La crise sanitaire a mis en lumière la bonne santé de la rumeur en politique. Nous assistons à une sorte de floraison printanière de rumeurs lancées, prétendument depuis le « château » et par des gens dits « bien informés ».
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© The Yorck Project
Le président serait mécontent des décisions prises et serait, évidemment, le rempart en 2022 qui protégerait les Français de l'arrivée d'un « dingue ». La rumeur est l'un des outils « fashion » de la démocratie habillée en Macron.

La rumeur en guise de vaccin antipopuliste pour 2022

Des rumeurs en provenance du cœur du pouvoir et colportées par des personnalités partageant une part des mystères de ce pouvoir, c'est incontestablement un label de qualité pour l'information officieuse. La qualité ne se situe pas au niveau du contenu de la rumeur mais au niveau de son probable potentiel viral. Comme tout le monde le sait désormais : trouver un traitement contre un virus est une épreuve digne des sournoiseries des dieux de l'Olympe. La rumeur virale ne peut que se répandre en toute tranquillité et mériter sa réputation de bon outil de test de l'opinion et de propagande.

La rumeur est intéressante en ce qui concerne son intention, son objectif et sa cible probables. Voici deux exemples de rumeurs :

Récemment, on a appris qu'Emmanuel Macron serait très fâché contre son ministre de la santé à qui il reprocherait d'avoir trop vite interdit la possibilité de prescrire l'hydroxychloroquine :
« Du côté du palais de l'Elysée, la décision du Ministère de la Santé aurait provoqué une colère assumée de la part de son hôte ».
Ah le bougre ! Le message est touchant et ferait presque passer le Président de la République pour une victime impuissante de ces méchants individus installés sous les ors du pouvoir. Cette rumeur est aussi touchante par ce qu'elle nous donne à voir de son auteur. Visiblement, celui qui est à l'origine de cette rumeur, prend les Français pour des billes lustrées par l'ignorance et ça étincelle !

En effet, dans la Vème République, le chef c'est le président. Certes, en période de cohabitation, la lettre de la Constitution trouve à s'appliquer avec plus d'exactitude :
« le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ».
Pourtant, même en période de cohabitation, le président conserve sa capacité à s'opposer au Gouvernement. Le cas des ordonnances que François Mitterrand a refusé de signer en conseil des ministres rappelle l'effectivité de ce pouvoir. Hors cohabitation, quand le Premier ministre prend un décret ou quand un ministre signe un arrêté, c'est forcément en accord avec la pensée présidentielle. Précisons tout de suite, que je pose le postulat que la pensée présidentielle existe et exprime quelque chose d'audible et de compréhensible par les ministres. Dès lors, nous faire croire que M. Macron serait fâché contre son ministre de la santé n'est qu'une tentative assez médiocre de nous faire croire que M. Macron serait, comme une partie du peuple, excédé contre certaines décisions des ministres. Dans la Vème République, cela ne peut relever que d'un mauvais roman écrit par un auteur qui ne connaîtrait rien de la France, de ses institutions et de leur pratique.

L'auteur de cette rumeur tente de faire passer le président pour quelqu'un qui subit ses ministres. Si cela est vraiment le cas, alors cela signifie que le président n'est plus apte à gouverner et qu'il erre le long d'une voie ferrée comme l'un de ses lointains prédécesseurs.

Imaginer que les Français puissent croire que le président subirait les actes réglementaires de l'un de ses ministres c'est prêter beaucoup de naïveté aux citoyens. Une chose est sûre, l'auteur de cette rumeur tente de sauver le président du naufrage de sa propre politique.
Cette tentative vise à rendre le président sympathique et proche du peuple car subissant comme lui les décisions du gouvernement.
Une telle désolidarisation avec les actes du gouvernement, par nature en phase avec la pensée présidentielle, manque singulièrement de panache. Le président serait-il de la même trempe que le capitaine du Costa Concordia ?

Seconde rumeur, le président aurait peur de l'arrivée d'un « dingue » à l'Elysée en 2022. A cette rumeur, utilisant le vocabulaire branché du président, certains, un peu perfides mais sans doute lucides, rétorqueront que ce risque est déjà réalisé. D'autres se contenteront de relever que cette rumeur pourrait laisser entendre que le président envisagerait de donner de sa personne en 2022 pour protéger le pays d'une aventure aussi dangereuse. C'est formidable.

En dépit de la médiocrité des décisions présidentielles, le président s'imagine apte et légitime, au regard des résultats de sa politique, à se représenter en 2022. Selon le journal répercutant cette rumeur, « la candidature d'une personnalité hors-système, provenant de la scène médiatique pourrait porter atteinte au locataire de l'Elysée, et rendre difficile ses chances d'être réélu » Eh oui, un candidat hors système, c'est bien le cauchemar du système. Mais une information importante est délivrée : « être réélu ». On savait que pour arriver au sommet du pouvoir politique, il ne fallait douter de rien et surtout pas de son génie et de sa prédestination à être impérativement utile aux autres. C'est désormais démontré par l'hypothèse d'une nécessaire réélection. Cette rumeur ne nous dit pas avec précision qui serait ce possible « dingue » dangereux pour la France même si on évoque, et c'est désobligeant, Jean-Marie Bigard.

On imagine forcément un candidat ayant le soutien du peuple car le peuple est hors système et dangereux pour les cercles actuels du pouvoir. Cette rumeur est confortablement colportée dans un article de presse qui rend donc indispensable la personne de M. Macron lequel pourrait faire barrage de son corps et de son intelligence à des futures candidatures élyséennes de Jean-Marie Bigard mais aussi de Cyril Hanouna ou de la journaliste Elise Lucet. Le « dingue » est peut-être un autre candidat que l'on n'ose pas nommer frontalement. Y aurait-il aujourd'hui un homme populaire, une sorte de « dingue » dangereux pour le système ? L'auteur de la rumeur semble le croire. Cette rumeur du dingue prêt à investir l'Elysée en 2022 pourrait être épaulée par une nouvelle rumeur destinée à renforcer l'évidence d'une réélection du président actuel. Cette prochaine rumeur, pour rendre lumineuse la pensée philosophique et stratégique du président, se proposerait de mettre en balance les pensées présidentielles avec celles d'une huître... Dans ce pays, on est désormais pas très loin de ce niveau.

La rumeur ressemble à un vaccin destiné à inoculer le virus de la tentation de donner le pouvoir à un homme populaire et hors système. Cet homme soutenu par le peuple doit être décrété par nature dangereux, populiste, dingue etc. Il est impératif de le dévaloriser et de faire croire que le président est proche du peuple et victime comme ce dernier, de décisions inappropriées prises par son Gouvernement. La rumeur est aussi un test de l'opinion : comment les Français réagiront à l'évocation d'une nouvelle candidature du président ? Comment les Français s'afficheront solidaires avec un président victime des décisions de ses ministres ? Dans quelle mesure les Français s'inquiéteront de la perspective d'un dingue à l'Elysée ? D'autres rumeurs parlent de dissolution de l'Assemblée Nationale, de démission du président, bref les ballons d'essai se suivent comme des tentatives désespérées de marquer un but en faveur du président.

Le fonctionnement de notre démocratie ne nécessite que de flatter et fidéliser une partie des électeurs, celle qui s'exprime dans les urnes, et de lancer les flash-balls et la déconsidération sur ceux qui osent trouver à redire à tout ça.

Une démocratie prise en otage par une minorité

La démocratie, c'est un peu comme pour les entreprises. Il n'est pas nécessaire d'avoir la majorité du capital (des électeurs) pour gouverner. Il suffit juste d'atteindre un seuil de capital (de suffrages exprimés) pour avoir le pouvoir.

Malgré le filtre des partis, il est toujours possible que les électeurs se trouvent un candidat qui déplaît au système. Heureusement, nos démocraties ont tout prévu, y compris le moyen d'échapper à la loi du plus grand nombre. Pour ce faire, les démocraties vont se fonder sur le plus grand nombre... de suffrages exprimés. Vous l'avez compris, il suffit pour remporter une élection d'être celui qui a bénéficié du plus grand nombre de suffrages exprimés même si ces suffrages se sont exprimés dans un océan d'abstention. Pour maîtriser les choix des électeurs, il faut donc expulser le plus grand nombre d'électeurs du processus décisionnel démocratique pour chérir ceux qui vont encore se déplacer aux urnes.

Le développement d'une société de loisirs, le plus souvent sans sollicitation de l'intelligence et de la capacité de réflexion du citoyen, va conduire à faire lâcher prise un nombre important de citoyens qui, lentement mais sûrement, vont devenir dépendants de ces loisirs au point de n'exister que pour s'adonner à ces derniers.

Principaux acteurs de cette destruction du citoyen critique : les médias sur écran (télévision, tablette, smartphone). Ces derniers modifient le rythme de vie des citoyens et leur perception du monde. Désormais, le mode de vie va se centrer sur l'immédiateté via une profusion incessante d'informations délivrées 24H/24 sans aucune hiérarchisation et par la focalisation ponctuelle sur des sujets sans importance. Les médias relativisent tout, noyant ainsi les sujets essentiels. Les citoyens perdent la capacité à s'intéresser à des sujets complexes, perçus comme ennuyeux. Abreuvés de flots incessants d'images et d'informations, les citoyens deviennent incapables de lire plus de dix lignes. Nous sommes à l'ère du tweet, du texto, du président Macron et cela se ressent. Si être synthétique et clair est une qualité, il est difficile de mettre en lumière les mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement de nos sociétés en une dizaine de lignes de texte.
Or aujourd'hui, la capacité de concentration du citoyen est de plus en plus formatée par les modes actuels de communication, lesquels rendent impossibles une critique sérieuse du monde mais portent au pinacle le buzz et ses enchaînements d'informations insignifiantes.
La majorité des citoyens devient incapable d'accéder à la compréhension de la complexité du monde, laquelle se dévoile bien au-delà de la dixième ligne de texte. Les hommes se murent dans une prison faite de sms et de tweets.

Il devient difficile de débattre car débattre c'est parfois proposer un point de vue alternatif. Celui qui tient des propos dérangeants, car remettant en cause une version officielle, sera immédiatement disqualifié en étant traité de dingue voire de « complotiste », terme devenu l'arme fatale qui sert à fusiller tout propagateur d'idées non conformes aux standards dominants. La manière dont le professeur Raoult est traité par les médias est sur ce point emblématique de la dévalorisation d'une personnalité populaire : Didier Raoult ferait du populisme scientifique selon un professeur-consultant sur une chaîne de télévision, on l'affuble sur les réseaux sociaux du nom de Chloroquix ou de « Gérard Depardieu de la science », entendons par là une comparaison à vocation désobligeante sans lien avec le talent d'acteur de Depardieu.


Tous ces éléments contribuent à la diminution de l'implication citoyenne dans la vie quotidienne. Une part appréciable de la population n'est plus intéressée que par elle-même, se consacre quotidiennement à une forme de résilience expiatoire ou se trouve dans l'incapacité de penser le monde et de s'y projeter. Cette partie de la population déserte de plus en plus les isoloirs car ces derniers ne représentent plus rien pour elle. Pour ceux qui ne sont pas encore totalement devenus les excroissances de leur écran, le constat de la similitude des candidats, mêlé au sentiment que rien ne pourra changer, les incitent à ne plus participer aux temps forts d'une démocratie dont ils perçoivent le simulacre. L'abstention ne cesse d'augmenter scrutin après scrutin.

Enfin, les derniers vaillants qui se déplacent aux urnes sont pour la plupart ceux que les mass média et les partis politiques ont le plus flatté. Ces citoyens, eux aussi le plus souvent incapables de lire plus de dix lignes de texte, pensent encore que la démocratie fonctionne correctement dès lors que les candidats présentés parlent comme eux et pensent comme eux. Il y a un phénomène d'identification de classe sociale qui se crée entre ces derniers électeurs et les candidats. Tout ce petit monde est dans l'entre-soi, ou se l'imagine, et est convaincu de partager les mêmes intérêts.

Cette dernière frange de la population, qui participe aux élections, ne risque pas de remettre en cause un système dans lequel elle se reconnaît et duquel elle attend une reconnaissance, une médaille, un selfie avec le président. Bien sûr, il y a toujours des électeurs qui échappent à ces catégorisations et qui se rendent aux urnes avec la conscience de ce qui ne va pas et de la piètre qualité des candidats proposés. Ces électeurs encore éveillés et qui votent sont une minorité et ne peuvent plus mettre en danger le système.

En conclusion

Pour le pouvoir, il est nécessaire de réparer au plus vite les dégâts de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire. Il faut donc montrer que le président est conscient et innocent de cette mauvaise gestion. Il serait presque une victime collatérale de ses ministres voire des experts consultés. Les éléments de langage, à n'en pas douter, se préparent. La légitimité à demander un nouveau mandat doit s'imposer comme une évidence aux Français. Il faut donc dévaloriser au plus vite ceux qui ont aujourd'hui les faveurs du peuple, même s'ils ne font pas de politique. Il faut s'en méfier car ils pourraient changer d'avis, entrer dans l'arène politique, et pire, ils pourraient convaincre le peuple de reprendre le chemin des isoloirs.
La riposte est simple : on dévalorise les propos des personnalités trop populaires et hors système, on met en doute la qualité de leur travail et on les englue sous des qualificatifs de populiste, de dingue ou d'extrémiste.
Surtout, il faut commencer à effrayer les Français déjà bien secoués par le Covid-19 et sa gestion. Désormais il faut brandir le spectre du dingue qui pourrait entrer à l'Elysée en 2022, mettre à feu et à sang la France et remettre en cause certains petits privilèges, si utiles pour fidéliser les électeurs qui s'identifient à la classe dirigeante. Il est donc impératif de garder en main les électeurs qui continuent à voter et entretiennent avec le monde un rapport qui ne dépasse pas dix lignes de texte.

Les rumeurs répandues par des personnes « bien informées » sont une bonne soupe pour nourrir ces électeurs peu exigeants, mais si formidables par leur détermination à se rendre dans les isoloirs pour s'en remettre à leur maître comme les vieilles bigotes se rendant à confesse.