Après avoir imposé l'article 155 de la Constitution espagnole afin de suspendre le gouvernement élu de Catalogne la semaine dernière, l'Espagne, soutenue par l'Union européenne ( UE ), évolue rapidement vers un régime militaire. Lorsque le juge de la Haute Cour, Carmen Lamela, a placé en détention huit ministres du gouvernement régional catalan, le général Fernando Alejandre ( photo ), chef des forces armées espagnoles, a menacé hier d'attaquer la Catalogne.
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Dans le quotidien de droite ABC, Alejandre a affirmé que ses plans d'intervention militaire nationale font partie des plans similaires des pays de l'OTAN à travers l'Europe et l'Amérique du Nord.
« Tout comme nos alliés », a-t-il déclaré, « nous élaborons des plans pour, entre autres, défendre les infrastructures critiques, réagir aux catastrophes ou aux situations de crise, réagir aux menaces externes, combattre le terrorisme ou engager la défense collective dans le contexte de l'Alliance atlantique [l'OTAN] ».
Apparemment pour assurer aux lecteurs que l'armée espagnole ne prépare pas un coup d'État, Alejandre a immédiatement ajouté : « Naturellement, nos plans tiennent compte du fait que les forces armées sont des outils au service de la nation espagnole et que le pouvoir exécutif doit décider d'une intervention. »

Alejandre a souligné, cependant, que la Catalogne était une cible de la planification de guerre espagnole. Il a qualifié le mouvement indépendantiste catalan de « plus grande menace pour notre démocratie ». Pour préparer l'armée espagnole à ses tâches, il a écrit :

« Je dois tenir compte de l'accord adopté par le Sénat le 27 octobre qui a fait état de l'extraordinaire gravité de la désobéissance aux obligations constitutionnelles et de la réalisation d'actions gravement contraires à l'intérêt général par les institutions du gouvernement régional catalan. »

Après avoir distingué la menace supposément posée par la Catalogne, Alejandre a poursuivi : « L'histoire montre que, si besoin est, le peuple espagnol et ses forces armées savent comment défendre notre Nation ». Faisant des éloges des soldats espagnols « de toutes les époques », il a déclaré : « Notre histoire est remplie d'exemples où l'armée espagnole a mis son amour pour l'Espagne avant toute autre considération ».

La prétention d'Alejandre que le séparatisme catalan est la plus grande menace pour la démocratie espagnole est un mensonge politique absurde : la principale menace vient de Madrid et de l'armée.

Ses commentaires sont un avertissement que l'Espagne et l'ensemble de l'Union européenne ( UE ) se dirigent vers la dictature. Les assurances d'Alejandre selon lesquelles il n'y aura pas de coup d'État sont une évasion. Madrid a lancé une confrontation totale avec la Catalogne lors du référendum sur l'indépendance catalane du 1ᵉʳ octobre, qu'elle a tenté de bloquer par une violente répression policière. En décapitant le gouvernement catalan et en essayant d'installer ses vice-rois non élus à Barcelone face aux manifestations de masse, Madrid a l'intention sans doute de compter encore plus sur les forces de sécurité que lors du référendum.

Son éloge du rôle de l'armée espagnole à toutes les époques est une menace glaçante qui doit servir d'avertissement aux travailleurs à travers l'Europe. Au cours du siècle dernier, en dehors de ses guerres coloniales agressives et sanglantes en Afrique du Nord, l'armée espagnole n'a eu qu'une seule cible : le peuple espagnol. La dernière fois que l'armée espagnole entra en Catalogne, en janvier 1939 sous le commandement du généralissime fasciste Francisco Franco à la fin de la guerre civile espagnole, elle se livra à des exécutions massives de ses opposants politiques pour écraser les luttes révolutionnaires de la classe ouvrière.

La menace d'une intervention militaire interne en Espagne, au même temps qu'il y a l'état d'urgence dans la France voisine et l'escalade des demandes de censure sur Internet à Washington, est le produit d'une crise mortelle du capitalisme. Après un quart de siècle d'escalade du militarisme et des mesures d'austérité depuis la dissolution de l'Union soviétique en 1991, et en particulier depuis le krach de Wall Street en 2008, l'UE est discréditée. Avec des dizaines de millions de travailleurs au chômage et des niveaux de vie qui chutent dans une grande partie de l'Europe, la classe dirigeante est terrifiée par la montée de la colère sociale et se tourne vers la dictature.

Le gouvernement du Parti populaire ( PP ) du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy attaque sans pitié les nationalistes bourgeois catalans pour montrer qu'aucune opposition ne sera tolérée. Les référendums sur l'indépendance avaient eu lieu pacifiquement au Québec, au Canada, ou en Écosse, au Royaume-Uni. Néanmoins, Madrid enflamma délibérément le conflit catalan, attaquant des électeurs pacifiques lors du référendum du 1ᵉʳ octobre, puis rejetant la suspension de la déclaration d'indépendance et les appels au dialogue du président catalan Carles Puigdemont.

La principale cible de Madrid est l'opposition dans la classe ouvrière, et en attaquant la Catalogne, elle agit avec mépris pour le peuple espagnol. Malgré des semaines de propagande anti-catalane non-stop dans la presse, les sondages suggèrent une opposition croissante en Espagne à l'écrasement de l'autodétermination catalane par Madrid. Dans un récent sondage d'El Mundo, 57 % des Espagnols et 76 % des Catalans souhaitaient la tenue d'un référendum pacifique sur l'indépendance catalane, tandis que de larges majorités s'opposaient à l'indépendance.

Néanmoins, Madrid vise à prendre le contrôle de l'appareil d'État régional catalan et à imposer l'austérité et le militarisme à la demande de l'UE, qui a soutenu Madrid et exigé que, malgré la crise catalane, elle continue à réduire les dépenses sociales pour répondre aux critères du déficit budgétaire.

Jeudi, les tribunaux espagnols ont emprisonné des ministres catalans, y compris Oriol Junqueras ( vice-président ), Jordi Turull ( porte-parole ), Raul Romeva (affaires étrangères ) et Joaquin Form ( intérieur ). Accusés de rébellion, de sédition et de détournement de fonds suite au référendum du 1ᵉʳ octobre et à la déclaration d'indépendance du 27 octobre, ils risquent jusqu'à 30 ans de prison.

Le Premier ministre catalan déchu Carles Puigdemont et quatre ministres régionaux qui ont fui lundi en Belgique risquent également d'être arrêtés. Le procureur général d'Espagne demande la délivrance d'un mandat d'arrêt européen par la Haute Cour. Des accusations de rébellion, de sédition et de détournement de fonds ont également été portées contre la présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, et cinq membres du comité de la présidence du parlement catalan.

Il y a un ministre accusé qui n'a pas eu cette réaction brutale, Santi Vila, qui a démissionné à la dernière minute avant le vote de l'indépendance vendredi dernier. Il n'a pas été emprisonné, mais relaxé sous caution de 50 000 euros. Vila a été accueilli avec des cris de « traître », « lâche », et « maintenant la police te protège » à son arrivée à la cour. Il est clairement préparé comme le candidat à l'élection du 21 décembre dont Madrid a exigé l'organisation en Catalogne.

La seule voie à suivre pour s'opposer au tournant de Madrid et de l'UE vers la dictature est la mobilisation indépendante de la classe ouvrière à travers l'Espagne et l'Europe dans une lutte révolutionnaire, socialiste et internationaliste contre Madrid et l'UE, mais aussi contre les nationalistes catalans.

Ces derniers, ayant dirigé des administrations pro-austérité à Barcelone pendant des décennies, avancent la perspective réactionnaire de la construction d'un État capitaliste séparé en Catalogne orienté vers l'UE.

Alors que Madrid et le gouvernement de Puigdemont sont engagés dans une lutte de plus en plus acharnée entre eux, ils se rapprochent également contre la classe ouvrière. Tous deux cherchent un accord au détriment des travailleurs, sur la base de la politique d'austérité de plus en plus militarisée de l'UE. À Bruxelles, Puigdemont a réitéré ses appels à l'UE pour négocier un accord avec Madrid, et a acquiescé à l'appel de Rajoy pour les élections du 21 décembre, les qualifiant de « plébiscite démocratique ».

Un rassemblement à Barcelone a été organisé par l'Assemblée nationale catalane ( ANC ) et Òmnium. Le maire de la ville, Ada Colau, les conseillers de sa coalition BComú soutenue par Podemos, la Gauche républicaine catalane ( ERC ) et le Parti démocratique européen catalan ( PDeCAT ), ainsi que la Candidature de l'unité populaire ( CUP ) petite-bourgeoise étaient présents. Colau a proposé une amnistie et l'annulation de l'article 155 après les élections du 21 décembre comme « points minimum » pour la réconciliation et un retour à la « normalité démocratique » en Catalogne.

Le gouvernement de Colau a voté pour reconnaître l'administration de Puigdemont en tant que « gouvernement légitime de Catalogne », rejeté l'application de l'article 155 et « la réponse autoritaire et menaçante de l'État ». Il a rejeté une motion de la CUP pour « reconnaître la proclamation de la République catalane » le 27 octobre.

Des propositions similaires sont faites par des stratèges de la classe dirigeante au niveau international. Dans un éditorial, le New York Times a écrit : « Pour le moment, le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, armé de la Constitution du pays, semble avoir pris le dessus ». Cependant, a-t-il averti, « la position intransigeante de Rajoy pourrait se retourner contre lui si l'impasse continue. La tactique violente de la police espagnole pour tenter de briser le référendum a laissé des sentiments amers en Catalogne, et encore des tactiques musclées, si les Catalans défiaient Madrid, pourraient encore changer les sentiments, peut-être aussi en dehors de l'Espagne. »

Le journal a conseillé l'apaisement et s'est appuyé sur la banqueroute de la bureaucratie syndicale et de ses alliés politiques, comme le parti Podemos, pour étouffer l'opposition de la classe ouvrière. « Les grands syndicats et de nombreux fonctionnaires semblent accepter le contrôle temporaire de Madrid », a-t-il écrit. « Si les partis catalans sont en fait prêts à participer à une nouvelle élection régionale, M. Rajoy devrait faire preuve de magnanimité en s'excusant du comportement de la police le 1ᵉʳ octobre », a indiqué le Times.

La base d'une telle réconciliation serait un accord de toutes les parties sur des déploiements militaires et policiers intensifiés et des mesures d'austérité en Catalogne et dans toute l'Espagne.