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© Hannah AssoulineLaurent Obertone
On ne présente plus Laurent Obertone. Romancier et essayiste populaire, ses livres polémiques rencontrent un succès retentissant malgré une omerta de la majeure partie des médias. Avec la crise sanitaire actuelle, sa saga dystopique Guérilla trouve un écho dans le quotidien confiné des Français. Entre économie, forces de l'ordre et Etat « Big Brother », Nora Bussigny s'est entretenue avec l'auteur.

Dans votre saga romanesque, il fallait une Guérilla pour que notre société s'ébranle puis renaisse de ses cendres. Pensez-vous que ce virus pourrait être l'occasion pour la société occidentale de repenser sa façon de vivre ?

J'ai imaginé que l'incident menant à la chute du pays partait d'une confrontation entre policiers et trafiquants dans une cité « sensible ». En réalité, les éléments déclencheurs engendrant le chaos et révélant la profonde décohésion de notre société peuvent être multiples. Le virus en tant que tel, je ne le pense pas, mais une crise économique, c'est très plausible. Quant à la critique de notre façon de vivre, elle sera comme toujours confisquée par la bien-pensance abonnée aux médias.

Que les médias soient sous le feu des critiques, on le comprend. Mais comment expliquez-vous la colère envers les forces de l'ordre qui, dans une situation de crise comme celle que nous vivons actuellement, sont en première ligne ?

Dans l'imaginaire, les forces de l'ordre représentent le dernier rempart d'un régime très impopulaire, détesté parce qu'il piétine allègrement la souveraineté nationale, ment de manière de plus en plus éhontée pour sauver sa peau, échoue dans l'ensemble de ses missions régaliennes malgré un matraquage fiscal record, et par-dessus le marché traite de manière différenciée les Français, en se montrant aussi rigide avec l'honnête citoyen que souple avec le délinquant des « quartiers sensibles ».


Comment: « Dans son édition du 25 mars, Le Canard Enchaîné révélait le compte rendu d'une visioconférence tenue le 18 mars entre Beauvau et des préfets, au cours de laquelle Laurent Nunez avait fait savoir que le respect du confinement dans les "quartiers" n'était "pas une priorité". » (RT)

Un deux poids deux mesures de plus en plus flagrant. Comparez :

Confinement : bloqué par les gendarmes, un homme n'a pas pu dire adieu à son père mourant
"En regardant mon attestation, il me dit : 'vous ne passez pas, ce n'est pas impérieux, on n'a pas le droit d'aller visiter les anciens dans les Ehpad. Je réponds que mon père n'est pas dans un Ehpad, il est en hospitalisation à domicile et il est en phase terminale d'un cancer. Sa réponse : 'Non, non, vous ne passez pas, je vous mets une amende", raconte-t-il à France Bleu.
ou encore : Elle reçoit une amende à la fenêtre d'un Ehpad où elle venait voir son mari
« C'est une nouvelle qui en a bouleversé plus d'un. Dans le Tarn, Hedwig, 79 ans, a été verbalisée jeudi 8 avril, pour être allée saluer son mari de 93 ans, résident d'un Ehpad, à la fenêtre fermée du bâtiment. »
Et :
Le journal Le Canard enchaîné publie ce 25 mars un article en page 2 soulignant la volonté du gouvernement de ne pas froisser les populations vivant «dans les quartiers», selon l'expression employée par Laurent Nunez lui-même. Le palmipède assure avoir eu accès à un compte-rendu d'une visioconférence tenue le 18 mars et réunissant Beauvau et des préfets... au lendemain du début des opérations de confinement sur le territoire, donc. Lire aussi «Pas de protection : pas de contrôle, pas de verbalisation», Unsa-Police sort le grand jeu. Selon cet article du Canard, intitulé «un confinement allégé pour les banlieues», le secrétaire d'État à l'Intérieur aurait déclaré au cours de cette réunion : «Ce n'est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements.» Une préconisation qui aurait d'ailleurs emporté l'approbation d'un préfet de la zone Sud-Est qui aurait précisé, toujours selon cette même source, qu'«il ne fallait pas mettre le feu aux banlieues en essayant d'instaurer un strict confinement» (selon les mots du journal qui résume ainsi la réaction du préfet). RT

L'irrespect flagrant des mesures de confinement, notamment dans certaines banlieues, pourrait-il entraîner des mutineries policières ?

Les policiers, en dépit de leurs journées extrêmement compliquées, sont très légalistes. Pour l'heure, leur colère ne débouche que sur des jours d'arrêt maladie. Le gouvernement le sait et en joue parfaitement. Mais les consignes préconisant de tout faire pour éviter l'étincelle menant à une guerre des cités ne datent pas du confinement. Disons que le confinement rend visible une sécession qui existait déjà.

Vous avez écrit La France Big Brother. Croyez-vous que la situation sanitaire actuelle, par les renseignements que l'on fournit à l'État pour notre sécurité et notre santé, aura une incidence sur le respect de nos données personnelles et plus largement de notre vie privée ?

Par Big Brother, j'entends davantage l'État tout-puissant et ses satellites, que la surveillance et la collecte de données en tant que telle, cette dernière n'étant qu'une des tentacules du Léviathan. Il y a belle lurette que l'État cherche par tous les moyens à s'ingérer dans nos existences. À partir du moment où on lui concède ce droit, il ne faut pas s'étonner de le voir s'engouffrer dans la brèche. Chaque crise en devient d'ailleurs le prétexte. C'est aussi ce que je veux montrer dans mon prochain livre : au prix d'une vague illusion de sécurité, les individus renoncent peu à peu à toute forme d'autonomie, d'intelligence et de liberté. Confier sa vie à une administration, ce n'est jamais une bonne idée.


Comment: Citation d'actualité : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. » Benjamin Franklin.


Plus largement, comment imaginez-vous l'après - confinement ?

Ça dépend de ses conséquences. Si l'économie tient, tout sera vite oublié, les Français feront la fête, consommeront de plus belle, et oublieront bien vite cet épisode, jusqu'à une prochaine crise sociale ou économique. Si l'économie ne tient pas, ce sera autre chose... Dans tous les cas, il est probable que les gouvernements fabriquent des masses énormes d'argent public, qui se traduiront par une forte inflation, du chômage et une paupérisation générale. La crise sera repoussée de quelques mois, et reviendra de plus belle.