrepoints »

Bricks se centre sur une lutte, mais en voulant multiplier les points de vue de ce combat, nous nous perdons parfois dans la pluralité des acteurs. La responsabilité semble se diluer dans l'utilisation de terme flous et impersonnels : « crédit », « crise immobilière », « obligation d'expulsion » « dette non remboursée »... Nous ne rencontrons pas de responsable politique, ni d'économiste ou de personnalité du monde de la finance pour offrir un contrepoint et éclairer sur le contexte et l'ancrage de cette crise immobilière en Espagne.

Nous sillonnons dans les méandres des transactions immobilières abusives et avortées ; mais nous sommes sans cesse ramenés à la géométrie calibrée de la brique, ses contours réguliers et sa couleur familière. Tout au long du film, nous nous sentons sur la brèche, prêts à se briser comme la brique inutilisée. Celle-ci reste, ce sont les habitants qui partent.
NOTE D'INTENTION DU REALISATEUR

BRICKS, UNE TRAVERSÉE DANS L'ESPAGNE EN CRISE
Par Quentin Ravelli

En Espagne, la crise continue à s'aggraver malgré les déclarations du gouvernement. Depuis 2007, le chômage est passé de 8% à plus de 19%, les salaires ont baissé et les services publics continuent à réduire leur voilure. De nombreux mouvements sociaux ont vu le jour et remis en cause l'influence des banques, les suppressions d'emploi, la corruption qui gangrène l'appareil d'État. Même le système parlementaire, stable depuis la fin de la dictature en 1974, s'est mis à se fissurer : la percée de Podemos, devenu en trois ans l'une des premières forces politiques, enraye l'alternance monotone de la droite et de la gauche au pouvoir. Contrairement à la France, et même si la contestation s'essouffle, la remise en question ne vient pas de l'extrême droite.

La crise du logement en Espagne : « No es una crisis, es una estafa ! »

Un des aspects les plus marquant de cette situation est la crise du logement : après avoir construit plus de maisons que la France et l'Allemagne réunies, la bulle immobilière a éclaté et les expulsions se sont généralisées, dans un pays où on estime qu'il y a plus de 5 millions de logements vides. Au moins 700 000 familles ont été menacées d'être mises à la rue car elles ne réussissaient pas à payer leurs crédits immobiliers. Ce sont des crédits élevés, inadaptés, impossibles à rembourser, qui se sont implantés jusque dans les strates les plus pauvres de la population. Ce qui justifie le slogan désormais populaire en Espagne : « Ce n'est pas une crise, c'est une arnaque ! » En Espagnol, un mot résume toutes ces absurdités tragiques : le « ladrillo ». Au sens propre, c'est la « brique » dont sont fait la majorité des immeubles en Espagne. Au sens figuré, c'est le système politico-financier à l'origine de la spéculation et de l'effondrement du pays. Pour faire ressentir les aberrations du ladrillo sans accumuler les discours de victimes, le film suit la vie des briques rouges. Autour d'elles, se collent des personnages qui résistent, chacun à leur manière.

Des portraits sensibles et contradictoires

En croisant plusieurs fils, Bricks raconte la tempête sociale que traverse l'Espagne aujourd'hui. Le maire d'une ville nouvelle, construite dans les années 2000 et devenue une ville-fantôme, cherche à changer l'image de sa ville qui se remplit peu à peu. Une usine de briques de Castille survit en exportant des modèles de briques de façade qui portent des noms de Dieux grecs. Une femme équatorienne avec deux enfants empêche l'expulsion de son logement et se bat contre sa banque pour obtenir l'annulation de sa dette avec l'aide d'un des mouvements sociaux les plus puissants en Espagne : la Plateforme des Victimes du Crédit, ou Plataforma de los Afectados por la Hipoteca. En évitant les discours d'experts, à partir de situations concrètes et sans discours préétabli, Bricks cherche à dresser des portraits de résistances qui ne sont jamais simples : le maire affronte une dure opposition, les ouvriers de l'usines paient leur crédit et ne se révoltent pas, les changements politiques n'ont pas radicalement modifié la crise du logement... Ces portraits permettent de voir l'Espagne comme un contre-point à la France d'aujourd'hui, sans l'idéaliser.