Après les déboires de Chelsea Manning et de Julian Assange, un nouveau lanceur d'alerte, Daniel Hale, vétéran de l'armée américaine, risque un demi-siècle de prison. Il est accusé d'avoir divulgué des documents classifiés sur les drones tueurs.
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© InconnuDaniel Hale
Le 9 mai 2019, Daniel Hale, ancien analyste de l'Agence de sécurité nationale américaine (NSA) en Afghanistan, devenu militant, a été arrêté à Nashville (Tennessee). Il a été inculpé par une cour fédérale de cinq chefs d'accusation relatifs à la divulgation d'informations classifiées à un journaliste. S'il est reconnu coupable, il risque 50 ans de prison.

Cet activiste de 31 ans est suspecté d'avoir fourni des documents sur les drones tueurs au média d'investigation en ligne The Intercept. Ils ont servi de base au dossier brûlant intitulé The drone papers, écrit par le journaliste Jeremy Scahill en 2015.

Jeremy Scahill n'a pas révélé sa source, mais l'acte d'accusation détaille le fait que le lanceur d'alerte Daniel Hale est entré en contact en 2013 avec un journaliste de The Intercept, sans le nommer. Des photos en témoignent.


L'acte accuse Daniel Hale, alors employé à l'Agence de renseignement géospatial (NGA), d'avoir imprimé 36 documents et d'en avoir fourni au moins 17 à un reporter de ce média, dont 11 étaient classés top secret ou secret.

Après une première audition, Daniel Hale a été relâché dans l'attente de la seconde, le 17 mai, selon le média Air Force Times. Son avocate Jesselyn Radack, qui est aussi celle du célèbre Edward Snowden, s'est fait l'écho de son inculpation sur Twitter, et dénonce : « Un lanceur d'alerte de plus est emprisonné pour de présumées révélations sur les attaques létales de drones sur des civils innocents. »

« Si vous regardez les charges qui pèsent contre lui, il est uniquement accusé d'avoir été un lanceur d'alerte », a affirmé l'avocate, citée dans le New York Times. « Il a contacté un journaliste pour évoquer un sujet de la plus haute importance qui avait été étouffé dans le secret », a-t-elle ajouté.

A la suite de l'arrestation, The Intercept a publié un communiqué dans lequel sa rédactrice en chef Betsy Reed explique ne pas faire de commentaire sur ses sources et évoque les informations révélées. « Elles sont d'une importance publique vitale, et l'activité liée à leur divulgation est protégée par le premier amendement. Le lanceur d'alerte présumé est passible de 50 ans de prison. Personne n'a jamais été condamné pour le meurtre de civils dans une attaque de drones », est-il écrit.

L'association Reporters sans frontières (RSF) s'est montrée très inquiète. « C'est la troisième fois que l'administration Trump poursuit un lanceur d'alerte en invoquant la loi sur l'espionnage (Espionnage Act) », écrivent-ils dans un communiqué. Les deux autres vigies sont l'ancien contractuel de la NSA Reality Winner et l'agent du FBI Terry Albury, qui ont été jugés et condamnés, respectivement à cinq et quatre années de prison, pour avoir également divulgué des informations à The Intercept.

« La poursuite d'individus comme Daniel Hale au nom de la loi sur l'espionnage est une menace directe contre le journalisme d'investigation, qui doit souvent s'appuyer sur des lanceurs d'alerte pour divulguer des informations d'intérêt public », a dénoncé Sabine Dolan, directrice par intérim de RSF Amérique du Nord. « Les lanceurs d'alerte doivent être protégés davantage et le recours quasi systématique à la loi sur l'espionnage contre les lanceurs d'alerte doit cesser. » L'Espionage Act est une loi datant de l'époque de la Première Guerre mondiale qui criminalise la divulgation à une personne non autorisée de secrets d'Etat susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale.

Le recours massif aux drones de combat fait des victimes civiles

Selon le dossier de The Intercept, la « source » a décidé de « fournir ces documents » au magazine car elle jugeait que le public avait le droit de comprendre le processus menant à placer « des personnes sur des listes d'ennemis à éliminer [avant de] finalement [les assassiner] selon des ordres émanant des plus hauts échelons du pouvoir américain ».

« Cette scandaleuse profusion de listes de surveillance, pour observer les gens, les ranger et les compiler dans des listes, leur attribuer des numéros, des cartes de baseball, des condamnations à mort sans préavis, sur un champ de bataille mondial - c'était, depuis le départ, mal en soi », a-t-il déclaré au reporter.

Devenu lanceur d'alerte et militant anti-drones de combat, Daniel Hale avait déjà été inquiété par des agents du FBI qui avaient fouillé son domicile en 2014. Il avait alors appris qu'une enquête était lancée à son encontre pour espionnage. Il a fait l'objet d'un documentaire primé de 2016, National Bird, sur la guerre secrète des drones. Daniel Hale est aussi une des figures de l'association About Face, Veterans against the War - les vétérans contre la guerre.

Les documents fuités sont issus de la période comprise entre 2011 et 2013, durant le mandat de Barack Obama, et dévoilent des « opérations militaires américaines d'assassinat dans un moment charnière de l'évolution de la guerre des drones », selon The Intercept.

Les articles des Drone Papers décrivent le programme américain d'opérations d'assassinats ciblés menées par les Etats-Unis depuis 12 ans, hors zone de guerre, avec des drones armés. Ils dévoilent le caractère systématique des opérations meurtrières, au détriment de toute tentative de traduire les personnes visées en justice, et leurs dommages collatéraux sur les civils. Le dossier s'interroge aussi sur le choix des cibles, qui s'éloigneraient souvent des critères relatifs aux ennemis présentant une «menace imminente pour des citoyens américains». D'autres questions se posent sur les processus secrets et troubles menant à désigner telle ou telle cible.