Une infrastructure exceptionnelle, qui devait être l'orgueil de la Colombie, prend l'eau: avant même d'être terminée, Hidroituango, la plus grande centrale hydroélectrique du pays, semble fragilisée par une faille géologique et menace plus de 130 000 habitants de la région.
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© InconnuLe Hidroituango
Des experts n'écartent pas que des erreurs d'ingénierie et de planification, ainsi qu'une politique de moindre coût dans la conception, aient mis en péril ce projet. Mais il est encore tôt pour tirer des conclusions définitives.

La construction de cette centrale, visant à couvrir un cinquième des besoins énergétiques de la Colombie, a débuté en 2010, pour un coût dépassant les trois milliards de dollars. Le lac artificiel devait à l'origine être rempli au 1er juillet.

Mais il y a une quinzaine de jours, un glissement de terrain a bloqué un tunnel de déviation du Cauca, deuxième fleuve du pays qui alimente la centrale. Le lac a alors commencé à se remplir alors que la digue n'était pas achevée.

Le principal actionnaire du projet, Entreprises publiques de Medellin (EPM), a accéléré les travaux, tout en habilitant la salle des machines du barrage comme conduit d'écoulement.

Samedi dernier, sous la puissance de l'eau, le tunnel de déviation s'est débouché, provoquant une crue brutale.

En quelques jours, 5 000 personnes ont dû être évacuées de plusieurs localités, dont Puerto Valdivia, à 40 km du barrage, dans le département d'Antioquia (nord-ouest).

Scénario catastrophe

Quelque 200.000 m3 de terre ayant bouché le tunnel, selon Jorge Londoño, gérant d'EPM, la salle des machines était la seule issue. Mais mercredi, un nouveau glissement de terrain, cette fois à l'intérieur, a provoqué d'autres obstructions temporaires.

Si la salle des machines s'effondrait, "il y aurait un risque sérieux que cela génère une montée significative et incontrôlée du niveau du Cauca", ont averti Luis Perez, gouverneur d'Antioquia, et Federico Gutierrez, maire de Medellin, chef-lieu du département.

Dans une lettre au président Juan Manuel Santos, ces élus ont demandé de l'aide face à une situation qu'ils ont qualifiée de "critique" et à "risque" pour plusieurs municipalités comptant au total 130.000 habitants.

Selon des experts, si l'eau déborde du barrage, haut de 220 mètres, cela pourrait éroder la structure et emporter dans le fleuve des centaines de tonnes de matériaux.

"Nous sommes en alerte maximale", a affirmé le gérant d'EPM, en décrivant "le pire des scénarios": l'effondrement de l'infrastructure, qui pourrait affecter jusqu'à quatre départements.

Les efforts d'EPM vise à rehausser le barrage pour évacuer l'eau par le déversoir, a-t-il ajouté. Mais des pluies torrentielles compliquent ce travail.

Un expert en géologie et ingénierie, José Hilario Lopez, a écrit dans le journal El Mundo de Medellin que "très probablement" la cause de l'"accident" serait une réduction des coûts dans la conception et l'exécution.

EPM affirme pour sa part qu'il s'agit d'une "condition géologique imprévisible".

L'entreprise a défendu le projet, qui selon les experts est passé en 2015 en "phase d'accélération" pour respecter la date prévue de remplissage du lac en juin.

Réfugiés dans la montagne

Les travaux sont assurés par le consortium CCC Ituango, composé des entreprises brésilienne Camargo Correa (55 %), et colombiennes Conconcreto (35 %) ainsi que Coninsa-Ramón H (10 %), qui a remporté l'appel d'offre en 2012.

Camargo Correa a été mise en cause dans l'opération anti-corruption "Lava Jato" qui a mis à jour un réseau de pots-de-vin au sein de l'appareil étatique brésilien, avec des ramifications dans des dizaines de pays.

A Puerto Valdivia, Eudes Areison et les siens sont parmi des centaines de familles évacuées samedi. Ils ont grimpé dans la montagne lorsque les eaux du Cauca ont commencé à mouiller les murs de leur modeste foyer.

"Nous étions à la maison, tranquilles car nous avions parlé avec les pompiers et ils nous avaient dit que ce n'était pas grave (...) Tout d'un coup, la maison a été inondée", a raconté à l'AFP cet homme de 30 ans, en accusant EPM des dégâts.
"Ils n'ont pas écouté ce que disaient les paysans, nous qui connaissons ces terres", ils étaient "pressés de générer de l'énergie rapidement, et regardez le résultat", a déploré Genaro Graciano, de Rios Vivos Antioquia (Rivières vivantes d'Antioquia). Ce mouvement écologiste a en outre dénoncé l'assassinat de quatre militants opposés à Hidroituango.
Un groupe de 25 députés du Parlement européen a en outre demandé la suspension des travaux pour récupérer les corps de victimes du conflit armé avant le remplissage du lac.

Mais le gérant d'EPM a assuré que tous les cadavres avaient été exhumés et qu'en outre l'entreprise recensait les habitants sinistrés par l'inondation, auxquels elle garantit indemnisations et logement.