Pour la première fois, les physiciens de l'expérience T2K au Japon, parmi lesquels ceux du CNRS (1) et du CEA/Irfu, annoncent avoir très probablement détecté une transformation de neutrinos muons en neutrinos électrons. L'observation - probable à plus de 99% - de ce phénomène constituerait une découverte majeure pour la compréhension de la physique des particules élémentaires et ouvrirait la voie à de nouvelles études sur l'asymétrie entre la matière et l'antimatière.

Les neutrinos existent sous trois formes ou « saveurs » : les neutrinos électrons, muons et tau. L'expérience T2K, située au Japon, étudie le mécanisme d'oscillation de ces particules, c'est-à-dire la faculté qu'elles ont à se transformer en une autre saveur dans leurs déplacements. Son principe est d'observer les oscillations des neutrinos sur une distance de 295 km, entre les sites de Tokai, où les neutrinos muons sont produits grâce à l'accélérateur de particules de JPARC (2) sur la côte est du Japon, et le détecteur Super-Kamiokande, une cuve d'eau cylindrique de 40 mètres de diamètre et 40 mètres de hauteur située à 1 000 mètres sous terre, près de la côte ouest (d'où son nom T2K, qui signifie « de Tokai à Kamiokande »).

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Vue du détecteur géant Super-Kamiokande, qui avait déjà été utilisé pour étudier les neutrinos « naturels" provenant du soleil et ceux produits par les rayons cosmiques dans la haute atmosphère. En bas de l'image, une équipe inspecte le détecteur pendant qu'il est encore vide.
© Kamioka Observatory, ICRR, Université de Tokyo.
Les analyses des données collectées entre la mise en service de l'expérience en janvier 2010 et mars 2011 (l'expérience a été arrêtée avec le séisme du 11 mars) montrent que durant cette période, le détecteur Super-Kamiokande a enregistré un total de 88 neutrinos, parmi lesquels 6 neutrinos électrons qui proviendraient de la métamorphose de neutrinos muons en neutrinos électrons. Les 82 neutrinos restants seraient essentiellement des neutrinos muons n'ayant subi aucune transformation entre leur point de production et leur détection. Des mesures utilisant un GPS certifient que les neutrinos identifiés par le détecteur Super-Kamiokande ont bel et bien été produits sur la côte est du Japon. Les physiciens estiment ainsi que les résultats obtenus correspondent à une probabilité de 99,3% de découverte de l'apparition des neutrinos électrons.

L'expérience T2K redémarrera dès la fin de cette année. Bien que situés dans une zone sismique proche de l'épicentre du tremblement de terre du 11 mars 2011, le laboratoire JPARC et les détecteurs proches de T2K n'ont subi heureusement que des dégâts minimes. Le prochain objectif de T2K est de confirmer avec davantage de données l'apparition des neutrinos électrons et, mieux encore, de mesurer le dernier « angle de mélange », un paramètre du modèle standard qui ouvrirait la voie aux études de l'asymétrie entre la matière et l'antimatière dans notre Univers.

La collaboration T2K regroupe plus de 500 physiciens de 62 institutions réparties dans 12 pays (Japon, pays européens et États-Unis). Les équipes du CNRS et du CEA/Irfu ont mis au point certains instruments de mesure utilisés dans les détecteurs proches (situés à 280 mètres du point de production des neutrinos et nécessaires à contrôler l'expérience) et participé à la calibration du détecteur Super-Kamiokande. Elles ont également contribué à l'analyse des données.

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Vue d'un événement d'un neutrino électron de T2K apparu dans le détecteur lointain Super-Kamiokande. Les points correspondent à la détection de lumière Tcherenkov par des photomultiplicateurs localisés sur les parois de la cuve géante. Le cercle identifie la production d'un électron dû à l'interaction du neutrino électron incident avec l'eau de la cuve. Cet événement est parfaitement synchrone avec la production du neutrino (muon) à JPARC.
© collaboration T2K
Notes :

(1) Laboratoire de physique nucléaire et de hautes énergies (CNRS / Université Pierre et Marie Curie / Université Paris Diderot-Paris 7), Institut de physique nucléaire de Lyon (CNRS / Université Lyon 1), Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS / École Polytechnique).

(2) Japan Proton Accelerator Research Complex


Source: CNRS