Après la dissolution de l'ancienne Union soviétique, l'ajustement de l'Inde, après la guerre froide, à la politique étrangère reposait sur l'idée selon laquelle Delhi devrait s'en tenir au principe proverbial « ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire » pour ce qui concerne les États-Unis.
trump
Monsieur Trump, Monsieur Modi
La maxime sur la sagesse des trois singes de l'ancien folklore indien découle de la « situation unipolaire » de l'élite - une notion selon laquelle être du bon côté de l'histoire au XXIe siècle signifie que l'Inde pourrait tout aussi bien s'accrocher au train américain en marche.

La patience stratégique de Delhi sous le gouvernement du Premier ministre Modi a été un peu mise à l'épreuve pendant la présidence de Donald Trump. Modi a tout essayé, avec le tour de passe-passe de la corde indienne magique, pour apaiser le sévère président admonesteur américain. Mais avec Trump, personne ne peut jamais être sûr. Lorsque des hommes d'État jouant au golf et débordant de charme - comme le Premier ministre japonais Shinzo Abe - échouent, l'Inde devrait en tirer les conclusions.

Delhi a plutôt choisi d'ignorer la raillerie - parfois insultante - des tweets trumpesques visant Modi. Trump a même refusé cavalièrement l'ultime honneur que Modi pourrait lui offrir - une invitation à être l'invité principal du défilé de la fête nationale indienne à Delhi.

Puis, le 22 juillet, la tempête s'est déchaînée lorsque Trump a annoncé aux médias que Modi lui avait demandé de jouer le rôle de médiateur dans le dossier du Cachemire - le talon d'Achille de l'Inde - et qu'il relevait ses manches. Et, tournant le couteau dans la plaie indienne, Trump a fait cette révélation sensationnelle en présence du Premier ministre pakistanais Imran Khan.

Trump ne sait-il pas que l'Inde désavoue publiquement la médiation par une tierce partie sur le Cachemire ? Sans doute, il le sait. Et c'est tout le problème. En quelques heures, le ministère indien des Affaires étrangères a répondu de manière évasive « qu'aucune demande de ce genre n'avait été faite » par Modi. Le porte-parole indien a expliqué la position constante de l'Inde selon laquelle « toutes les questions en suspens avec le Pakistan ne sont examinées que de manière bilatérale ». Delhi a ajouté : « Tout engagement avec le Pakistan exigerait la fin du terrorisme transfrontalier ».

Dans le contexte actuel, l'aide apportée par le Pakistan pour mettre un terme à la guerre en Afghanistan peut signifier une grande réussite en matière de politique étrangère pour Trump, qui marquerait le succès de sa campagne pour les élections présidentielles de l'an prochain aux États-Unis. Par conséquent, il est probable que Trump se vantait en «
déclassifiant »,
en totalité ou en partie, ce qui a dû être un échange très sensible entre lui et Modi à Osaka, en l'absence de témoins.

Inutile de dire que l'offre de médiation de Trump sur le Cachemire et l'importance de la visite d'Imran Khan aux États-Unis ont de graves conséquences pour la politique indienne.

Tout d'abord et avant tout, le gouvernement Modi a reculé devant les réactions de l'opinion publique indienne concernant l'offre de médiation de Trump. En réalité cependant, dans le passé, l'Inde avait déjà choisi de manière sélective la médiation américaine, le meilleur exemple étant le conflit du Kargil en 1999. Par conséquent, même si Modi avait demandé la médiation de Trump, cela n'aurait rien eu d'extraordinaire.

En fait, tactiquement, cela aurait été un stratagème habile pour fixer Trump en terrain neutre pour ce qui concerne les tensions entre l'Inde et le Pakistan, alors même qu'Imran Khan devait prochainement effectuer une visite capitale aux États-Unis.

En effet, la visite d'Imran Khan suscitera l'inquiétude dans l'esprit des Indiens dans la mesure où Trump promet au Pakistan une alliance sans faille. Cela se produit à un moment délicat pour l'Inde alors que les armes se sont tues sur la frontière indo-pakistanaise et que l'infiltration transfrontalière de militants dans la zone de Jammu et Kashmir (J&K) s'est tarie ces derniers temps.

Le gouvernement Modi est sur le point de déployer une nouvelle stratégie visant à remédier à la situation de J&K. Le ministre indien de la Défense, Rajnath Singh, a annoncé publiquement la semaine dernière que la solution finale à la situation de J&K est « imminente ».

Une hypothèse raisonnable est que le gouvernement Modi envisage d'intégrer J&K en supprimant ou en érodant une partie de son « statut spécial », tirant parti de la prétendue capitulation pakistanaise face au terrorisme transfrontalier. Ce plan doit maintenant être mis en veilleuse.

L'un des postulats de base de ce plan est qu'il n'y aura aucune répercussion internationale si Delhi poussait vigoureusement le projet, avec éventuellement la contrainte, d'intégrer J&K. Mais Trump a peut-être ébranlé la confiance des Indiens. Trump a attiré l'attention sur la situation sécuritaire dans l'État indien du Jammu-et-Cachemire, le caractère ancien du problème du Cachemire est dû à l'incapacité singulière de l'Inde et du Pakistan de résoudre le différend de manière bilatérale.

En ce qui concerne l'évolution des relations entre Washington et Islamabad au plus haut niveau des dirigeants, le Pakistan a réussi à amener les États-Unis à accepter un lien entre le règlement afghan et le règlement du différend au Cachemire. Les remarques de Trump dans leur ensemble semblent implicitement reconnaître un tel lien.

Quoi qu'il en soit, grâce à l'atout que le Pakistan a en main pour aider Trump à mettre fin à la guerre en Afghanistan et lui permettre de brandir un trophée en politique étrangère pour l'élection de 2020 aux US, il s'attendra, en retour à une sensibilité accrue des États-Unis à l'égard des intérêts légitimes du Pakistan dans la sécurité et la stabilité régionales. Ce dernier demande depuis longtemps un « équilibre stratégique » en Asie du Sud. Selon l'estimation pakistanaise, un tel équilibre nécessite une révision de la politique des États-Unis en Asie du Sud, qui penche en faveur de l'Inde.

Les remarques de Trump suggèrent qu'il accepte en principe que la bonne volonté et la coopération sont dans les deux parties. Par conséquent, la révélation explosive de Trump aura également un impact sur le peuple cachemiri, déjà aliéné de l'État indien. Trump a peut-être involontairement donné espoir aux Cachemiris.

L'intégration prévue de J&K devient une tâche ardue pour le gouvernement Modi. Néanmoins, Delhi ne sera pas dissuadé d'intégrer J& K aux conditions que le parti Bharathiya Janata, le parti au pouvoir en Inde, s'est fixé comme objectif. De la faible réaction de Delhi aux remarques de Trump, il semble que le gouvernement Modi espère continuer à lutter avec le POTUS en faisant des concessions par ailleurs - telles que des transactions d'armes plus lucratives.

Les analystes indiens parlent souvent de la politique étrangère sous Modi comme d'un « multi-alignement ». Mais dans la pratique, les politiques indiennes fonctionnent sur le terrain comme si la communauté mondiale était une ferme des animaux où les États-Unis demeuraient plus égaux que d'autres. Autrement dit, les élites indiennes le souhaitent ainsi, les bureaucrates sont au courant et la diaspora nord-américaine, enracinée dans le nationalisme hindou, l'exige.

C'est là que réside la contradiction fondamentale. Lorsque Trump dit qu'il est impatient d'intervenir au Cachemire et d'aider à normaliser les relations entre l'Inde et le Pakistan, il viole sans ménagement les intérêts fondamentaux de l'Inde. Espérons que cela incitera les Indiens à repenser leur vision à plus long terme plutôt que sous la forme d'une tempête dans une tasse de thé, étant donné la probabilité élevée que Trump reste au pouvoir pour un second mandat également.

Ces moments poignants soulignent que l'ambivalence stratégique de l'Inde dans l'ordre mondial contemporain, caractérisée par une multipolarité croissante, devient de plus en plus intenable. La prochaine visite de Modi en Russie en septembre et la visite du président chinois Xi Jinping en Inde en octobre fourniront des indications importantes sur la politique indienne dans un contexte régional et international en pleine mutation.