L'augmentation en intensité des exercices de l'OTAN à la frontière russe sont le signe que l'Alliance atlantique se prépare à un conflit militaire de grande envergure d'après l'état-major russe, qui appelle l'OTAN à une reprise de la collaboration.
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© Valéri Guérassimov
Si Emmanuel Macron a appelé l'OTAN à réorienter sa stratégie contre le « terrorisme international » lors du sommet de l'Alliance atlantique début décembre, force est de constater qu'il s'agit, en l'état actuel des choses, d'un vœu pieux. C'est le constat dressé par le chef d'état-major des forces de la Fédération de Russie armées Valéri Guérassimov lors d'un d'un discours prononcé, le 17 décembre, devant les attachés militaires étrangers, et publié par le journal russe Krasnaïa Zvezda.

Selon lui, les exercices militaires et les déploiements de troupes dans les pays baltes et en Pologne sont des signes évidents que l'Alliance atlantique considère plus que jamais la Russie comme une menace, comme elle le fait depuis trois décennies.

« Le déploiement des éléments de la défense antimissile des Etats-Unis se poursuit. L'activité militaire s'intensifie dans les pays baltes et en Pologne, dans les eaux de la mer Noire et de la mer Baltique, et l'intensité des exercices militaires du bloc augmente », a-t-il ainsi souligné. Et pour le chef d'état-major, l'analyse des scénarios de ces exercices militaires est très clair : ils témoignent « de préparatifs ciblés de l'OTAN en vue d'un déploiement de ses forces dans un conflit militaire de grande ampleur ».

Une analyse partagée par le Kremlin, comme l'a souligné son porte-parole Dmitri Peskov lors d'un point-presse ce 18 décembre. « Dans ce cas précis, il s'agit de l'avis d'un professionnel qui repose sur l'analyse menée par nos militaires dans le processus de suivi des manœuvres effectuées par l'OTAN. En l'occurrence, seul l'avis des professionnels peut être correct », a-t-il fait valoir, précisant que « l'administration du président ne [pouvait] pas évaluer [la situation] du point de vue militaire ».

Dans son discours, Valéri Guérassimov est par ailleurs revenu sur les arguments avancés par les Occidentaux pour justifier ces mouvements de troupes et exercices, à savoir que les activités militaires de Moscou constitueraient une « menace pour la paix ». « Dans le domaine de la garantie de sa sécurité militaire, toute démarche de la Russie, tout événement, est planifié et transparent pour construire une armée et une marine. Or chaque exercice est clairement présenté par les propagandistes occidentaux et des médias producteurs de fake news comme une "menace pour la paix" », a-t-il fait remarquer.


Une situation inquiétante que ne souhaite pas voir perdurer Valéri Guérassimov, qui appelle à une reprise de la collaboration entre Moscou et l'Alliance atlantique :
« La réduction des risques d'incidents dangereux dans le domaine militaire doit demeurer au cœur du dialogue entre la Russie d'un côté et les Etats-Unis et l'OTAN de l'autre. Il est nécessaire de reprendre la collaboration entre la Russie et l'OTAN dans le but de résoudre les sujets de préoccupation qui se sont accumulés. »

102 exercices en 2019

Préoccupations en tête desquelles trône donc la multiplication des exercices militaires de l'OTAN aux frontières de la Russie. Dans un rapport publié le 13 octobre sur les 102 exercices prévus en 2019, l'Alliance atlantique explique en effet avoir « recentré son attention » sur « la sécurité collective et les priorités de défense à l'intérieur des frontières de l'Alliance » à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie en 2014. « L'Alliance est aujourd'hui amenée, face à la Russie, à remobiliser des aptitudes de dissuasion politique et militaire datant de la guerre froide tout en cherchant à s'adapter à des tactiques modernes de guerre hybride », est-il notamment écrit.

C'est dans ce cadre que l'OTAN a décidé d'intensifier ces dernières années ces exercices militaires. A titre d'exemple, en 2018, l'exercice « Trident Juncture 18 » qui se déroulait en Norvège constituait la plus grande manœuvre militaire organisée par l'Alliance atlantique depuis la fin de la guerre froide. 50 000 soldats, 250 aéronefs, 65 navires et quelque 10 000 véhicules terrestres en provenance de 31 Etats membres de l'OTAN y ont pris part. Ajoutez à cela que l'Alliance atlantique juge dans son rapport publié en octobre que « la présence en rotation de l'OTAN dans la région de la Baltique ne suffirait pas à repousser une invasion de forces conventionnelles russes », et l'inquiétude de l'état-major russe peut difficilement ne pas être considérée comme légitime.

« Affrontement de communications interposées » En dépit de la sortie de l'état-major russe, le directeur du Centre européen d'analyses stratégique (CEAS) Philippe Migault, spécialiste des questions stratégiques, ne croit pourtant pas à la possibilité d'un tel conflit. Selon lui, il s'agit plutôt d'un « affrontement de communications interposées, qui vise essentiellement à influencer l'adversaire et sa propre opinion publique », comme il l'a confié à RT France. Moscou jouerait ainsi le même jeu que l'OTAN, qui « hurle au loup » à chaque fois qu'il y a une manœuvre russe, en affirmant que la Russie se prépare à envahir les pays baltes ou la Pologne.

« Je ne suis pas persuadé que ça reflète une véritable montée de la tension et à une situation dont il faut s'alarmer, en tout cas à moyen terme. [...] On est vraiment dans une opération de communication à destination des opinions publiques qu'il s'agit de fédérer, afin de les convaincre qu'il existe un danger. Mais je ne pense pas que cela soit l'illustration véritablement d'une montée des tensions », explique-t-il. Interrogé par RT France, Patrick Charaix, ancien général et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) estime, quant à lui, que les exercices menés par l'OTAN ne deviennent pas plus agressifs mais plus complexes, compte tenu des « nouvelles menaces réelles », tel que le cyber, ou encore les attaques hyper véloces de missiles nucléaires. « Il suffit de voir les attaques cyber, qui pour le coup, sont bien attribuées à la Russie. Et puis toute son activité satellitaire en missiles nucléaires, missiles balistiques et anti-missiles », note-t-il, soutenant que l'OTAN faisait ainsi preuve de dissuasion à l'égard de Moscou. « Je rappelle que la dissuasion s'appuie sur trois crédibilités fortes: politique, technique et opérationnelle. Et l'OTAN est en train de jouer ça vis-à-vis de la Russie », explique-t-il, tout en confiant, d'un autre côté, comprendre la réaction de Moscou qui se sent « oppressé, agressé ».