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L'extraordinaire générosité de l'Europe et des États-Unis dans l'approvisionnement en armes de l'Ukraine a largement dépassé les attentes. De nouvelles livraisons d'armes ont été annoncées quelques heures avant la réunion de Ramstein de vendredi dernier par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède ou encore le Danemark. Le Royaume-Uni s'est engagé à envoyer 600 missiles supplémentaires Brimstone, le Danemark la totalité de ses 19 canons Caesar de fabrication française, et la Suède des canons automoteurs Archer.

Aux États-Unis, en plus de mettre les arsenaux nationaux sous pression, cet approvisionnement militaire a généré des commandes de plusieurs millions de dollars et fait exploser les actions de l'industrie de l'armement sur le marché boursier.

Ce n'est pas nouveau dans l'Histoire : la guerre a toujours été une bonne opportunité pour multiplier les bénéfices et plus elle dure, mieux c'est. Cependant, après l'envoi de plus de 40 milliards de dollars d'aide militaire à l'Ukraine, principalement à partir des stocks existants, les ministères de la Défense de l'OTAN ont réalisé que les lignes de production d'armes inactives ne pouvaient pas être activées du jour au lendemain.

L'augmentation de la capacité de production nécessite des investissements et dépend de la sécurisation de contrats de production à long terme − une donnée qui n'a pas échappé à l'industrie de l'armement américaine. Les États-Unis ont envoyé environ un tiers de leur stock de missiles antichars Javelin et un tiers de leur stock de missiles antiaériens Stinger à l'Ukraine − l'occasion de venir toquer à la porte du Pentagone pour les géants de l'armement.

Face à la baisse des stocks nationaux, des dépenses d'armement toujours plus élevées ?

Hasard du calendrier politique, l'OTAN a bien fait de quitter l'Afghanistan pour se concentrer sur un conflit qui s'est révélé autrement plus juteux pour le complexe militaro-industriel américain. En effet, d'un point de vue strictement économique, quelques heures en Ukraine comptent pour un mois ou plus en Afghanistan − un écart qui s'explique essentiellement par une utilisation et une consommation extraordinaires d'armes et surtout de munitions de différents types et calibres.

Cette situation n'est pas sans mettre la pression sur les arsenaux nationaux, c'est-à-dire les stocks, mais aussi sur l'appareil militaire suprême américain, le Pentagone. Il se retrouve en effet aujourd'hui impliqué dans l'utilisation intensive de l'artillerie et d'armes légères, de véhicules blindés, de systèmes antichars et antiaériens pour soutenir des combats prolongés, des assauts terrestres et des contre-attaques. « Il ne fait aucun doute que les stocks et la base industrielle ont été mis sous pression », a reconnu le sous-secrétaire du Pentagone Colin Kahl. « Nous assistons au premier exemple depuis des décennies d'un conflit conventionnel véritablement de haute intensité ».

Selon le Wall Street Journal, les principaux États américains assurent que l'envoi d'armes à l'Ukraine se fait strictement sans dégrader les capacités de leurs forces, en recourant à des stocks excédentaires. À ce jour, les États-Unis ont expédié, entre autres, 924 000 munitions d'artillerie pour obusiers de 155 mm, plus de 8 500 missiles antichars Javelin et 1 600 munitions antiaériennes portables Stinger (un quart du stock), des centaines de véhicules et de drones, 38 systèmes de roquettes mobiles Himars.

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© Mike Mareen - ShutterstockHigh Mobility Artillery Rocket System (HIMARS), Szczecin, Pologne, mai 2022.
Face à la baisse des stocks nationaux et à la poursuite des aides militaires accordées à l'Ukraine, les géants de l'armement américains ont bien compris qu'ils avaient là une occasion en or pour négocier de nouveaux contrats. Washington a récemment annoncé une aide militaire record de 3 milliards de dollars d'armements tirés des stocks de l'armée américaine, et 225 millions de dollars de commandes à l'industrie de défense « la plus élevée en valeur totale que nous ayons promise jusqu'ici », a déclaré Laura Cooper, vice-secrétaire adjointe de la défense, chargée de la Russie au Pentagone.

Et l'éventuelle poursuite d'un conflit intense en Ukraine pourrait amener Washington à adapter son rythme de production. À titre d'exemple, dans le Donbass, en été, les Ukrainiens ont tiré environ sept mille obus d'artillerie par jour ; les États-Unis en produisent jusqu'à présent 15 000 par mois.

Les géants industriels de l'armement grimpent en flèche à Wall Street

Mais le Pentagone n'était pas pris au dépourvu et s'est mis à l'abri avec de nouveaux ordres. On ignore quel sera l'impact du conflit sur de nouvelles augmentations du budget militaire, déjà de 740 milliards en 2022, sur de nouvelles commandes à long terme et sur la refonte de la composition des arsenaux. Toutefois, certains des acteurs du secteur de la défense, selon le Wall Street Journal, ont progressé en bourse cette année : Lockheed de 36 %, Northrop Grumman de 37 %, Raytheon de 14 %.

Le géant américain de l'armement Lockheed s'est vu attribuer par l'armée américaine un contrat de 430 millions de dollars pour la production à grande échelle de lance-roquettes d'artillerie à haute mobilité M142, dans le but de reconstituer rapidement les stocks des États-Unis et de leurs alliés et partenaires qui ont envoyé des armes en Ukraine. Lockheed a également remporté un contrat de l'armée d'une valeur de 14 millions de dollars pour augmenter la capacité de production afin de reconstituer rapidement les stocks de HIMARS américains.

L'armée américaine a également attribué un contrat de 1,2 milliard de dollars à Raytheon Missiles and Defense pour fournir rapidement six batteries du système de missiles Nasams à l'Ukraine. Pratt & Whitney, filiale de Raytheon, s'est vu attribuer un contrat de 510 millions de dollars par la marine américaine pour le soutien annuel du système de propulsion F135.

Système de défense aérienne terrestre à courte ou moyenne portée (NASAMS)
© Karolis Kavolelis - ShutterstockSystème de défense aérienne terrestre à courte ou moyenne portée (NASAMS), Siauliai, Lituanie, 6 juillet 2022.
Entre mai et octobre 2022 par exemple, le Pentagone a mobilisé 2,6 milliards de dollars pour reconstituer les stocks, sur les 14 milliards spécialement approuvés par le Congrès. Un total de 663 millions a été prévu pour les nouveaux Javelins de Raytheon et Lockheed, et 1 300 missiles antiaériens portables Stinger ont été commandés à Raytheon depuis mai pour un montant supplémentaire de 624 millions de dollars.

La chasse aux armes génère également des propositions de fournitures à Kiev qui sont considérées comme moins orthodoxes : Boeing a suggéré d'envoyer à Kiev un système à faible coût, baptisé GLSDB, pour exploiter des composants largement disponibles aujourd'hui, de petites bombes de précision montées sur des roquettes M26.

En bref, il y en a pour tous les goûts et toutes les occasions sont bonnes pour gagner des fortunes sur le dos des contribuables américains, devenus les vaches à lait du complexe militaro-industriel, avec la planche à billets qui régale en coulisses. Dans ce supermarché de la mort, qui tourne 24 heures sur 24, les multinationales américaines de l'armement s'en donnent à cœur joie.