Demander aux médecins généralistes de saisir dans un fichier les noms et coordonnées des personnes contaminées au Covid-19 et de leurs contacts : c'est ce que prévoit le projet de loi de prolongation de l'état d'urgence sanitaire. « Soigner n'est pas ficher, soigner n'est pas contraindre ! » dénoncent des médecins.
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Les médecins généralistes n'avaient pas vraiment été intégrés dans la stratégie de lutte contre la contamination. Le gouvernement fait désormais appel à eux pour pister, voire ficher, les patients après le déconfinement.

Le projet de loi de prolongation de l'état d'urgence sanitaire, en discussion cette semaine au Parlement, prévoit que les généralistes « participent à la mise en œuvre » d'un système d'information sur les « personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elle » [1].
« L'Assurance maladie demande aux médecins généralistes de collecter des données personnelles sur leurs patiens atteints du coronavirus, mais également sur leurs proches et les personnes avec lesquelles ils et elles sont en contact », note le Syndicat de la médecine générale (SGM), minoritaire dans la profession et qui défend une vision sociale de la médecine [2].
« Vous aurez évidemment la responsabilité, comme c'est déjà le cas, de prendre en charge vos patients atteints du Covid-19. (...) Mais vous serez aussi invité à vous engager fortement dans la recherche de leurs contacts afin d'aider à leur identification », a écrit l'Assurance maladie aux médecins généralistes.

Les médecins devront transmettre ces données ( noms, adresses, téléphones, résultats des tests ) à une plateforme numérique appelée « contact Covid ». Le projet de loi prévoit que ces données pourront « être partagées, le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées ».

Le Syndicat de la médecine générale s'inquiète de ce contournement du consentement des patients, et aussi pour le secret médical. « Il n'y a pas de garantie du secret médical. On ne sait pas exactement qui va avoir accès à cette base de données, ni si toutes les personnes qui y auront accès seront soumises au secret médical », déplore Mathilde Boursier, médecin généraliste et membre du SGM.

Des personnels de la Croix rouge, des CCAS, des mairies auront accès à ces données de santé

Le projet de loi indique que
« les organismes qui assurent l'accompagnement social des intéressés dans le cadre de la lutte contre l'épidémie peuvent recevoir les données strictement nécessaires à l'exercice de leur mission. »
Il s'agirait entre autres de personnels des agences régionales de santé et de la Caisse primaire d'assurance maladie, sans que cela ne soit clairement précisé. Le 28 avril, devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre a indiqué que des personnels non-médicaux pourraient participer, au sein de brigades locales, à ce pistage des contaminations, comme le « personnel de CCAS [centres communaux d'action sociale], des mairies, des départements, ou du personnel mis à disposition par des associations comme la Croix-Rouge » [3].

Les brigades « ne seront pas uniquement composées de médecins, avait précisé le Premier ministre. Il faudra donc que la loi autorise ces personnes à participer à des enquêtes épidémiologiques pour lesquelles l'accès à des données médicales est nécessaire. » Pour Mathilde Boursier, « cela créerait un précédent, on brise le secret médical. Il n'y aura peut-être pas de retour en arrière. »

Pour leur participation au système d'informations sur les contaminations, l'Assurance maladie promet aux médecins une majoration de 30 euros pour la consultation ou téléconsultation des patients testés positifs, et une rémunération supplémentaire pour l'enregistrement des contacts dans la plateforme « Contact Covid ».

« Si le médecin souhaite mener le "contact tracing" au-delà de la cellule proche du patient (personnes résidant au même domicile que le patient) et enregistrer dans le téléservice "Contact Covid" les autres cas contacts, une rémunération supplémentaire par cas contact renseigné sera versée, selon le niveau de complétude des données saisies », a expliqué l'Assurance maladie aux praticiens. Le tarif sera de deux ou quatre euros pour chaque cas contact inscrit dans la base.

« On ne peut pas faire une politique de santé publique sans la confiance des gens »

Le Sénat a introduit dans le projet de loi une limite de temps pour l'utilisation de ces données, celle de l'état d'urgence sanitaire. Cela ne rassure pas totalement le Syndicat de la médecine générale
. « Soigner n'est pas ficher, soigner n'est pas contraindre ! "Contact Covid" serait un précédent très dangereux de contrôle sanitaire des populations exercé par l'intermédiaire des soignant·e·s. Les médecins ne sont pas des enquêteurs, des contrôleurs », revendique le syndicat. Il appelle les professionnels, les patients, et les citoyens à « refuser cette pratique de fichage ».
Pour la médecin Mathilde Boursier, il faudrait au contraire faire confiance aux patients plutôt que d'accumuler des données. « On nous demande d'introduire dans ce fichier des données que les gens ont, les noms, adresses et numéros de leurs proches, de leurs collègues. Les patients sont en capacité de les contacter eux-mêmes. Pour d'autres maladies infectieuses, telles le VIH ou les hépatites, quand des gens sont testés positifs, on ne leur demande pas les noms et adresses de leurs contacts. D'ailleurs, on ne le fait pour aucune maladie contagieuse à déclaration obligatoire [comme la tuberculose ou la méningite]. Quand des patients en sont atteints, on leur demande de le dire à leurs proches, et nous savons que ça marche, défend la généraliste. On ne peut pas faire une politique de santé publique sans la confiance des gens. » Encore une fois, le choix du gouvernement n'est pas d'impliquer la société dans la lutte contre cette épidémie.