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La police pourrait aller mieux, semble-t-il, si on en croit le très documenté rapport que vient de publier la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNSD). Le rapport pointe la difficulté principale, à savoir la difficulté de mener les enquête internes, et procède ensuite à un long examen des griefs récurrente. Je ne cite que certains passages, car le rapport est très long, mais je n'ai pas changé un mot. Toutes mes amitiés à Nicolas, Brice et Claude, et félicitations renouvelées pour la qualité de leur travail.

Difficultés à mener des enquêtes à l'égard de personnes exerçant une mission de sécurité

La Commission constate avec inquiétude la persistance et la récurrence de pratiques visant à limiter ou entraver les investigations ou les contrôles portant sur l'activité des personnes exerçant des missions de sécurité. Cette attitude est contre-productive et tend à jeter la suspicion sur l'ensemble d'une profession qui a tout à gagner à montrer qu'elle est en capacité et a la volonté d'identifier les quelques personnels qui adoptent des comportements constitutifs de manquements à la déontologie, afin de les sanctionner et d'en prévenir le renouvellement. La tentation de régler exclusivement tous les problèmes en interne est de nature à alimenter fantasmes et défiance infondés et nuisibles, en ce qu'ils concernent un ensemble de professionnels qui doivent entretenir une relation de confiance avec la population.

1. Refus d'enregistrer des plaintes

La Commission relève, pour la dixième année consécutive, des refus d'enregistrer des plaintes de la part de fonctionnaires de police ou de militaires de la gendarmerie contre des membres des corps auxquels ils appartiennent. Au cours des auditions devant la CNDS, certains policiers ont fait part de leurs difficultés pour enregistrer ce type de plainte, arguant qu'ils ne souhaitaient pas être impliqués dans des affaires mettant en cause leurs collègues.

Cette pratique est pourtant contraire à la loi, l'article 15-3 du code de procédure pénale disposant que « la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d'infractions à la loi pénale et de les transmettre, le cas échéant, au service ou à l'unité de police judiciaire territorialement compétent. » Elle est constitutive d'une faute déontologique et, plus précisément, d'une violation des articles 1, 2, 7, 8 et 10 du code de déontologie de la police nationale (Décret n°86-592 du 18 mars 1986).

Il arrive qu'elle soit validée par la hiérarchie, qui diffuse des consignes le plus souvent verbales.

Ainsi, dans l'avis 2008-88, un lieutenant ne conteste pas avoir refusé d'enregistrer la plainte de la réclamante. Il a invoqué des consignes de son directeur départemental, qui souhaite que les plaignants soient orientés vers un service de gendarmerie ou de police extérieur à la circonscription.

La Commission rappelle qu'au regard des dispositions précitées, les fonctionnaires de police ont l'obligation d'enregistrer toute plainte sur procès-verbal et ne sauraient se contenter de rediriger les plaignants vers une autre circonscription ou un autre service. Enregistrer la plainte par une audition du plaignant n'implique pas de l'instruire mais de la transmettre au procureur de la République, qui lui donnera la suite qui lui apparaîtra opportune.

La Commission rejoint le commissaire de Sainte-Geneviève-des-Bois, entendu dans l'affaire 2008-65, qui a déclaré au sujet d'une plainte enregistrée dans son service sous la forme d'un simple main-courante : « En tant que nouveau chef de ce service (...), je vous affirme que la plainte aurait dû être enregistrée ce jour-là. Cette procédure aurait dû être privilégiée : c'est à l'autorité judiciaire d'apprécier les suites à y donner. »

2. Difficultés pour obtenir des enquêtes effectives

À titre liminaire, la Commission rappelle que dans l'arrêt du 6 avril 2000, Labita c/ Italie, la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré que « lorsqu'un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d'autres services comparables de l'État, des traitements contraires à l'article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l'État par l'article 1 de la Convention de "reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention", requiert, par implication, qu'il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l'instar de celle résultant de l'article 2, doit pouvoir mener à l'identification et à la punition des responsables (...).

La Cour européenne des droits de l'Homme a souligné, dans son arrêt Darraj c/ France du 4 novembre 2010, que « quelle que soit l'issue de la procédure engagée au plan interne, un constat de culpabilité ou non ne saurait dégager l'État défendeur de sa responsabilité au regard de la Convention ; c'est à lui qu'il appartient de fournir une explication plausible sur l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 [de la Convention européenne des droits de l'Homme] trouve à s'appliquer. »

3. Absence de certificat médical descriptif des blessures

Comme elle a déjà eu l'occasion de le faire dans ses rapports précédents, la Commission constate qu'il arrive encore que des personnes blessées au cours d'une interpellation soient présentées à un médecin sans qu'un certificat médical descriptif des blessures soit rédigé. Même en l'absence de textes imposant une réquisition de description des blessures, la Commission tient à souligner la nécessité d'une telle réquisition, le certificat médical établi ensuite permettant à la personne gardée à vue et aux agents des forces de sécurité l'exercice de leurs droits.

Dans l'avis 2009-148, il est relevé qu'il n'existe aucune obligation pour les policiers et les médecins de délivrer une copie d'un certificat médical descriptif des blessures à la personne gardée à vue. En revanche, tous les certificats médicaux doivent être versés au dossier de la procédure.

Le guide des bonnes pratiques de l'intervention du médecin en garde à vue précise seulement que le certificat médical de compatibilité de l'état de santé avec la mesure de garde à vue doit être remis à l'officier de police judiciaire à l'issue de l'examen médical. Or, dans cette affaire - qui concerne une interpellation au cours de laquelle le plaignant allègue avoir subi des violences illégitimes - , aucun certificat médical, ni celui de la personne interpellée, ni celui des agents interpellateurs - qui se sont également plaints de violences - , n'a été versé à la procédure.

En conséquence, la Commission recommande, dans la perspective de l'actuelle réforme de la garde à vue, que l'article 63-3 du code de procédure pénale soit complété afin que, lorsqu'une personne blessée est en garde à vue, un certificat descriptif des blessures soit systématiquement requis (15) et, en toute hypothèse, soit établi par le médecin.

Elle recommande également qu'une étude soit réalisée conjointement entre les ministères de la Santé, de l'Intérieur et de la Justice, en complément du guide des bonnes pratiques de l'intervention du médecin en garde à vue, afin d'harmoniser les pratiques existant sur la question de la transmission immédiate ou différée de ce certificat. L'absence de ce certificat dans la procédure est en effet susceptible d'empêcher le plein exercice des droits de la défense par la personne qui aurait fait l'objet de violences lors de son interpellation.

Des griefs

Contrôles d'identité contestables


La Commission est régulièrement saisie de réclamations concernant les circonstances dans lesquelles des personnes ont fait l'objet d'un contrôle d'identité. Or, lorsqu'un tel contrôle n'a été suivi ni d'une procédure de vérification d'identité, ni d'une garde à vue - ce qui est très souvent le cas - , la Commission est dans l'impossibilité d'identifier les agents qui ont effectué ce contrôle.

Il n'est pas satisfaisant que ni l'autorité hiérarchique, ni l'autorité judiciaire, ni la CNDS ne puissent être en mesure de vérifier la manière dont sont sélectionnées les personnes qui font l'objet d'un contrôle d'identité, spécialement lorsque, conformément à l'article 78-2 alinéa 2 du code de procédure pénale, l'identité de toute personne peut-être contrôlée sur réquisition du procureur de la République.

Palpations de sécurité systématiques

Il a été constaté (avis 2009-77 et 2009-211) que des fonctionnaires de police ont pris l'habitude de procéder à une palpation de sécurité systématique lors de contrôles d'identité effectués sur réquisition du procureur de la République, en dehors de tout comportement suspect de la personne contrôlée.

La Commission a demandé que des instructions ministérielles prohibent la palpation de sécurité pratiquée de façon systématique et non-justifiée au cours d'un contrôle d'identité effectué sur le fondement de l'article 78-2 du code de procédure pénale, en ce qu'elle constitue une atteinte à la dignité humaine disproportionnée par rapport au but à atteindre.

Exhibition ou menace d'une arme

Dans des avis sur des circonstances qu'elle espère exceptionnelles, la Commission a estimé (avis 2009-129) que le fait de pointer un flashball sur la personne contrôlée sans raison apparente était constitutif d'un manquement à la déontologie. Elle a également critiqué (avis 2009-211) l'exhibition d'une arme de service au cours d'un contrôle d'identité, pour, selon le fonctionnaire, démontrer sa qualité, et a considéré que ce comportement était constitutif d'un manquement à la déontologie de la sécurité.

Violences illégitimes

Comme chaque année, la CNDS a eu à connaître de plusieurs dossiers faisant état de violences commises par des forces de sécurité, qu'ils soient fonctionnaires de police, militaires de la gendarmerie, policiers municipaux ou agents de services de sécurité privée. Au terme de plusieurs de ses avis, elle a été conduite à recommander que des agents interpellateurs fassent l'objet de sévères observations, voire de poursuites disciplinaires, afin que l'usage de la force qu'ils peuvent être amenés à faire dans l'exercice de leurs fonctions reste strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre.

Violences illégitimes à l'encontre de mineurs

La Commission s'est, au cours de l'année 2010, de nouveau particulièrement inquiétée des violences, plus ou moins légères, commises par des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie à l'encontre de mineurs.

Flashball

La Commission est régulièrement saisie d'affaires concernant l'usage d'une arme par des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie. Si elle est préoccupée par la façon dont les lanceurs de balles de défense, couramment dénommés « flashballs », sont utilisés, elle a constaté que le recours aux autres armes en dotation a généralement lieu conformément aux instructions, dans des conditions qui l'exigent et conformément à un cadre d'emploi.

Flashball « superpro » dans le cadre de manifestations

La Commission, compte tenu, d'une part, de l'imprécision des trajectoires de tirs de flashball « superpro » qui rendent inutiles les conseils d'utilisation théoriques et, d'autre part, de la gravité comme de l'irréversibilité des dommages collatéraux manifestement inévitables qu'ils occasionnent, a recommandé de ne pas utiliser de flashball lors de manifestations sur la voie publique, hors les cas très exceptionnels qu'il conviendrait de définir très strictement (avis 2009-133).

Sorties d'arme

La Commission a rappelé que la sortie de son arme par un fonctionnaire de police doit s'accomplir conformément aux dispositions de l'article 113-4, alinéas 2 et 3 du règlement général d'emploi de la police nationale, selon lequel les fonctionnaires de police « font preuve de sang-froid et de discernement dans chacune de leurs interventions. Ils veillent à la proportionnalité des moyens humains et matériels employés pour atteindre l'objectif de leur action, notamment lorsque celle-ci nécessite l'emploi de la force. »

Le fait de sortir une arme de service au cours d'une interpellation doit être porté à la connaissance de l'autorité hiérarchique, afin que celle-ci apprécie, en raison de la potentielle gravité des conséquences d'un tel acte et de son retentissement auprès du public, si cette sortie était légitime ou non.

Caractère systématique du menottage

Dans l'avis 2008-91, les gendarmes auditionnés, dont le commandant de la brigade, ont exposé à la Commission qu'ils avaient pour consigne de menotter toute personne placée en garde à vue, afin de prévenir tout accident ou évasion et, plus pragmatiquement, pour éviter le prononcé d'une sanction disciplinaire, systématique en cas de fuite d'un gardé à vue.

Cette pratique étant contraire aux dispositions de l'article 803 du code de procédure pénale ainsi qu'à l'article 8 de la charte de déontologie du gendarme, privilégiant notamment « la dissuasion et la négociation à la force », la Commission a recommandé que des observations soient formulées au commandant du groupement de gendarmerie, afin que celui-ci veille à la stricte observation de ces deux textes par les forces de gendarmerie.

Fouille à nu : une pratique banalisée

Au cours de ses dix années d'activité, la Commission n'a cessé de constater et de déplorer la banalisation et le caractère systématique de la pratique des fouilles avec déshabillage intégral des personnes gardées à vue. Cette situation l'a poussée à préciser les critères nécessaires pour cette mesure de contrainte. La Commission a par ailleurs exprimé le souhait que les fouilles de sécurité soient encadrées par un texte de nature législative et contrôlées par l'autorité judiciaire, en en faisant mention dans les pièces de procédure communiquées au parquet.