La police dérive à outrance sans qu'aucune force ne semble capable de l'arrêter. D'après le journaliste David Dufresne, il y aurait 795 signalements, 1 décès, 286 blessures à la tête, 24 éborgnés, 5 mains arrachées. Avec nos moyens modernes de création d'images, nous avons tous vu la police frapper des personnes à terre, frapper des passants paisibles, utiliser des gaz, obliger à l'évacuation d'une maternité... Nous avons tous vu la police hors la loi, n'affichant pas les matricules, gazant les manifestants...
Police
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En face, si l'on peut dire, il y a eu une condamnation à trois mois de prison avec sursis pour un policier qui avait lancé un morceau de béton de belle taille sur des manifestants. Une poignée de mises en examen pour des centaines de violences qu'on ne peut pas décemment nier. Pas une suspension, pas une garde à vue, pas une révocation, pas de jugement. Des dizaines de classement sans suite !

La "liberté" de la police augmente : un manifestant tabassé à terre va devoir répondre de plaintes de policiers ! Non seulement la morale réprouve le fait de se mettre à plusieurs contre un, non seulement la morale et la justice (la loi) condamnent le fait de dépasser le nécessaire, mais l'inversion de l'agresseur et de l'agressé devient possible.

En bon fonctionnement républicain et démocratique, c'est la Justice qui contrôle la police, en vertu de la séparation des pouvoirs pensée par Montesquieu. Force est de constater que la justice ne tient pas ce rôle et que les policiers le savent. Tout se passe comme si leur sentiment d'impunité était une autorisation sans borne.

En face, si l'on peut dire, le gouvernement pratique la négation de l'évidence. Sibeth Ndiaye, porte parole du gouvernement, ose déclarer :
« Je ne pense pas qu'on puisse dire dans un État de droit, dans une démocratie extrêmement solide comme celle de notre pays, qu'il y a des violences policières, comme s'il y avait de manière générale chez les forces de l'ordre une attitude consistant à aller tabasser des manifestants systématiquement ou à violenter des personnes sans raison. »
polive
Tout le monde a vu des centaines de vidéos et des milliers de témoignages qui attestent du contraire. Elle continue : « quand il y a eu des fautes, elles sont systématiquement sanctionnées », un mensonge grossier ; elle ne pourrait pas donner d'exemple de cette affirmation et les contre-exemples abondent.

En face, si l'on peut dire, le président Macron ose inverser l'analyse de Max Weber, sociologue du début du XXème siècle, en considérant que l'Etat de droit est un acquis qui interdit de considérer la violence des forces de l'ordre, de les observer, de les mesurer et de les condamner le cas échéant. Max Weber le prenait plutôt comme un mal nécessaire (avec un certain regret) : l'Etat a le monopole de la violence légitime. C'est-à-dire que la violence des citoyens n'est jamais légitime et que la violence de l'Etat peut l'être.

Peut l'être. Et non pas l'est toujours. L'Etat, via sa Justice, enferme les malfaiteurs, les contraint par corps... Violence légitime. Max Weber proposait cette formulation comme une définition de l'Etat. Dans un Etat de droit, la violence de l'Etat est sans cesse modérée ; un Etat de droit est suspecté d'avoir tendance à abuser de la violence.

polive
Michel Serres, qui vient de nous quitter, proposait de mettre en cause cette détermination de l'Etat, prônant l'idée qu'aucune violence ne pouvait avoir de légitimité et que l'exception faite à l'Etat pouvait être contestée. Oublié tout cela : Cette inversion de la notion de violence légitime de l'Etat par Macron inverse toute l'histoire de notre humanité : l'Etat aurait le droit de contraindre et briser les corps par principe constitutionnel (constitutionnel de l'Etat, qui s'appliquerait, du coup, à la Vème République). La police pourrait arracher les mains, crever les yeux, frapper des gens à terre, avancer avec tout leur attirail pour faire mal, briser les corps et les vies, brimer les journalistes, pratiquer la répression de l'information, afin que le gouvernement sorti des élections puisse agir sans contrainte, lui.

Le droit stipule du contraire et les peines prévues pour les délits sont majorées si les délits sont commis par une personne dépositaire d'une autorité publique.

Une autre énormité est passée sans débat : Emmanuel Macron parle des policiers et gendarmes comme « forces de sécurité intérieure ». Les « forces de sécurité extérieures et intérieures » sont les forces armées. Gendarmes et policiers sont « des forces de l'ordre ». Notre pays a basculé dans l'arbitraire : Le pouvoir a décidé de ne plus respecter les libertés démocratiques fondamentales et de s'imposer par tous les moyens, ce qui est une définition de la guerre.

polive
Tout se passe comme si, Macron ne connaissait que l'aspect formel des élections : tant qu'il n'est pas inquiété de ce côté-là, il prend tous les droits et nulle force, nul pouvoir n'arrive à arrêter ces abus de pouvoir (Montesquieu encore). Pour cesser ce mouvement mortifère, il faut ne pas céder, ne pas se laisser intimider et aller au devant des blessures, ce qui est tragique dans un pays qui n'a nul besoin de cela pour gérer sa vie commune et publique, de façon à maintenir par le courage physique la liberté d'expression, d'action, de manifestation... mais il faut aussi construire une opposition de gauche sincère et pragmatique.

Macron ne peut tenir cette position sans dignité que parce qu'il n'a pas d'opposition, que la gauche a été sabordée par des élus sans intelligence de la chose politique (Hamon et Mélenchon, et leurs adeptes, leurs électeurs) qui ont amené ce personnage et cette situation unique : une démocratie sans opposition.

Il ne sert à rien de se plaindre sur les « réseaux sociaux », il faut opposer au comportement des institutions sous ce président, une opposition réelle, institutionnelle, qui fonctionne dans le système.

Il nous faut, de toute urgence, bâtir une gauche modeste et efficace, qui mette dans son programme, comme priorité, le redressement de cette situation unique.