Au premier plan, un homme d'une trentaine d'années retient son fils par le bras. Derrière eux, des décombres, ceux de sa maison, bombardée par l'aviation israélienne. Face caméra, ce Palestinien raconte comment les soldats israéliens ont visé, puis tué ses deux petites filles, tirant également sur sa mère, et sur lui-même. C'était à Gaza, en janvier 2009, au cours de l'offensive israélienne «Plomb durci», qui fit plus de 1.400 morts, dont au moins 700 victimes civiles palestiniennes. Une guerre dont Gaza-strophe, documentaire de 52 minutes sorti en salles le 16 mars, tente de documenter les effets et conséquences pour les habitants de Gaza.
(film disponible en ligne ici)
Nulle trace d'appel à la haine ni de prosélytisme religieux dans ce film, qui constitue un outil pédagogique utile pour comprendre les effets de l'offensive « Plomb durci ». Programmé à l'Espace Saint-Michel, le film a pourtant provoqué les foudres des militants de la Ligue de défense juive (LDJ). Dimanche 3 avril en fin d'après-midi, une vingtaine d'entre eux ont tenté de perturber la projection organisée ce jour-là, agressant les spectateurs à l'aide de chaînes de vélo, jetant des tracts, frappant le projectionniste, qui a porté plainte par la suite. Claude Gérard, directeur du cinéma Espace Saint-Michel, a par ailleurs publié un communiqué, estimant que cette «agression (...) est une nouvelle occasion de proclamer haut et fort cet attachement à notre indépendance et à la liberté d'expression pour les œuvres que nous accueillons sur nos écrans».
Le cinéma, ainsi que les deux réalisateurs, ont par la suite reçu le soutien du Groupement national des cinémas de recherche, « qui déplore cette atteinte à la liberté d'expression et au respect de la parole des créateurs. Le film concerné est un éclairage utile et nécessaire sur un peuple qui souffre depuis de trop nombreuses années et en aucune manière un appel à la violence. Nous apportons donc notre soutien entier à l'Espace Saint-Michel pour la projection de ce film et pour les échanges proposés autour». Mardi 5 avril à la Péniche-cinéma de la Villette à Paris, la projection, en soutien à l'opération
«Un bateau pour Gaza» - qui a pour but de collecter des fonds pour envoyer un bateau humanitaire vers Gaza - , a de nouveau été perturbée par une dizaine de militants munis de drapeaux israéliens, qui s'en sont pris aux spectateurs avant d'êtres dispersés par la police.
Pour Samir Abdallah, coréalisateur du documentaire joint par Mediapart, «il y a le contexte qui joue : le 1er avril, Goldstone fait son mea culpa. Les groupes extrémistes israéliens ont donc profité de l'occasion. Le film parle de la même chose que le rapport, cela les dérange». Voté par le conseil des droits de l'homme de l'Onu, élaboré par une commission d'enquête présidée par le juge Goldstone, le rapport évoquait de possibles crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité commis par les forces israéliennes et des groupes armés palestiniens à Gaza, pendant l'opération «Plomb durci» à Gaza durant l'hiver 2008-2009. Dans un texte publié le 1er avril 2011, le juge Goldstone a pris ses distances avec le texte, sans pour autant avancer de nouveaux éléments (lire
ici l'analyse de Mediapart).
Au-delà de l'offensive de ce groupuscule extrémiste contre Gaza-strophe, plusieurs péripéties ont perturbé la vie en salles d'un film dont la diffusion était pourtant déjà confidentielle.
Valls fait annuler une rencontreExemplaire d'un tract de la LDJ
Programmé aux Cinoches, cinéma public situé à Ris-Orangis, dans l'Essonne, le film devait être suivi d'un débat le 18 mars, organisé à l'initiative de l'association Evry Palestine, branche locale de l'association France-Palestine solidarité (
AFPS). Débat finalement annulé : « Gêné, le directeur m'a expliqué au téléphone, que ma présence risquerait de provoquer des tensions communautaires», raconte le coréalisateur Samir Abdallah. L'annulation de la rencontre vient en fait de Manuel Valls, président (PS) de la communauté d'agglomération Évry Centre Essonne, dont dépend le cinéma. Une décision qui, sur place, a fait réagir plus d'un élu. «L'ordre de supprimer ce débat avec le réalisateur donné au directeur de ce cinéma d'agglomération est assumé par Manuel Valls qui dit avoir agi sur demande de M. Serfaty, rabbin de Ris-Orangis et représentant local du CRIF, et de Thierry Mandon, maire de Ris-Orangis», dénoncent notamment des élus locaux d'Europe Ecologie dans un communiqué publié fin mars. Des informations confirmées par Jacques Picard, conseiller régional Europe Ecologie, membre par ailleurs de l'AFPS, joint par téléphone quelques jours après une discussion «houleuse» avec Manuel Valls.
Sollicité par l'intermédiaire de son directeur de cabinet, Manuel Valls n'a pas donné suite à notre demande d'entretien. Le maire (PS) de Ris-Orangis dément, lui, la version des faits énoncée par Europe Ecologie. «C'est parfaitement faux, affirme Thierry Mandon. Je n'ai rien demandé du tout. J'ai d'ailleurs été mis au courant de ce débat quelques jours avant la date prévue, et totalement par hasard. De son côté, M. Serfaty a effectivement appris que le film était programmé, il s'en est ému directement auprès de Manuel Valls, pour demander l'annulation du débat et la déprogrammation du film. Manuel Valls a alors refusé de déprogrammer Gaza-strophe, mais a demandé l'annulation du débat, dans le souci d'éviter l'instrumentalisation d'un lieu public au profit d'une organisation politique, Evry Palestine, à qui il arrive parfois de défendre des thèses assez radicales. Il m'a ensuite fait part de sa décision, et je n'y suis pas opposé. De toute manière, je n'en avais pas les moyens. Le cinéma dépend de l'agglomération, et pas de Ris. Et ce qui m'importait, au final, c'est que le film, qui est un document utile, soit bien projeté.» Rabbin de l'Essonne, délégué local du Crif et opposé à la diffusion du film, Michel Serfaty ne fait quant à lui pas mystère de son soutien inconditionnel à la politique étrangère israélienne, comme en témoignent ses prises de position publiques régulières en ce sens. (Lire
ici une copie de son discours prononcé en juillet 2010 à la préfecture d'Evry.)
Les habitants de Versailles, eux, n'ont même pas eu l'occasion de découvrir le film. Trois jours avant sa sortie, Gaza-stophe a tout simplement été déprogrammé du cinéma le Roxanne, l'une des rares salles à programmer le film, «en raison de l'actualité au Maghreb». Les sections locales AFPS et de la Ligue des droits de l'homme dénoncent des «pressions» de la part des représentants du Crif, ce que démentent le programmateur et le propriétaire du cinéma, joints par Mediapart. « Il n'y a pas eu de pressions, je suis assez grand pour savoir ce que j'ai à faire, affirme Jean-François Edeline, prioritaire de plusieurs salles de l'agglomération, dont le Roxanne. Il y a suffisamment de bazar en Méditerranée avec les problèmes de races et de religions pour ne pas en rajouter. Je n'ai donc pas souhaité que l'opération se continue. Je n'ai pas vu le film, il y en a plus de 400 qui sortent tous les ans, mais ce qui se passe en ce moment en Jordanie ou à Gaza me conforte dans ma position. C'est un accident, c'est tout. Et puis, ma programmation, elle est faite pour distraire, pas pour déranger.»
Le film sera, «peut-être», diffusé «plus tard, si le contexte s'y prête mieux», selon le programmateur du Roxanne.
Nouvelle crainteEn février 2010 déjà, la diffusion de film sur France ô avait suscité quelques remous. Selon Samir Abdallah et une source proche de la direction de la chaîne, Luc Laventure, alors directeur d'antenne de France ô, aurait été convoqué par l'ambassade d'Israël à Paris à la suite de la programmation du film, pour demander que Gaza-strophe ne soit pas diffusé. Joint par Mediapart, l'ambassade d'Israël à Paris explique que cette rencontre n'a tout simplement pas eu lieu. Contacté à plusieurs reprises cette semaine, Luc Laventure confirme cependant s'être rendu à l'ambassade d'Israël à la demande de l'ambassade le 8 février, sans pour autant donner de détails sur le contenu de l'entretien. Gaza-strophe sera tout de même diffusé deux jours plus tard, le 10 février 2010.
Le coréalisateur Samir Abdallah voit dans ces péripéties subies par son film l'expression d'une crainte nouvelle ressentie par les Israéliens: «Le contexte arabe est chamboulé. Les Palestiniens manifestent pour le retour à l'unité. En face, Israël, et ses représentants en France, sont inquiets, et ne savent pas qui va prendre la relève. La réponse, c'est donc la censure, et l'escalade guerrière que l'on connaît à Gaza et en Cisjordanie.»
À l'espace Saint-Michel, un mois après sa sortie, Gaza-strophe poursuit son chemin. Un débat en présence de Samir Abdallah se tiendra lundi 18 avril, à l'issue de la séance de 18h45.
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