Un groupe d'anciens chefs de la guérilla des Farc a annoncé le 29 août la reprise de la lutte armée « contre l'oligarchie », dénonçant « la trahison » par l'Etat du pacte de paix de la Havane signé en 2016. Le président Ivan Duque a mis leur tête à prix.
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Vêtus de treillis et munis de fusils-mitrailleurs, un groupe d'anciens chefs de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) a annoncé le 29 août la reprise de la lutte armée contre l'oligarchie « excluante et corrompue, mafieuse et violente », dénonçant « la trahison » par l'Etat du pacte de 2016. Cet accord de paix signé à la Havane avait conduit au désarmement en 2017 de quelque 7 000 combattants hommes et femmes des Farc.

Le président colombien Ivan Duque a immédiatement réagi, mettant la tête de chacun des protagonistes à prix.

« Nous annonçons au monde qu'a commencé le deuxième Marquetalia [zone autonome constituée entre 1958 et 1964 en Colombie, berceau de la rébellion] au nom du droit universel des peuples à se lever en armes face à l'oppression », a déclaré l'ancien numéro deux des Farc, Ivan Marquez, un des négociateurs de l'accord de paix de 2016, dans une vidéo de 32 minutes diffusée sur YouTube le 29 août.

A ses côtés sur la vidéo apparaissent d'autres dirigeants historiques des Farc comme Jesus Santrich, un autre négociateur de La Havane, recherché par la justice américaine pour trafic de drogue et passé à la clandestinité il y a trois mois, et Hernan Dario Velasquez, alias El Paisa, un autre ancien leader du mouvement.

Dans la même communication, le groupe dénonce la poursuite des assassinats de leaders sociaux et les déplacements forcés. « Depuis la signature de l'accord de paix de la Havane et le désarmement de la guérilla en échange de rien, le massacre n'a pas cessé », déplorent ces leaders des Farc avant de détailler :
« En deux ans, plus de 500 leaders, femmes et hommes, du mouvement social ont été assassinés, auxquels s'ajoutent 150 guérilleros morts au milieu de l'indifférence et de l'indolence de l'Etat. »
« La fourberie, la duplicité et la perfidie, la modification unilatérale du texte de l'accord, la non-application de ses engagements de la part de l'Etat, les montages judiciaires et l'insécurité nous obligent à reprendre le maquis », affirme en outre Ivan Marquez dans cette vidéo.

« Nous n'avons jamais été vaincus, ni défaits idéologiquement, c'est pour cela que la lutte continue », ajoute l'homme en soulignant que ce nouveau groupe armé cherchera à se coordonner avec l'ELN, la deuxième guérilla colombienne, toujours en activité.


La cible : pas les forces de l'ordre mais « l'oligarchie »

Entouré de ses compagnons de lutte, hommes et femmes, Ivan Marquez a poursuivi la lecture du communiqué insistant sur le fait que les cibles de cette nouvelle lutte armée annoncée ne seraient pas « les policiers et militaires respectueux des intérêts populaires mais l'oligarchie excluante et corrompue, mafieuse et violente ».

« Nous ne continuerons pas à nous entre tuer entre frères de classe pour qu'une oligarchie effrontée continue à manipuler notre destin et à s'enrichir au prix de la pauvreté publique et des dividendes de la guerre », a également déclaré Ivan Marquez qui a assuré que l'objectif de leur stratégie était « la paix en Colombie avec la justice sociale ».

La Juridiction spéciale de paix (JEP), chargée de juger les crimes commis pendant la confrontation armée, a donné l'ordre d'arrêter ces anciens chefs rebelles. Le président colombien Ivan Duque, farouchement opposé à l'accord de paix avec les Farc, a immédiatement réagi en annonçant le 29 août une offensive contre les anciens chefs guérilleros.

« J'ai ordonné la création d'une unité spéciale afin de poursuivre ces criminels avec des capacités renforcées de renseignement, d'enquête et de mobilité sur tout le territoire colombien », a déclaré le chef de l'Etat, du palais présidentiel Casa Nariño à Bogota, promettant 880 000 dollars de récompense pour quiconque aiderait à la capture de chacun des dissidents apparus dans la vidéo.

Ivan Duque, qui a tenté de modifier l'accord de paix selon lui trop laxiste envers les anciens guérilleros, a annoncé une offensive contre ce qu'il a appelé « une bande de narco-terroristes qui bénéfice de l'appui et de l'hébergement de la dictature de Nicolas Maduro » au Venezuela voisin.

Le Venezuela en toile de fond

L'annonce de la reprise de la lutte armée constitue un revers pour le processus de paix et pour Ivan Duque, par ailleurs déterminé à évincer du pouvoir Nicolas Maduro, qui fin juillet avait déclaré qu'Ivan Marquez et Jesus Santrich étaient les « bienvenus au Venezuela ».

Par la voix d'Elliott Abrams, représentant spécial de la diplomatie américaine pour le Venezuela, les Etats-Unis ont exprimé de leur côté leur « grande inquiétude» au sujet du soutien, selon eux, du « régime vénézuélien » aux groupes armés colombiens. Un soutien démenti par le président de l'Assemblée constituante vénézuélien Diosdado Cabello, se « désolant profondément » de ce qui se passait en Colombie.

L'annonce de la reprise de la lutte armée risque en effet de déstabiliser quelque peu les plans de Washington au Venezuela. « Le retour des Farc armés peut faire infléchir les stratégies militaires colombiennes téléguidées par les Etats-Unis dans la région », estime pour sa part Romain Migus, spécialiste du Venezuela, interrogé par RT France. « Avec un nouveau front guérillero actif, envoyer des troupes à la frontière avec le Venezuela serait dégarnir le front intérieur » et serait donc périlleux pour le gouvernement colombien, estime-t-il.

Le chef de l'opposition vénézuélienne Juan Guaido, autoproclamé président et reconnu comme tel par une cinquantaine de pays, dont la Colombie et les Etats-Unis, a dénoncé pour sa part l'utilisation par ces anciens chefs des Farc du territoire vénézuélien comme base arrière pour proférer leurs « menaces ».

La vidéo est hébergée sur le portail web farc-ep.info, localisé au Venezuela, dans l'Etat d'Anzoategui (est), selon la base de données de la Corporation d'internet pour l'assignation des noms et des numéros où il a été enregistré le 12 août 2019, a vérifié l'AFP. L'ONU, qui supervise l'application du pacte, a condamné cette annonce des Farcs, mais souligné que l'« immense majorité des hommes et des femmes » de l'ancienne guérilla continuaient d'être « engagés en faveur de la paix ».

Après la signature de l'accord de paix, les Farc s'étaient transformées en parti politique. Des centaines de rebelles se sont toutefois progressivement en marge du processus visant à mettre fin à un demi-siècle de conflit armé, accusant le gouvernement de ne pas se conformer à ses engagements.