Depuis lundi 28 mars, l'attention est focalisée sur l'activité de l'eau de mer et certains médias s'inquiètent de la survenue d'une « catastrophe écologique » (1). La CRIIRAD rappelle que l'urgence concerne la protection sanitaire des habitants des zones contaminées. Depuis le 12 mars dernier, ils subissent, jour après jour, heure après heure, l'impact des rejets radioactifs de la centrale nucléaire de FUKUSHIMA DAIICHI. Toutes les voies d'exposition se cumulent :
Exposition aux rayonnements qu'émettent les aérosols et les gaz radioactifs que les vents transportent vers les zones habitées, celles de la Préfecture de Fukushima, bien sûr, mais aussi bien au-delà de la ville de Sendai, à 100 km au nord et bien au-delà de Tokyo à 230 km au sud.

Exposition aux rayonnements émis par les produits radioactifs qui retombent progressivement au sol (du fait de la gravitation, des pluies et de la neige) et s'accumulent sur les surfaces ; Les débits de dose sont multipliés par 10 à bien plus de 100 km de la centrale nucléaire, par 100 à quelques 60 ou 70 km de distance et quand l'on considère un périmètre d'une cinquantaine de kilomètres certaines valeurs dépassent de 1 000 fois le niveau normal. Il s'agit là de zones où les populations n'ont été ni évacuées, ni confinées. Et ces niveaux d'exposition ne correspondent pas à des élévations ponctuelles des flux de rayonnements. Rappelons qu'une valeur de 8 μSv/h (qui ne constitue pas un maximum) correspond à 64 μSv pour 8 h de présence et à 1 152 μSv sur 18 jours, soit une valeur supérieure à la limite de dose maximale admissible sur 1 an (1 mSv). Et si les gaz radioactifs ont pénétré, comme nous le pensons, à l'intérieur des habitations, il faut calculer les doses d'exposition externe sur la base de 24 h/jour (on arrive alors à plus de 3 mSv/an, soit 3 fois la limite de dose maximale admissible sur 1 an).
Contamination externe à cause du dépôt des particules radioactives sur la peau et les cheveux (une contamination qui peut très facilement se transformer en contamination interne si la peau comporte des blessures ou de simples microlésions ; si les doigts sont portés à la bouche, aunez ; si la personne manipule des aliments sans s'être lavé les mains ; si les aérosols déposés sur les cheveux sont remis en suspension et inhalés...) ;

Contamination interne par INHALATION des aérosols et gaz radioactifs présents dans l'air : parce que l'on ne peut pas s'arrêter de respirer, parce que les simples masques à poussières portés par la population ne procurent AUCUNE PROTECTION contre les iodes radioactifs gazeux dont l'air est chargé ; parce que le confinement à l'intérieur des bâtiments est une contremesure de COURT TERME qui n'aurait jamais dû être prolongée sur plus de 15 jours : soit les personnes s'asphyxient parce que le confinement fonctionne, soit il est imparfait, et elles sont alors approvisionnées en oxygène ET en produits radioactifs ! ;

Contamination interne par INGESTION d'eau et d'aliments contaminés : parce que le contrôle des aliments à risque a commencé de façon tardive ; parce que ne sont retirés de la consommation que les aliments dont le taux de radioactivité dépasse les normes, qui sont plus protectrices que les normes en vigueur en France et en Europe, mais qui restent quand très élevées (2).
Pour calculer la dose de rayonnement reçue par une personne, et évaluer ainsi le risque sanitaire auquel elle est exposée, il faut tenir compte de toutes les voies d'exposition, interne et externe, de tous les radionucléides, de tous les aliments. Ce travail est difficile à réaliser étant donné l'absence de mesure sur les débits de dose dans les zones les plus exposées pendant tout le début de la crise, la rareté des contrôles relatifs à la contamination de l'air, les interrogations sur la composition isotopique des rejets radioactifs, l'absence de résultats sur les niveaux d'exposition à l'intérieur des habitations où la population est confinée (rayon de 30 km).

Depuis une dizaine de jours, les résultats se multiplient. Du fait de l'urgence, la stratégie de prélèvement et d'analyse manque de cohérence et beaucoup de chiffres sont inutilisables pour l'évaluation des doses et des secteurs à risque : mesures de débits de dose ponctuels, mesures d'activité surfacique en becquerels, sans mention des radionucléides concernés, etc. Cependant, de nombreux résultats, même ponctuels, témoignent du niveau de risque auquel les populations sont confrontées. La CRIIRAD publiera demain une première synthèse des éléments qu'elle a collectés.

Compte tenu de l'importance de la contamination, compte tenu de l'impossibilité de prévoir quelles quantités de produits radioactifs seront encore rejetés demain, après-demain... dans l'atmosphère, la CRIIRAD réitère son appel aux autorités japonaises pour que le maximum soit fait pour évacuer la population bien au-delà du rayon de 20 km et pour apporter aux populations les plus affectées le maximum de produits alimentaires non contaminés. Elle appelle également la communauté internationale à apporter tout l'aide logistique et financière possible pour que les interventions se fassent au plus vite. Tant de jours ont déjà été perdus !

Corinne CASTANIER

(1) « Alerte maximum pour éviter la catastrophe écologique » - Dauphiné Libéré du 30 mars 2011. Une « catastrophe » somme toute assez limitée : « « A l'échelle planétaire ou même à l'échelle du pacifique, cela ne créera aucun problème. Mais à proximité immédiate du Fukushima, il va falloir envisager une interdiction stricte de la pêche » durant des mois estime Simon Boxelle, professeur au centre national d'océanographie de l'université de Southampton ».

(2) Cf. communiqué CRIIRAD du 20 mars 2011.