Pour beaucoup, c'était la goutte de trop: quand le pouvoir a voulu les reconfiner, des milliers de Serbes sont descendus dans la rue pour protester contre une gestion jugée incohérente de la pandémie.
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Quel a été le déclencheur de cette colère dans ce pays des Balkans qui recense officiellement 370 morts du Covid-19 ? Est-elle de nature à ébranler l'homme fort depuis 2012, Aleksandar Vucic, dont opposition et les ONG dénoncent l'autoritarisme ?

Pourquoi ces manifestations ?

Les Serbes s'étaient pliés au confinement strict, initialement imposé sur les conseils d'experts chinois. Mais mardi, une heure après l'annonce par Aleksandar Vucic qu'ils resteraient enfermés du vendredi au lundi, des milliers de Belgradois sont descendus dans la rue, excédés par l'incohérence des autorités.

Aux deux mois de confinement, a succédé une période de libération totale: matches de football avec des milliers de spectateurs, tournoi d'exhibition organisé par Novak Djokovic, depuis positif...

Pour beaucoup, Aleksandar Vucic a minimisé l'ampleur de la pandémie et revendiqué une "victoire contre le virus" afin de pouvoir tenir les législatives du 21 juin, boycottées par l'opposition, qui ont tourné au plébiscite pour son parti.

Durant la campagne, les autorités annonçaient un décès quotidien, voire zéro. Dès le lendemain du scrutin, les chiffres sont repartis à la hausse. Plusieurs ministres, qui avaient ostensiblement fêté la victoire ont ensuite annoncé être positifs...
"On en a assez des manipulations des chiffres du Covid-19", dit une manifestante Danijela Ognjenovic, 52 ans
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Pour ne rien arranger, Aleksandar Vucic a culpabilisé ses citoyens:
"Nous nous sommes trop relâchés, nous avons fait de nombreuses erreurs, et la responsabilité individuelle de chacun d'entre nous est engagée."
Qui manifeste ? Qui provoque les violences ?

Les foules sont très diverses à Belgrade, mais aussi dans diverses villes de province, sans leadership identifié. Défilent des jeunes, des familles mais aussi des citoyens brandissant croix et icônes, des anti-vaccins, etc. De la gauche à l'extrême droite en passant par les déçus de la politique, tout le spectre idéologique est représenté.

Des violences ont éclaté mardi quand un groupe de manifestants est entré en force dans le Parlement, puis mercredi puis encore vendredi soir.

S'il a renoncé au couvre-feu du weekend, Alexandar Vucic a dénoncé l'action de "hooligans".

Les protestataires accusent eux des "agents provocateurs" infiltrés par les autorités d'avoir fait dégénérer les manifestations pour les discréditer, et dénoncent des violences policières.

Le pouvoir de Vucic peut-il être ébranlé ?

Homme fort de la Serbie depuis 2012, cet ancien ministre de Slobodan Milosevic est un ex-ultranationaliste qui s'est réinventé en responsable de centre-droit souhaitant faire adhérer son pays à l'Union européenne.

Il contrôle les institutions. Les principaux médias, notamment la télévision, lui sont acquis, à l'exception de N1, sa bête noire. Au soir de la première manifestation, la chaîne nationale RTS avait choisi de diffuser un film de Jackie Chan.

Pour l'ONG Freedom House, la Serbie n'est plus une démocratie en raison de cette mainmise du pouvoir sur l'espace médiatique.

L'opposition, laminée depuis des années, est désormais absente au Parlement.

En conséquence, "c'est dans la rue que se mène la lutte politique", dit le commentateur politique Boban Stojanovic.

Mais l'expérience montre que "le gouvernement peut tolérer des mois de manifestations pacifiques (...) aussi longtemps qu'il contrôle le discours médiatique", selon le journaliste Nemanja Rujevic.

Les manifestations "privées d'objectifs idéologiques clairs, ont tendance à être intenses mais brèves", dit Bosko Tripkovic, professeur à l'université de droit de Birmingham. Les protestataires n'ont "ni leadership ni liste de revendications" en l'absence des partis d'opposition débordés par le mouvement.

La situation peut-elle aliéner le soutien de l'Europe à Vucic ?

Si elle relève régulièrement les manquements en terme de lutte contre la corruption ou d'indépendance de la justice, l'UE fait preuve de mansuétude pour un homme qu'elle considère comme le garant de la stabilité du pays et la clé d'une résolution du conflit avec le Kosovo, dont Belgrade ne reconnaît pas l'indépendance. Il a été reçu cette semaine par le président français Emmanuel Macron sur ce dossier, l'un des conflits les plus sensibles en Europe.

Sans l'expliciter, Aleksandar Vucic a laissé entendre qu'une "influence étrangère" pouvait être derrière les manifestations. Un des tabloïds qui lui est acquis, Kurir, évoquait explicitement la Russie. Une manière pour le pouvoir de ré-afficher son attachement à l'UE qu'il n'avait pas épargnée en début de pandémie au profit des "frères chinois".