En jetant un œil à son ticket de caisse, lors de sa dernière sortie dans son hyper Carrefour, David, informaticien, a failli s'étrangler. « J'en ai eu pour 430 euros! C'est presque le double de notre budget alimentaire habituel », soupire ce papa de deux enfants, habitant en Seine-et-Marne et confiné à son domicile avec sa famille à cause de l'épidémie de Covid-19.
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© InconnuDes chariots bondés pour réaliser trois repas par jour, un manque de choix, moins de promos… Face au budget course qui grimpe en flèche, des enseignes ont décidé de bloquer les prix de certains produits.
Pour beaucoup, cette période de confinement est synonyme d'explosion du montant des courses : d'après l'Institut Iri, spécialisé dans l'analyse des données des produits de grandes consommations, le panier moyen en hyper et supermarché a bondi de 89% la semaine dernière, alors même que ces deux circuits ont enregistré une baisse de trafic de 47% !

« On va moins dans les gros points de vente mais les chariots sont bien plus fournis », souligne Emily Mayer, experte en produits de grande consommation chez Iri. La preuve chez Système U : alors que les clients viennent moins souvent, le panier moyen est passé de 40 à 80 euros.

« J'ai peur de ce qui va se passer »

Confinée à son domicile de Colombes (Hauts-de-Seine) avec sa fille, étudiante, Malika a vu son budget consacré aux courses exploser. « Avant le confinement, j'en avais pour 50 euros la semaine. Aujourd'hui, c'est minimum 100 euros », soupire cette fonctionnaire de 50 ans dont le salaire net est d'environ 1900 euros. Par peur de l'épidémie de Covid-19, cette mère de famille a été obligée de changer ses habitudes.

« Avant, je faisais mes courses le samedi matin chez Leclerc, qui est très bon sur les prix et les promos, et le lendemain au marché pour le frais, raconte-t-elle. Pour plus de sécurité, j'ai décidé d'opter pour la livraison à domicile en passant par le site de Carrefour. »

Et lors de ses deux commandes en ligne, la note a vite grimpé. « Sur les produits frais ou les fruits et légumes, c'est déjà plus cher que ce que je pouvais trouver au marché. J'achète aussi plus que d'habitude - du riz, des conserves — car j'ai peur de ce qui va se passer. Mais surtout, le choix est limité parmi les références en raison des ruptures. On ne peut prendre que les produits disponibles, et ce sont rarement les moins chers. »

Et de citer l'exemple de l'eau : « Je ne fais pas confiance à l'eau du robinet, donc j'achète en bouteilles. J'ai dû commander de l'Evian, seule référence disponible à ce moment-là, et qui est déjà assez chère. Mais comme il n'y en avait plus en bouteilles de 1,5 litre, on m'a proposé de prendre des petites bouteilles qui coûtent deux fois plus. »

Etre contrainte de manger à la maison plombe également son budget.
« J'avais l'habitude de payer mes déjeuners avec des tickets-restaurants alors que ma fille prenait ses repas au restaurant universitaire. » Avec un « crédit immobilier important sur le dos », elle craint désormais d'avoir du mal à joindre les deux bouts si le confinement dure trop longtemps. « Personne ne sait où on va ni combien de temps on sera dans cette situation. »
Trois repas par jour à la maison

Si la note est plus salée aujourd'hui, le prix des articles n'y est pas pour rien, sauf pour certains fruits et légumes. L'inflation est quasi nulle sur les produits de grande consommation d'après Iri, qui note surtout un changement des habitudes. Fermeture des restaurants et des cantines oblige, les clients se sont reportés sur les achats de produits de grande consommation en grande surface : ce report sera de l'ordre de 10 à 15%. « On est beaucoup plus nombreux à la maison, avec deux ou trois repas quotidiens à prendre. Forcément, on achète plus », précise l'experte.

D'ailleurs, les économies réalisées par ces particuliers qui ne déjeunent plus à l'extérieur ne couvrent pas toujours les dépenses engendrées par ces repas désormais pris à la maison. « Mon budget courses a augmenté de 30% ces quinze derniers jours », raconte ainsi Elisabeth, professeure et mère de deux enfants dont une adolescente de 16 ans, qui déjeunait à la cantine pour 3,20 euros par jour. « Le repas à la maison me revient plus cher », estime-t-elle. Et c'est plus vrai encore pour toutes ces familles dont les enfants pouvaient bénéficier de la cantine gratuite.

Par ailleurs, même si le phénomène de surstockage tend à diminuer, cette crainte de manquer pousse le consommateur à acheter toujours plus. « S'il voit des œufs ou de la farine, même s'il n'en a pas besoin, il va quand même en prendre, étant donné qu'il est difficile d'en trouver », explique Emily Mayer.

Autre phénomène jouant sur l'addition globale : lors de leurs achats, les clients se voient parfois contraints d'acheter des produits plus haut de gamme que d'habitude en raison du phénomène des ruptures ponctuelles. Si les pâtes classiques viennent à manquer, ils n'ont pas d'autres choix que de se reporter sur les marques premium.

Moins de promos et moins de choix

A ce titre, la quasi-disparition des promotions en grande surface n'aide pas à alléger le ticket final. Comme d'autres enseignes, Franprix a réduit au maximum les offres promotionnelles dans ses magasins « pour éviter les phénomènes de ruptures et parce que les fournisseurs se concentrent sur la production des basiques, car les chaînes de production sont saturées. » L'enseigne signale aussi que « les opérations promotionnelles demandent du temps au magasin » (balisage, mise en avant, etc.) et « nous préférons qu'ils se concentrent sur les missions plus basiques comme le remplissage, l'encaissement », poursuit Franprix.

Moins de promos, moins de choix dans les rayons, plus de gens à nourrir... Le consommateur va aussi au plus rapide désormais. Ou, en tout cas, il préfère s'adresser au point de vente qui lui donne l'impression d'être le plus « en sécurité ». Plus question de faire des kilomètres pour dénicher le meilleur tarif.

La chute de fréquentation des hypers (-8% la semaine dernière) où les prix peuvent être moins chers et l'assortiment plus important, en témoigne. Par peur de se retrouver au milieu d'une foule, le client privilégie l'e-commerce, circuit star de cette période de confinement (le drive ou la livraison à domicile), ou les commerces de proximité. Et peu importe si c'est plus cher.

Les prix de centaines d'articles bloqués

Dans ses trois boutiques, Jean-Baptiste Bissonnet, directeur des Boucheries nivernaises, a vu augmenter de 30 à 40% le panier moyen. « Il y a nos habitués, bien sûr, qui se déplacent moins mais font des plus grosses courses. Mais nous avons aussi de nouveaux clients », se réjouit-il en reconnaissant que son chiffre d'affaires est en hausse. Le site Alancienne a également vu tripler son activité (de 500 à 1500 commandes par semaine), et son ticket moyen est passé de 50 à 60 euros.

Autant dire que dans cette période, le pouvoir d'achat des Français est mis à rude épreuve. Encore plus avec la fermeture des discounters généralistes (Action, Normal, Noz, Babou ou Stockomani) où les clients pouvaient faire le plein de sucreries, de lessive ou de savon à prix réduit.

Leclerc et Intermarché l'ont d'ailleurs bien compris. Afin d'aider leurs clients, les deux enseignes se sont engagées à bloquer le prix de plusieurs milliers de produits (4000 pour Leclerc et 10.000 pour Intermarché) tandis que Carrefour doit annoncer dans les prochaines heures une mesure similaire portant sur « 500 produits quotidiens de grandes marques ». Autre point positif, enfin, qui concerne tous les Français : si les courses leur coûtent plus cher, ils sont en revanche certains d'économiser sur leur budget sortie, restaurant ou carburant. De quoi équilibrer leurs finances ? Pas sûr.