Les vendeurs de drogue encerclent le Collège de Saint-Roch à Lausanne. Ce qui favorise les contacts avec les enfants. Certains affirment avoir été accostés, rapportent des enseignants de l'école. Les autorités relativisent.

Cannabis
© Giorgos Georgiou/ Global Look Press
Fernand Melgar dénonce, depuis dix jours, le deal de rue dans son quartier du Maupas à Lausanne. Selon lui, les enfants du Collège de Saint-Roch sont menacés par les trafiquants. Ce que les autorités contestent. Dans cette polémique, la direction de l'école semble avoir tenté de museler son corps enseignant. La semaine dernière, elle lui a adressé ce message sur le tableau de la salle des maîtres: «Ne parlez pas aux journalistes, vous avez un devoir de réserve.» Ce qui a suscité beaucoup de réactions dans l'établissement. «Ils veulent nous faire taire. Eh bien nous allons témoigner», explique un enseignant que nous avons rencontré. Il explique que cela ne sert à rien d'occulter le problème. Pour le résoudre, il faut accepter la réalité de la drogue aux alentours de l'établissement et en parler.

«Oui, je vous le confirme, les dealers de rue abordent nos élèves, explique une autre enseignante. Je n'ai jamais constaté personnellement ces prises de contact. Je le sais parce que ce sont les enfants eux-mêmes qui nous le racontent.» Les dealers s'adressent aux plus âgés - les élèves de Saint-Roch ont entre 10 et 16 ans. Ils demandent le numéro de téléphone aux jeunes filles. Ils proposent de la drogue aux garçons: cocaïne, marijuana et autres substances.

«Généralement, les enfants refusent, ne répondent pas. Et cela s'arrête là», racontent ces enseignants. De mémoire, ils évoquent deux cas qui ont dérapé. Des histoires de vie tourmentées qui auraient peut-être de toute façon mal tourné. «Mais la présence de la drogue aux portes de l'école n'a rien arrangé», poursuivent-ils. Dans un cas, l'élève dit avoir consommé et dealé pour son compte. «Il a quitté l'établissement. Nous ne savons pas ce qu'il est devenu.»

Du matin au soir

Les contacts entre les enfants et les vendeurs sont inévitables. L'établissement primaire et secondaire de Saint-Roch est planté au centre-ville, au cœur de la scène ouverte de la drogue lausannoise. Les trafiquants encerclent le collège. Il y en a plus d'une vingtaine, parfois davantage. Ils sont au coin de la rue, dans le parc adjacent. «Mais ils n'entrent jamais dans l'enceinte de l'école.» Les revendeurs font ainsi le pied de grue, partout et tout le temps. «Nous les croisons à 8 h. Et nous les recroisons en fin de journée à 17 h. Ce sont toujours les mêmes personnes, placées au même endroit. Ils semblent s'être approprié et divisé le territoire entre eux.»

Les enfants aussi remarquent cette omniprésence. Ils croisent les dealers et leurs clients le matin pour aller à l'école, à midi devant le réfectoire et le soir. Vendredi, nous avons rencontré plusieurs élèves à la sortie de l'école. «Ils me font peur, raconte une petite fille de 11 ans. Ils ont un regard bizarre, comme s'ils avaient fait quelque chose de mal.» Un autre élève (12 ans) dit qu'il a parfois l'impression qu'un vendeur le suit: «Alors je cours hypervite pour rentrer chez moi.»

Les enfants ne sont pas dupes. Ils connaissent déjà tout du métier de vendeur de drogue: «Parfois ils font semblant de cracher dans un mouchoir. Ils le déposent dans une poubelle à côté de l'école et un complice vient le récupérer.» Les élèves savent même où les dealers cachent la marchandise. «Mais nous n'y touchons pas.»

Les parents sont inquiets. Ceux qui habitent le quartier de Saint-Roch jurent vivre un enfer. Une maman avoue: «C'est insupportable pour un parent de se dire que son enfant doit vivre au milieu des dealers.» Elle nous rappelle que les trafiquants travaillent aussi le week-end. Et ils n'envahissent pas seulement les alentours de l'école, mais tout le périmètre de cette zone du centre-ville qui est fortement densifiée. Ils alternent le pied de grue avec des marches entre les immeubles et les espaces de jeu. «Les trafiquants s'introduisent dans les immeubles. Ils apprécient nos jardins pour y cacher la drogue. Ils viennent aussi pour faire pipi», poursuit-elle.

Mais il y a pire, selon cette maman: «Le harcèlement de rue.» Les dealers, qui sont majoritairement de jeunes migrants d'Afrique noire, sont devenus lourdingues. Depuis un an, ils interpellent les femmes. Ce qu'ils ne faisaient pas avant. «L'automne dernier, j'étais avec ma fille de 13 ans. L'un d'entre eux a appelé ma fille «baby». Il lui a fait des allusions à caractère sexuel. Il m'a insultée.» Depuis, la mère et sa fille baissent les yeux face aux vendeurs. Elles évitent désormais les zones de deal et prennent un autre chemin pour rentrer à la maison.

La police n'a pas constaté de plainte liée à ce type de harcèlement. Quant aux autorités scolaires, elles démentent vouloir occulter la réalité d'un «problème d'ordre public qui dépasse totalement l'école». Elles reconnaissent que les contacts entre les enfants et les vendeurs sont inévitables. «Ces questions sont travaillées avec les élèves dans le cadre de séances régulières de prévention», détaille Alain Bouquet. Le directeur général de l'enseignement obligatoire du canton de Vaud précise qu'il n'a pas connaissance de cas d'élève consommateur ou revendeur de drogue. Et il dit n'avoir reçu aucune lettre de parents pour dénoncer des faits ponctuels ou réclamer des mesures. (TDG)