Des villes silencieuses, des autoroutes désertes, des trains fantômes. La crise sanitaire a immobilisé la Suisse. Va-t-elle modifier durablement les comportements des pendulaires, comme l'espèrent Vincent Ducrot, le nouveau directeur des CFF, et son prédécesseur Andreas Meyer ? Contribuera-t-elle à atteindre l'un des buts derrière lesquels les entreprises de transport courent depuis des années: mieux répartir les déplacements durant la journée afin de décharger les heures de pointe et de mieux remplir les trains aux heures creuses ?

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Des villes silencieuses, sans mouvement, sans vie.

Commentaire : La vie "après le Coronavirus" sera tout à fait différente. Mais pas trop puisque le confinement nous aura habitué en quelque sorte à vivre chez soi, par la force des choses. La nouvelle écologie qui va décider tout ce que nous devons faire ou non, penser ou non, forcera doucement les gens à continuer de travailler chez soi, étudier chez soi, etc. Ne pas trop prendre la voiture, qui "pollue", ne pas trop marcher dans les rues, ne pas trop sortir. Ne pas voyager en avion. Prendre le train, comme au XIXe siècle.


« C'est un effet possible de la crise. Celle-ci peut être un catalyseur de changements ou un accélérateur de mouvements déjà en route », répond le géographe Pierre Dessemontet, chargé de cours à l'EPFL.

« On peut attendre de cette crise qu'elle ait un effet multiplicateur sur des tendances préexistantes, en l'occurrence le télétravail. Je pense qu'elle pourra favoriser une meilleure répartition des déplacements entre les heures de pointe et les heures creuses », acquiesce Vincent Kaufmann, directeur du Laboratoire de sociologie urbaine (Lasur) de l'EPFL.

Il imagine aisément que l'on commence la journée de travail à domicile pour prendre des contacts ou gérer sa messagerie et que l'on se rende au bureau plus tard. « On parle du télétravail depuis trente ans, sans qu'il se soit jamais généralisé. Or, depuis quelques semaines, il est en train de s'installer », renchérit Patrick Rérat, professeur de géographie à l'Université de Lausanne (UNIL).

Des questions d'une brûlante actualité

Avec Emmanuel Ravalet, chargé de recherche à l'UNIL, Patrick Rérat a étudié les effets du télétravail sur la mobilité spatiale sur la base des données des années 2010 à 2015. Il a observé que le fonctionnement professionnel à distance réduisait certes le nombre de déplacements pendulaires mais pas les distances parcourues. Il est particulièrement adapté à certaines professions - l'information, la communication, l'éducation, le domaine scientifique - mais il éloigne les salariés de leur employeur et de leurs collègues.

Cette enquête a été menée avant la crise du coronavirus. Mais elle pose des questions qui sont d'une brûlante actualité: les logements sont-ils adaptés au télétravail ? Comment les salariés sont-ils indemnisés par leur employeur pour les charges qu'ils assument à domicile (matériel de bureau, électricité, connexions internet, etc.)? « C'est un sacré défi pour la dimension des logements et la mutabilité des espaces », relève Vincent Kaufmann. « Pour toutes ces raisons et aussi à cause de l'imbrication entre la vie professionnelle et la vie familiale, je ne crois pas à la généralisation à 100% du télétravail après la fin de la crise », ajoute-t-il.

Un redémarrage de la mobilité est ainsi attendu une fois que le coronavirus aura disparu. Mais elle aura peut-être un autre visage. « Dans les villes, les gens découvrent ce que c'est que d'être débarrassé des nuisances du trafic. Ils auront peut-être envie d'avoir durablement un environnement urbain de meilleure qualité », suggère Vincent Kaufmann. « Dès qu'ils pourront bouger, notamment pour les loisirs, les gens le feront. Mais certaines habitudes vont perdurer au-delà de la crise. Les premiers mois ou années, la mobilité professionnelle va peut-être reculer de 10 à 20% par rapport à nos scénarios », imagine Pierre Dessemontet. Son institut, Microgis, tentera de modéliser l'impact du confinement sur la mobilité

Quel avenir pour l'aviation?

Président d'Auto-Suisse, François Launaz pense de son côté que les transports publics devront reconquérir leur public: « Pour le moment, les gens qui se déplacent prennent davantage la voiture que le bus, car ils sont méfiants », explique-t-il. « Il faudra pour cela une certaine volonté politique », insiste Vincent Kaufmann.


Commentaire : Volonté, lire obligation. Le confinement a montré partout sur la planète en Suisse ou ailleurs que les citoyens sont "obéissants". La nouvelle "écologie verte" sera une autre obligation.


Il faudra relancer la machine des transports publics, largement mise à l'arrêt depuis la mi-mars. Les CFF ont annoncé que cela prendrait plusieurs semaines. Et cela coûtera bonbon. Les opérateurs demandent à leurs propriétaires publics de compenser les pertes de recettes, qui se chiffreront en centaines de millions de francs, selon l'Union des transports publics (UTP). Or, Vincent Kaufmann aimerait qu'ils en profitent pour investir davantage dans les liaisons ferroviaires à longue distance et nocturnes.

Il y voit une belle occasion de développer le rail sur le continent européen au détriment de l'avion. Comme Pierre Dessemontet, il ne croit pas que les compagnies actives en Suisse disparaîtront. Mais comme l'aviation est frappée de plein fouet par la crise, le secteur pourrait en profiter pour faire sa mue et se concentrer sur les vols moyen et long-courriers.