Alors que la justice britannique examine la demande d'extradition de Julian Assange vers les Etats-Unis, sa défense accuse Donald Trump de vouloir faire du fondateur de Wikileaks un exemple dans sa « guerre contre les journalistes d'investigation ».
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© Neil Hall / EPA - Keyston
Dix ans après la diffusion inédite de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, la justice britannique a entamé l'examen - qui doit s'étendre jusqu'au mois de juin - de la demande d'extradition de l'Australien de 48 ans, qui a comparu calme, les yeux rivés sur son ordinateur portable.

Face à la cour de Woolwich, son avocat Edward Fitzgerald a dénoncé des poursuites motivées par des raisons politiques, soulignant que l'accord américano-britannique interdit « expressément » les extraditions pour les infractions politiques.

Dans une salle d'audience bondée, jouxtant la prison de haute-sécurité où Assange est incarcéré, il a mis en avant le risque de « traitements inhumains et dégradants » et d'une peine disproportionnée de 175 ans de prison. Le président américain est arrivé au pouvoir avec « une nouvelle approche de la liberté de la presse (...) qui revient en fait à déclarer la guerre aux journalistes d'investigation », a-t-il accusé. En marge de l'audience, l'ancien juge espagnol Baltazar Garzon, désormais avocat qui coordonne l'équipe de défense d'Assange, a estimé que « la persécution politique est évidente ».

« Pourquoi ne discutons-nous pas du mal qui a été révélé par WikiLeaks en 2010 et 2011? »

« Nous devrions parler de crimes de guerre et de meurtres de civils, et non d'espionnage contre les Etats-Unis dans cette cour », a déclaré le journaliste et rédacteur en chef de WikiLeaks Kristinn Hrafnsson, également présent pour cette audience à Londres. Il est « scandaleux » que Julian Assange soit jugé à Londres pour des « affirmations creuses des États-Unis » qui n'ont pas changé au cours des dix dernières années, a déclaré Kristinn Hrafnsson, promettant que la défense avait des arguments solides pour éviter l'extradition.

« Il n'y a absolument rien de nouveau qui est présenté ici ce matin par le Service des poursuites judiciaires au nom de la partie américaine », a déclaré le rédacteur en chef de WikiLeaks à une foule de journalistes qui s'étaient rassemblés devant la cour de Woolwich. Selon lui, les avocats représentant les autorités américaines ont livré des arguments qui étaient « plus ou moins les mêmes que ceux qu'on entend depuis dix ans ».

Pour sa part, le représentant des Etats-Unis, James Lewis, a souligné que le fondateur de Wikileaks « n'est pas inculpé pour avoir dévoilé des informations embarrassantes ou gênantes » mais pour avoir mis en danger la vie de sources américaines en publiant, en 2010, 250 000 câbles diplomatiques et 500 000 documents confidentiels portant sur les activités de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan.

Mais pour Kristinn Hrafnsson, « dix ans plus tard, il n'y a aucune preuve d'un tel préjudice ». Et d'ajouter : « Au contraire, un responsable du Pentagone a été forcé d'admettre lors du procès de Manning en 2013 que personne n'avait été blessé physiquement à cause des révélations de 2010 et 2011. Et maintenant, en 2020, ils sont devant les tribunaux, pas en mesure de présenter une seule preuve de ce préjudice », a rappelé Hrafnsson à la presse.
Pour rappel, parmi les documents publiés par Wikileaks figurait une vidéo montrant des civils tués par les tirs d'un hélicoptère de combat américain en Irak en juillet 2007, dont deux journalistes de l'agence Reuters.
D'après le rédacteur en chef de Wikileaks, c'est le sujet principal de l'affaire de Julian Assange : « Je suis assis là à écouter ces accusations, ces accusations subjectives, et à m'interroger : pourquoi ne discutons-nous pas du mal qui a été révélé par WikiLeaks en 2010 et 2011 ? Pourquoi ne parlons-nous pas de crimes de guerre, de l'assassinat de civils innocents par l'armée, de journalistes de Reuters massacrés ?».

Mais pour la partie représentant les Etats-Unis, « Julian Assange n'est pas un journaliste ». S'il est extradé vers les États-Unis, Julian Assange fait face à des accusations d'espionnage passibles d'une peine de 175 ans de prison. L'avocat du fondateur de Wikileaks Edward Fitzgerald a rétorqué en qualifiant les accusations américaines de « trompeuses » et assuré que son client menait des « activités journalistiques ». Le rédacteur en chef de Wikileaks estime quant à lui que l'existence même du procès d'extradition est une honte : « C'est honteux que nous devions défendre le journalisme devant un tribunal de ce pays.»

Julian Assange, silencieux et poing levé lors de son procès en extradition

Quant au principal intéressé, Julian Assange est apparu devant la juge britannique Vanessa Baraitser vêtu d'un pull et d'une veste gris. Il a longuement étudié les documents remis par ses avocats pendant que l'accusation présentait les chefs d'accusation. Durant le débat qui s'est ensuivi, Julian Assange, visage impassible, a levé le poing à plusieurs reprises en direction de ses soutiens présents dans la salle d'audience.

Dans sa première prise de parole lors de l'audience il a expliqué « avoir du mal à (se) concentrer (...) Ce bruit n'aide pas », tandis qu'à l'extérieur de la salle d'audience, plusieurs dizaines de manifestants massés aux grilles du tribunal étaient venus lui apporter un soutien bruyant.

« J'apprécie beaucoup le soutien public (...) Je comprends que cette procédure doit les dégoûter », a-t-il poursuivi à voix basse, parlant à travers un trou du panneau de verre le séparant de la salle. Les conditions de ce procès ont d'ailleurs été dénoncées par son ancien collègue Kristinn Hrafnsson. La salle d'audience de Woolwich n'a qu'une douzaine de sièges réservés au grand public, a révélé Hrafnsson, et les journalistes ont du mal à pénétrer à l'intérieur. « Il est très difficile de parler de procédures ouvertes et transparentes, en particulier lorsque les microphones sont si mauvais que vous devez tendre l'oreille pour entendre ce qui se dit », a ajouté le rédacteur en chef de WikiLeaks.