Sur la question de la réouverture des classes, tous les établissements ne sont pas logés à la même enseigne. C'est également le cas des élèves confinés dont certains, faute de matériel, de connexion et d'envie, ont tout bonnement décroché et n'assistent plus aux cours depuis la mi-mars.
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Un phénomène inquiétant qui pourrait mener à un retard scolaire difficilement rattrapable, selon un professeur et une directrice interrogés par Europe 1.

En région parisienne, les collèges ne rouvriront pas le 18 mai comme c'est le cas dans les zones vertes. Voilà donc deux mois pleins que les élèves sont hors de l'école, et cela n'est pas sans faire de considérables dégâts. Certains d'entre eux ont d'ailleurs tout bonnement arrêté l'école. Invité d'Europe 1, samedi matin, Iannis Roder, professeur d'histoire-géographie à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) dit "estimer de 25 à 30% le nombre d'élèves qui ont totalement décroché scolairement depuis le 17 mars" dans son collège.

Un phénomène inquiétant qui, selon lui, pourrait avoir des conséquences irréversibles sur le parcours scolaire des enfants, et pour lequel aucun établissement ne fait exception. "Sur les communes avoisinantes, on retrouve la même chose à peu près partout, et c'est même encore plus grave dans les lycées professionnels où ce sont parfois 50% des élèves qui ont décroché", déplore Iannis Roder, également président de l'Observatoire de l'éducation à la fondation Jean-Jaurès.

Des élèves " qui ont tout simplement disparu "

Comment les élèves décrochent ? Tout simplement en rompant le contact avec le collège, explique le professeur d'histoire-géographie, au micro d'Europe 1. "Très vite, nous nous sommes rendus compte que nous n'arrivions pas à établir de contact téléphonique ou par mail avec la famille d'élèves qui ont tout simplement disparu", regrette-t-il, reconnaissant le fastidieux travail effectué par les établissement pour "aller chercher ces élèves".

Pourtant, Iannis Roder en est convaincu : il faut à tout prix que ces élèves reviennent à l'école, notamment pour des questions de socialisation. "L'école est un lieu où l'on a un rythme, un cadre, un lieu qui est différent physiquement de la maison, c'est un lieu d'émancipation", affirme le professeur. "Or, là, il n'y a plus d'émancipation possible, les élèves sont dans leur milieu et sont enfermés, quand l'école, elle, est un lieu d'ouverture au monde et de l'esprit", insiste-t-il, précisant l'importance d'un retour à l'école avec les vacances d'été pour éviter que les élèves enchaînent près de six mois loin de l'école.

" J'ai peur que certains ne rattrapent jamais ce retard "

Déjà deux mois loin des salles de classe, et pour ces élèves décrocheurs, deux mois hors des classes virtuelles organisées par visioconférence dans le contexte du confinement. Deux mois d'enseignement perdus, et un retard qui pourrait être très difficile à rattraper, s'inquiète Iannis Roder.

Ce dernier constate notamment les différences de niveaux qui, peu à peu, se dessineront entre les élèves de son collège dionysien, et ceux des "beaux quartiers" parisiens. "Eux, quand ils sont 35 en classe, ils sont 35 en visioconférence ; moi, quand je fais cours à mes élèves, sur 20 ou 22 élèves, j'en ai la moitié qui sont présents, faute de matériel, de connexion internet, ou faute d'envie".

"Les élèves des "beaux quartiers" n'auront pas de problème, s'ils ont du retard, ils le rattraperont", poursuit-il. "Pour nous ça va être beaucoup plus compliqué, et j'ai peur que certains ne rattrapent jamais ce retard".

" Cela dépendra de la famille et du milieu de l'enfant "

Directrice d'une école maternelle et élémentaire dans le XXe arrondissement de Paris, Pauline Grouas a, elle aussi, constaté ce phénomène de décrochage scolaire. Dans une moindre mesure, parce qu'il ne s'agit pas du même niveau de scolarisation, mais celle-ci note tout de même que "des familles se sont renfermées sur elles-mêmes". Des familles sur qui "le coup de téléphone de la directrice ne fonctionne plus".

Le temps devient long, et la réouverture des écoles est importante pour ramener les élèves à l'enseignement, estime-t-elle. Ceux-ci auront-il perdu deux mois ? Elle ne le croit pas. "On a quand même réussi à les faire avancer", affirme la directrice d'école, remarquant tout de même des inégalités en fonction des familles et du niveau des élèves. De Saint-Denis à Paris, la même question demeure : quid du retard accumulé ? "Cela dépendra de la famille et du milieu de l'enfant", considère, elle aussi, Pauline Grouas. "Il y aura des dommages impossibles à rattraper, ou rattrapables dans les années à venir".