Une « rumeur » se répand comme une traînée de poudre sur le Net suite aux révélations du site « TVGJ » qui évoque dans un récent article qu'un des projets post-élections européennes d'Emmanuel Macron serait de décréter que l'État français devient propriétaire de tous les biens immobiliers. Qu'en est-il vraiment ?
Hôtel Place Beauvau
© InconnuL'hôtel Beauvau, siège du ministère de l'Intérieur
Nous pourrions dire que le simple fait que la « Note d'analyse » dont il est question existe est un révélateur en soi. Émettre le concept d'un État qui deviendrait copropriétaire de tous les biens immobiliers français va extrêmement loin, et selon l'analyse que nous tentons d'en faire plus bas, les Gilets jaunes ont raison de s'en inquiéter, bien que rien à ce jour n'aille dans le sens d'une mise en pratique à l'issue des élections européennes, c'est-à-dire, maintenant.

Media, Monarc et CGSP

20 minutes s'empresse de qualifier cette « rumeur » de « Fake News » s'appuyant sur les réponses de France Stratégies - auteur de la Note d'analyse en question intitulée « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ? » et publiée sur le site stratégie.gouv.fr le 11 octobre 2017 :
« Comme toutes les autres publications de France Stratégie, les opinions exprimées dans cette note engagent uniquement leurs auteurs et n'ont pas vocation à refléter la position du gouvernement », indique France Stratégie à 20 Minutes. Ce que nous confirme en outre le cabinet du Premier ministre : « Cette piste n'a jamais été envisagée, ni étudiée par le gouvernement. ».
Toutefois, France Stratégie est, selon l'article du Le Figaro du 11 octobre 2017 sur le sujet (déjà « polémique »), un think-tank rattaché à Matignon. Si ce think-tank travaille en étroite collaboration avec le Ministère de l'intérieur (comme le prouve l'adresse URL de son site Web), peut-on vraiment imaginer que le Gouvernement Monarc (anagramme de Macron) n'a jamais étudié cette Note d'analyse ? Mais alors, à quoi sert ce « think-tank » - ou devrions-nous l'appeler « institution gouvernementale » ?

Parce qu'il s'agit de fait d'une institution publique, administrativement appelée « Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective » (CGSP), rattachée au Premier ministre, dont le Commissaire général est nommé par décret et qui a été créé sur le conseil du Monarc (anagramme de Macron) par un décret du président François Hollande paru le 23 avril 2013, et donc payée avec nos impôts.

Un think-tank étant la plupart du temps un organisme indépendant, issu de mouvements politiques ou sociaux, le terme think-tank est donc utilisé de façon abusive par Le Figaro dans l'espoir de tromper les lecteurs quant aux liens serrés - et réels - qui unissent France Stratégies et le Gouvernement.

France Stratégies et l'Union européenne

Comme souvent, nous découvrons l'existence d'une officine gouvernementale dans un contexte qui se prête à la faire sortir de l'ombre. Toutefois, cette officine existe depuis 1946, date de sa création. Elle s'appelait alors le Commissariat général au Plan (CGP) et ses activités de planification économique du pays (à titre indicatif) - notamment via des plans quinquennaux - se sont poursuivis jusqu'en 2006. C'est en 2013 qu'elle cesse d'être un organe de planification - sous l'influence libérale de la Commission européenne - et qu'elle prend le nom de « Centre d'analyse stratégique » (CAS), et finalement de Commissariat général à la Stratégie et la Prospective, plus connu sous le nom de France Stratégie.

Sur leur site Web, France Stratégies se définit comme suit :
Organisme d'expertise et d'analyse prospective sur les grands sujets sociaux et économiques, France Stratégie publie des rapports et des notes d'analyse.

Placée auprès du Premier ministre, elle formule des recommandations au pouvoir exécutif, organise des débats, pilote des exercices de concertation et contribue à l'évaluation ex post des politiques publiques.

Elle prend en compte la dimension territoriale et donne aussi à ses travaux une perspective européenne et internationale. Créée par un décret du 22 avril 2013, France Stratégie a pris la suite du Commissariat général du Plan (1946-2006) et du Centre d'analyse stratégique (2006-2013).

Son organisation s'articule autour de 4 départements thématiques : Économie ; Travail, emploi, compétences ; Société et politiques sociales ; Développement durable et numérique.
« France Stratégie contribue à la programmation stratégique de l'action des pouvoirs publics sur le moyen terme, en participant à la réflexion sur le cadre de cohérence des réformes à venir. » Gilles de Margerie[1], Commissaire général
France Stratégies
© France Stratégies
Les missions de France Stratégie

Anticiper les mutations

En élaborant des instruments de prospective à moyen et long terme.

Proposer des options de politiques publiques
En mobilisant les expertises, les comparaisons internationales et en s'appuyant sur les évaluations.

Évaluer les politiques publiques
Avec une méthodologie rigoureuse pour une action publique plus efficace, éclairée par la preuve.

Débattre avec toutes les parties prenantes
Pour les associer à l'élaboration des évaluations, de la prospective, et des propositions.
Pour faire bonne mesure et comprendre l'intitulé exact de la Note d'analyse en question « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ? », il fallait bien que le Conseil ou la Commission de l'Union européenne soit spécifiquement mentionné quelque part :
Le Conseil national de productivité

Suite à la recommandation du Conseil de l'Union européenne, le Conseil national de productivité (CNP) français a été institué le 23 juin 2018. Il siège au sein de France Stratégie. L'objectif du CNP est d'analyser les déterminants et les évolutions de la productivité et de la compétitivité en France et en zone euro.
« L'objectif du CNP est d'analyser les déterminants et les évolutions de la productivité et de la compétitivité en France en tenant compte notamment des aspects liés à la zone euro. »

Une des missions du Conseil de l'Union européenne - parfois appelé Conseil des ministres de l'Union européenne au sein duquel les ministres nationaux adoptent des actes législatifs et coordonnent les politiques de l'UE - est de définir les grandes orientations des politiques économiques, plus connues sous le nom de GOPÉ. Cette mission s'effectue en concertation avec le Conseil européen et la Commission européenne, et le Parlement européen n'en est ensuite qu'« informé ».

Nous comprenons mieux à ce stade quel peut être l'influence de France Stratégies - pardon, du Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective - sur ces grandes orientations à adopter par les États membres de l'UE, et notamment par la France.

Mais alors qu'en est-il de cette « Note d'analyse » dont il est fait référence par les Gilets jaunes ? Tentons de voir cela en détail dans un premier temps en décryptant le plus succinctement possible les trois voies présentées par les Hauts Stratèges spoliateurs du Commissariat général.

La dette publique des États membres de l'Euro
Les niveaux actuels de dette publique ne sont pas une fatalité et seront amenés à se résorber progressivement, sous les effets combinés de l'ajustement budgétaire, de la croissance et du retour à une inflation un peu plus forte (qui jouent à la fois sur le niveau du déficit et sur le niveau de dette rapporté au PIB). Ceci est valable pour tous les pays, y compris les plus endettés. Mais la question demeure de savoir si cette résorption programmée des ratios de dette, appuyée par une stratégie d'ajustement budgétaire ambitieuse conforme aux règles de surveillance instaurées au niveau européen, sera suffisante et assez rapide.
La « Note d'analyse » (détaillée) présente ensuite des graphiques projetant « l'évolution du ratio de dette et du solde budgétaire structurel jusqu'en 2040 des pays de la zone euro. ». Prévoir l'économie à horizon de 23 ans (2017-2040) n'est pas une mince affaire, d'autant qu'au-delà de cinq années, il s'avère que c'est mission impossible selon Jean-François Bouchard, économiste, consultant de plusieurs grandes institutions financières dont le FMI, et qui publie cette année L'Éternelle truanderie capitaliste :


Plus loin, il est précisé que ces projections « supposent le strict respect des règles européennes en matière d'ajustement budgétaire dans un contexte où chaque pays ferait face à l'inflation et aux taux d'intérêt qu'il a connu en moyenne du début des années 2000 jusqu'à la crise de 2008 », et que « chaque pays est supposé suivre le sentier de croissance potentielle anticipée par la Commission. »

Ils sont vraiment très forts à la Commission européenne... Ils anticipent. Ils écrivent des romans d'anticipation, des storytelling à la voie bien pavée et celui qui ose sortir des sentiers battus de la dogmatique toute puissance financière sera abattu. Voir la Grèce.

Au passage, petit décryptage d'une phrase relative à cette anticipation :
Sur un horizon d'un peu plus de dix ans (2030), les baisses obtenues sont substantielles : de l'ordre de 20 points de PIB en moyenne.
Il eut fallu écrire « les baisses obtenues seraient... ». Mais ils ne sont pas à ça près, n'est-ce pas ? Transformer un conditionnel en affirmation au présent permet d'affirmer une chose qui n'existe pas, c'est un vœu pieux. Le problème ici, c'est qu'il s'agit d'un vœu pieux dangereux qui transforme un résultat impossible (à cause de la limite des prévisions économiques comme vu plus haut dans la vidéo) en fait établi. Ou comment vendre l'invendable.

L'engagement des États membres pour résorber les dettes publiques
Une première voie pour renforcer la capacité de certains États à faire face à leur niveau élevé de dette publique consiste à renforcer la crédibilité de la démarche actuelle, fondée sur une politique budgétaire rigoureuse et conforme aux traités européens. La réussite d'une telle démarche est certes possible, mais, même dûment suivie, elle n'est pas acquise compte tenu de l'incertitude entourant les conditions économiques futures. Dans ces conditions, une solution consiste à rendre la soutenabilité de la dette d'un État moins sensible aux évolutions du cycle économique et aux sentiments de marché.
Ici dans la première voie présentée, la « Note d'analyse » admet que la démarche est possible et non pas factuelle, et elle admet aussi son incapacité à prévoir avec certitude les conditions économiques futures. Donc, des chiffres nous sont d'abord présentés comme étant observables et donc réels - alors qu'ils ne le sont pas - pour ensuite nous expliquer que rien n'est sûr. Voici la solution :
En théorie, la mise en place d'obligations indexées sur la croissance du PIB (OIC) permet d'y parvenir.
[...]
Cependant, pour séduisante qu'elle soit, et bien qu'elle ait bénéficié d'un regain d'intérêt depuis la crise [de 2008 sans doute], en pratique, l'émission d'OIC n'a jamais fait l'objet de mise en œuvre à grande échelle, en dehors de certaines restructurations de dettes.
[...]
Pour améliorer de manière significative la résilience à un choc macroéconomique négatif d'un pays européen engagé dans une politique de redressement de ses finances publiques, une proposition alternative consiste à faire porter ce risque conjointement par les États de la zone euro, via le Mécanisme européen de stabilité.
Une solution théorique qui n'a jamais fait l'objet de mise en œuvre à grande échelle... Tout un programme... d'anticipation, ne l'oublions pas. Poursuivons :
Cependant, un rachat de dette sur le marché secondaire, échangée contre des OIC, ou un financement direct via des OIC consommerait une part trop importance de ses ressources. Surtout, ceci conduirait le MES à supporter, en sus du risque de croissance, le risque de défaut de l'État membre concerné. Cette option est donc exclue non seulement pour des raisons de faisabilité technique, mais aussi et surtout pour des raisons d'acceptabilité politique.
Encore une solution qui tombe à l'eau mais les analystes n'ont pas dit leur dernier mot :
La solution consiste dès lors à permettre au MES de rentrer dans un contrat de swap d'intérêts avec un État fortement endetté qui s'engage durablement dans un processus de redressement de ses finances publiques.
[...]
Dans ce cas, la solidarité dont font preuve les autres États de la zone euro est réelle, ce qui renforce l'adhésion collective à la démarche de redressement des finances publiques inscrite dans les traités européens. Mais elle demeure conditionnelle et mesurée. Conditionnelle, car le contrat de swap d'intérêts suppose, pour être honoré, que l'État aidé remplit ses engagements en matière d'assainissement de ses finances publiques. Mesurée, car elle ne porte pas sur le risque de défaut du pays considéré, mais sur la volonté de le soutenir au cas où il traverserait une conjoncture économique difficile au moment même où il remplit cet engagement.
Bref, si les autres membres de la zone Euro ne veulent pas aider le pays en difficulté et/ou si ce dernier ne peut pas assainir ses finances publiques, c'est encore une solution qui tombe à l'eau.

Et c'est maintenant que la solution miracle arrive, celle qui permettrait à n'importe quel État de la zone Euro de régler sa dette publique sans aucun soutien extérieur, et d'enrichir toujours les mêmes au passage.
Illustration impots Macron
© Miss Lilou
L'instauration d'un impôt exceptionnel
Pour assurer la soutenabilité d'une dette publique considérée comme excessive, cette fois sans que l'État concerné dispose d'aucun soutien extérieur, la seule solution consiste à augmenter, d'une façon ou d'une autre, la capacité de cet État à lever l'impôt ; en d'autres termes, augmenter le poids futur des prélèvements obligatoires, sans pour autant que cela déprime la trajectoire de croissance de son économie.
Il s'agit de la deuxième voie présentée par France Stratégies. Si cette voie était mise en œuvre dans un certain contexte (que nous ébaucherons plus bas), les samedis de Gilets jaunes n'ont pas fini de déambuler dans les grandes villes de France et de tenter de s'installer (à nouveau) sur les ronds-points.
Les vingt dernières années ont été marquées par une forte progression des dettes publiques, mais aussi par une hausse encore plus forte du patrimoine net des ménages, en particulier de leur patrimoine immobilier.
L'immobilier en question ici toucherait aussi bien les ménages propriétaires que les ménages locataires, par voie de conséquence :
Concrètement, une façon de procéder consisterait en ce que l'État décrète qu'il devient copropriétaire de tous les terrains construits résidentiels, à hauteur d'une fraction fixée de leur valeur, et que ce nouveau droit de propriété est désormais incessible. En conséquence, l'État deviendrait créditeur d'une somme annuelle, correspondant à une part de la fraction de la rente immobilière associée à la copossession du terrain. Concrètement, cette rente immobilière elle-même équivaut à une partie du loyer qu'un propriétaire touche lorsqu'il loue son bien, celle qui relève de la rémunération du droit d'occupation du sol (actif non produit), l'autre partie correspondant au paiement par le locataire d'une consommation de service de loge-ment, lié à l'occupation de la maison ou de l'appartement loué (actif produit).
Et ce n'est pas tout :
Tout propriétaire*, désormais redevable de cette somme à l'État, pourrait choisir de ne pas la payer. Dans ce cas, la fraction du terrain possédée par l'État augmenterait d'autant d'année en année. L'État récupérerait alors la somme due lors de la première transaction qui interviendrait sur le bien immobilier, lors de la vente ou de la transmission à un héritier.
* En note de bas de page, il est stipulé que « C'est bien l'ensemble des propriétaires de biens immobiliers résidentiels qui sont concernés, les ménages ou les sociétés. ».
La décision de mettre en œuvre une telle mesure constituerait évidemment un choc politique de très grande ampleur, mais elle doit être jugée à l'aune des enjeux auxquels un pays très endetté doit faire face.
Nul doute qu'aux yeux des pilleurs d'États, cette deuxième voie « crédibiliserait la capacité de l'État à rembourser sa dette ». Elle entraînerait aussi une baisse instantanée de la valeur des biens immobiliers : « les transactions immobilières ne pourraient se faire désormais que sur un bien qui ne recouvrerait, en plus de la construction elle-même, qu'une partie seulement de la valeur du terrain, celle qui resterait possédée par le propriétaire cédant. ».

La troisième voie présentée est celle de la BCE. Nous ne nous attarderons pas dessus, juste pour préciser que :
La banque centrale est un agent économique d'une nature particulière, dans la mesure où il a la capacité de créer ex nihilo de la monnaie banque centrale de manière illimitée. À la différence d'un agent économique classique qui doit financer ses achats avec son propre bilan, ou en contractant une dette qu'il lui faudra rembourser, une banque centrale est en théorie libre d'émettre de la monnaie banque centrale pour financer ses achats.
En 2017, la BCE avait injecté en zone euro près de 4 000 milliards d'euros depuis 2011, dont une partie se retrouvent en Allemagne et au Luxembourg... Le coût du sauvetage des quatre grosses banques de l'Hexagone a atteint la bagatelle de 30 milliards d'euros payés par les contribuables, contrairement aux déclarations des patrons du secteur, affirmant qu'ils (les contribuables) n'avaient quasiment rien déboursé.

Maintenant que nous avons succinctement décrypté cette « Note d'analyse » et ses trois voies, nous pouvons nous intéresser à sa faisabilité dans un contexte donné.

Selon Wikipédia, les idées de cette Note d'analyse auraient en 2017 été qualifiées de « farfelues » par le ministère de l'Intérieur qui aurait « demandé à l'institution de se recentrer sur sa mission et sur les réformes en cours ». Le Figaro titrait alors « Taxe sur la propriété : la colère de Matignon après la polémique », son article sensé nous faire croire qu'« Édouard Philippe n'a pas du tout apprécié une étude publiée par "le laboratoire d'idées public" ». En politique, il n'y a pas de hasard, et les tenants du pouvoir sont surtout furieux de voir leur idée éventée et mise sur la place publique ce qui les empêche dès lors de procéder en douceur, l'air de rien...

Il s'agit d'une stratégie de manipulation de masse nommée la stratégie de la porte-au-nez, « utilisée par les professionnels du marketing pour modeler, à notre insu, nos idées, nos goûts et nos façons de consommer » ou d'accepter une idée inacceptable :
« Cette façon de procéder, qui revient à formuler une requête trop importante pour qu'elle soit acceptée avant de formuler la requête qui porte sur le comportement attendu, une requête de moindre importance, correspond à une nouvelle stratégie de manipulation : la stratégie de la porte-au-nez. Sans doute les spécialistes anglo-saxons ont-ils choisi cette expression imagée parce que la stratégie en question repose sur un refus initial. C'est encore à Cialdini et ses collaborateurs (Cialdini, Vincent, Lewis, Catalan, Wheeler et Darby, 1975) que l'on doit la première réalisation expérimentale du phénomène de porte-au-nez. »

Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois
Vieille ficelle politicienne utilisée par Matignon et Édouard Philippe pour feindre de s'offusquer d'une proposition n'émanant pas directement des pouvoirs en place. Pas directement, mais assez directement quand même. S'insurger face à des idées néfastes pour ensuite les transformer en Fake News qui décrédibilisent les lanceurs d'alerte, en l'occurrence ici, les Gilets jaunes.
Les trois voies explorées ici présentent inévitablement un caractère inédit et radical, que certains iront jusqu'à qualifier de dangereux. Elles soulèvent des difficultés politiques et juridiques évidentes. Le débat mérite néanmoins d'être abordé à froid, afin d'éviter d'avoir à prendre dans l'urgence des décisions non préparées en cas de choc économique d'envergure survenant dans la zone euro.
Il suffirait de brandir l'article 49.3, dispositif permettant de faire passer une loi au Parlement sans vote des députés, et ce ne serait pas la première fois que l'État français organise le vol de ses administrés, avec une simple ordonnance, sans débat, sans loi. Ou encore de faire passer une simple ordonnance, comme ce fut le cas pour la directive passée inaperçue à la faveur de l'été 2015 : si votre banque fait faillite, elle peut se renflouer en aspirant vos comptes, sans plus de façons. Pour le moment, « les dépôts sur un compte courant, livret bancaire, compte à terme, PEL, CEL, livret Jeune ou compte-espèces d'un PEA sont couverts jusqu'à 100 000 euros, par client et par banque. ». Qu'en serait-il si la crise était grave au point que l'on nous explique (ou pas) qu'il faille ponctionner tous les comptes courants sans plafond ? On a vu en 2015 les épargnants italiens échapper de justesse à la ponction de leurs comptes.
Illustration Macronie
© Allan Barte
Bien sûr, en l'état, il ne s'agit que d'une piste de réflexion que l'on ne peut encore qualifier de projet assorti d'une réelle mise en œuvre. C'est toutefois une piste tellement bien présentée et qui peut s'avérer tellement tentante pour la clique sans foi ni loi au pouvoir qui envisage - depuis 2017 peut-être - de la transformer en grande spoliation nationale sous couvert d'une Loi - inique - passée en force dans un contexte d'urgence. Les dépenses pharaoniques de l'État et du Monarc achèvent de brûler la chandelle par les deux bouts et la France est déjà partiellement en liquidation à travers les privatisations tous azimuts au sein d'un marché ultra libérale globalisé, qui surveille ses citoyens par le biais du tout numérique au nom d'un idéal irréaliste qui bafoue le droit de propriété inscrit dans la Constitution des droits de l'Homme. L'indépendance acquise par les foyers français devenus propriétaires par leurs efforts et leurs sacrifices leur serait ainsi reprise par ceux qui - totalement déconnectés de la vie réelle, de cette France « d'en bas » - décident de façon unilatérale de ce que devrait être notre vie.

« L'État est le mécanisme par lequel un petit groupe de privilégiés vit aux dépens de tous les autres ». Pour citer Frédéric Bastiat :
« Il n'y a que deux moyens de se procurer les choses nécessaires à la conservation, à l'embellissement et au perfectionnement de la vie : la PRODUCTION et la SPOLIATION. »(Physiologie de la Spoliation,dans Sophismes économiques vol. II)
Un élément clef de la spoliation qui la distingue de l'acquisition de la richesse par l'échange volontaire, c'est l'usage de la violence conjointement à ce qu'il appelle « la Ruse ». À l'intérieur de la catégorie de la « spoliation », deux types principaux intéressaient Bastiat : la « spoliation illégale », entreprise par les voleurs de grands chemin et autres brigands, et la « spoliation légale », réalisée par l'État sous la protection du système juridique, lequel exempte les gouvernants comme leur administration de se soumettre à l'injonction morale de ne pas s'emparer par la force de la propriété d'autrui.
Les deux citations ci-dessus ainsi que celle qui suit sont tirées de l'article Frédéric Bastiat sur la spoliation légale. Bastiat, brillant économiste français du 19e siècle, a théorisé au fil de ses ouvrages la spoliation de l'État, dénonçant avec brio les travers de l'action étatique et de ceux qui la dirigent. Le relire à l'aune de ce présent article ressemble presque à une nécessité d'ordre morale :
Ce qui émerge d'un examen chronologique de ses écrits, c'est sa compréhension graduelle que l'État (écrit le plus souvent L'ÉTAT) se résume à une vaste machinerie conçue délibérément dans le but de s'emparer de la propriété de certaines personnes, sans leur consentement, afin de la transférer à d'autres. L'autre mot qui revient sous sa plume avec une fréquence croissante durant cette période, toujours pour décrire l'action de l'État, c'est celui de spoliation.
[...]
Bastiat pensait également que l'État moderne, bureaucratique et régulateur, son contemporain, reposait d'un côté sur un mélange de violence brute et de coercition, et de l'autre sur un assortiment de tricheries et de mensonges, les fameux sophismes. La violence et la coercition résidaient pour l'essentiel dans l'impôt, les taxes et les réglementations, que devaient subir les contribuables, les commerçants et les producteurs, tandis que la dimension idéologique à l'appui de la classe actuelle de spoliateurs provenait d'un nouvel ensemble de « sophismes économiques » et « politiques », plus aptes à répandre la confusion parmi les « dupes », à les égarer et à les conduire à soutenir le système. La science de l'économie politique, selon Bastiat, consistait à dénoncer les sophismes économiques du présent, afin de les discréditer complètement, et ainsi dépouiller la classe spoliatrice de sa justification et de son pouvoir.
Un jour prochain peut-être, à la faveur d'un scénario de crise financière - ou de toute autre nature qui entraînerait une crise financière -, que d'aucuns annoncent comme plus systémique que celle de 2008, dans un monde encore plus globalisé qu'il y a onze ans - les propositions présentées dans cette « Note d'analyse » deviendront réalité. Que ce soit à travers l'une ou l'autre ou l'ensemble des voies suggérées. Un jour prochain...

Note

[1] Gilles Jacquin de Margerie est issu d'une famille de hauts fonctionnaires et dirigeants français depuis Louis XIV, et le cousin de feu Christophe Rodocanachi-Jacquin de Margerie, ancien patron de Total tué dans un accident d'avion en Russie en 2014. Il a été nommé en janvier 2018 « commissaire à la stratégie et à la prospective » par le gouvernement Macron après avoir été le directeur de cabinet d'Agnès Buzyn. Son « importante » mission est de conduire la transformation économique que le président de la République et le Premier ministre ont mis en œuvre depuis le début du quinquennat Macron. C'est à ce poste qu'il préside l'organisme de réflexion économique France Stratégie, lui-même dépendant de Matignon.