Déroute de Jean-Luc Mélenchon, succès d'EELV... Djordje Kuzmanovic dresse le bilan des dernières élections européennes, dans lesquelles il ne voit qu'« un sondage en conditions réelles ».
parlement
© SEBASTIEN BOZON / AFPLe Parlement Européen
L'élection européenne a eu lieu. Une moitié des électeurs français a décidé de ne pas y participer. Les tentatives dérisoires des médias de nous le cacher en insistant sur le fait que c'était encore pire la dernière fois n'y changent rien. Les quatre cinquièmes des Français votent à la présidentielle, mais ils ne sont que la moitié à voter pour l'élection du prétendu « parlement » européen.

C'est qu'ils sont bien moins stupides que les perroquets qui se lamentent sur le « désengagement » des « pêcheurs à la ligne » et la « crise de la représentation ». Ils ont bien compris que ce « parlement » était une farce, et que l'essentiel du pouvoir, à Paris, comme à Bruxelles, était dans les mains des exécutifs nationaux - à condition, bien sûr, de ne pas sortir du cadre sacro-saint des traités européens, en dehors duquel « il ne peut y avoir de choix démocratique », selon Jean-Claude Juncker lui-même.

Certains n'auraient voté pour rien au monde, considérant que cela aurait légitimé ce masque démocratique d'une réalité techno-ploutocratique ; d'autres avaient, plus simplement, mieux à faire que de tirer leur poudre aux moineaux - ou plutôt aux Loiseau. Qui les en blâmera ? N'est-ce pas tourner en dérision ce rite noble et grave qu'est le vote républicain, que de l'utiliser en vain ?

Mais ceux qui ont voté, ont-il plus d'illusions sur le « parlement » européen ? On peut en douter. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et le président de la République lui-même ont fait du scrutin un plébiscite pour ou contre ce dernier. On voit donc bien ce qui a motivé leurs électeurs.

L'électeur du RN a pris le président au mot, et Andrea Kotarac n'est certainement pas le seul à avoir voté pour la liste la mieux placée pour le battre - et lui rabattre son caquet. On le voit bien dans les résultats de la France périphérique et désindustrialisée que le président insulte régulièrement depuis son élection.

L'électeur LREM, qui tremble depuis le début du mouvement des gilets jaunes qui envahit - ô sacrilège - les beaux quartiers où d'habitude, « tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté », a voulu faire barrage de son bulletin à la « lèpre populiste ». Ceux que mon ami Régis de Castelnau a appelé plaisamment les Loden-Barbour, soit les électeurs de François Fillon, ont même délaissé leur candidat de cœur, Xavier Bellamy, qui enregistre l'un des pires scores pour les LR aux européennes. La bourgeoisie du Capital a choisi son camp. Tant pis pour le folklore tant que les finances sont biens gardées et celui qui le fait le mieux pour eux n'est autre que Macron.

L'électeur vert, comme c'est devenu habituel aux élections européennes, a voulu envoyer « un message ». Message mou et peu articulé : EELV s'est montré plus efficace pour obtenir des postes de ministres à ses cadres que pour influencer d'une quelconque manière les pouvoirs néolibéraux auxquels il s'allie. Mais comme l'indique le fait que les sondages n'aient pas anticipé le bon résultat de cette liste, le vote « écolo » est souvent la solution pour qui ne sait pas - à l'instant même d'entrer dans le bureau de vote - pour qui voter : aller, un geste pour la planète, cela ne peut pas faire de mal, surtout si c'est gratuit !

L'électeur LR a voté pour un candidat qui a montré que son ignorance des rouages de l'UE n'avait d'équivalent que son engagement pour le conservatisme moral et social - qu'il ne pourra guère défendre à Strasbourg ou à Bruxelles, puisqu'ils dépendent de compétences essentiellement nationales. L'électeur PS a voté pour qu'on puisse lui dire le soir des élections que « la Gauche n'est pas morte », comme l'électeur PCF pour entendre que « le PCF » n'est pas mort.

L'électeur LFI, quant à lui, s'est majoritairement abstenu ; c'est ce qui explique le résultat catastrophique de la liste de Manon Aubry. Il faut dire qu'il y avait de quoi être désorienté par les louvoiements idéologiques de son leader, qui dit blanc à Libération pour dire ensuite noir sur son blog, et par le flou artistique autour du plan B et donc de l'attitude à avoir en définitive face à cette Union européenne.

S'il a voté, c'est pour dire « Ma-non à Macron... » La pauvreté du slogan reflète bien la faiblesse de la campagne, que de brillants stratèges ont cru intelligent de mener sous le signe de l'union de la gauche et de la normalisation des positions vis à vis de l'UE, pour préparer des élections municipales et régionales sur lesquelles, suite à ce désastreux résultat, la France insoumise n'a plus aucune prise, tout l'acquis populaire formidable de la campagne présidentielle de 2017 étant perdu. Les résultats de ce scrutin prouve que la ligne de l'indépendantisme et de la souveraineté étaient bien la bonne, et qu'elle était une condition sine qua non, tel que l'écrivait Jean-Luc Mélenchon dans la préface de l'Avenir en commun (LAEC). Elle était résumée par cette formule : « Cette Europe on la change ou on la quitte ! ».

Voilà le programme politiquement fort qui aurait permis à la France insoumise de triompher lors de ces européennes, ou au moins de réaliser un score en adéquation avec celui des présidentielles de 2017. La nouvelle France insoumise lui a préféré le creux « référendum anti-Macron » qui finalement a profité au Rassemblement national mieux placé pur battre LREM. Dans ses rangs mêmes, avec le tact qui les caractérise, les charognards comme Clémentine Autain demandent déjà la tête du vieux lion alors que les urnes sont à peine vidées. La députée explique que la dégringolade de 19 à 6 % - soit un nombre de voix presque divisé par cinq ! - par rapport à 2017, n'est pas due à l'abandon de l'Avenir en commun qui lui avait alors assuré ce succès, mais au profil trop clivant de Jean-Luc Mélenchon, qui s'est opposé - ô scandale - à l'initiative de Mediapart, de Politis et de Regards (dont, faut-il le rappeler Clémentine Autain est co-directrice) pour promouvoir le droit inconditionnel à l'immigration prôné comme la nouvelle forme de « l'internationalisme ».

Le jour de la victoire du Rassemblement national, c'est original ! Mes prédictions selon lesquelles, au vu de toutes les purges, c'est Jean-Luc Mélenchon lui-même qui finirait par être évincé de son propre parti semblent de moins en moins farfelues - depuis 2016 les gauchistes avaient en ligne de mire le tenant du « nouvel indépendantisme », trop souverainiste à leur goût et peu importe si c'est cette ligne qui leur a assuré leurs actuels emplois.

On le voit, l'exercice a consisté - et les commentaires dans les médias le confirment - en un sondage en conditions réelles, mais avec deux biais importants : il ne prend pas en compte le fait qu'un vote sans importance comme celui-ci ne peut préfigurer un vote décisif ; il ne prend pas en compte la moitié du corps électoral, qui a répondu qu'aucune de ces propositions ne le convainquait.

Plus de soixante-dix personnes seront payées 10 500 euros pendant cinq ans, sans compter leurs nombreux assistants et le coût de fonctionnement de l'institution. Je me garderai bien de faire ce genre de remarques pour des institutions démocratiques comme le parlement français, car la démocratie n'est jamais gratuite, mais il faut bien reconnaître que cela fait cher pour un sondage. Si la démocratie n'a pas de prix, celui du masque démocratique de l'UE est un peu cher... Un plébiscite, un vrai, que ce soit sous la forme d'un referendum ou d'élections législatives anticipées - comme l'a fait le Général de Gaulle à chaque fois qu'il a voulu retremper sa légitimité - aurait été à la fois beaucoup plus clair et beaucoup moins coûteux.

Fort heureusement, l'imprudence du Gouvernement, qui a voulu vendre Aéroports de Paris contre toute rationalité économique, va nous fournir l'occasion de voter, cette fois-ci efficacement. Nous allons pouvoir d'abord participer à la pétition pour réclamer le referendum sur ce sujet, puis - car je ne doute pas un seul instant du résultat - voter à la consultation que le président de la République ne pourra pas éviter de convoquer - sous peine d'un discrédit complet.

Vivement que la campagne commence ! Elle sera plus intéressante que le concours de castors mesurant la hauteur de leurs barrages auquel nous avons assisté ces derniers mois. République Souveraine y prendra toute sa part.