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Voile et tabac semblent deux sujets sans rapport. Pourtant, si l'on observe la manière dont l'opinion publique est conditionnée à y réagir négativement, on ne peut qu'être frappé par les analogies qui se manifestent entre les argumentations. Et c'est précisément parce que ces sujets sont sans rapport, que l'analogie argumentaire apparaît d'autant plus frappante. Le réservoir rhétorique où puisent les contradicteurs du voile et du tabac, d'une manière qui peut sembler extraordinaire, est exactement le même.

On nous annonce maintenant que seul le bannissement intégral du tabac serait la prévention efficace du cancer du poumon. C'est que l'application de certains principes, politiquement sans fondement, sont sans limites. Si le tabac est un toxique violent nocif à toutes doses, si faibles soient-elles, fussent-elles les émanations lointaines d'un fumeur dans un lieu public, le bannissement s'impose. Il ne suffit pas de l'interdire dans des lieux clos, ouverts au public, il ne suffit pas de l'interdire dans l'espace public, il faut le bannir, en organiser la totale prohibition. C'est à dire l'inscrire au tableau C des stupéfiants. Eradiquer les plantations de tabac. Mener une guerre mondiale à la plante, à ses producteurs, à ses commerçants, à ses consommateurs. On a oublié toute raison. Ce ne sera qu'encourager à l'illicite, à la contrebande, et alimenter en ressources la mafia.

Or on peut constater la même dérive dans le domaine vestimentaire connoté religieusement. L'analogie est frappante. De même que l'antifumeur ne veut en aucun cas être mis en présence du fumeur, même de loin, même en photo (on l'a vu), le laïco-féministe ne veut en aucun cas être mis en présence de la burqa. L'intolérance s'étend au foulard, qui ne doit pas être porté par une candidate aux élections, aussi républicaine, laïque, féministe, soit elle. Une chanteuse (Diams) doit abandonner son foulard « pour ne pas donner le mauvais exemple ». Et c'est un membre du gouvernement qui le lui dit.

L'argument de la liberté individuelle est balayé d'un revers de main : le fumeur n'est pas libre, il est accroché à sa drogue, sous dépendance. La porteuse de burqa est dans la même situation : elle n'est pas, ne peut essentiellement pas, faire un choix libre. Il y a un cigarettier, ou un barbu, qui tire les ficelles dans ces affaires. L'idée est celle de l'aliénation, dans un sens intermédiaire entre celui de la psychiatrie et du marxisme. L'aliéné est un irresponsable, dépourvu de libre arbitre, à protéger de lui-même, comme il faut protéger les autres de lui.

Et l'on voit apparaître des argumentations qui n'ont plus rien de laïque, mais deviennent résolument antimusulmanes. Ce n'est pas la burqa, ce n'est pas le voile, qui est antirépublicain, antilaïque, antiféministe, c'est la religion musulmane elle-même. De même que pour le tabac, on va vers le bannissement de l'Islam. Le nouveau régime qui s'établit a pour devise Santé, Laïcité, Féminisme.

Mais les termes ont complètement changé de sens. La santé est un désir naturel de chacun, qui peut être contre être en bonne santé ? Personne. Mais la Santé n'est plus un souhait, un droit, elle devient un devoir de santé, prétexte à une tyrannie. Les sains doivent mener une guerre contre les malsains, et les persécuter sans répit. La Santé devient le drapeau d'une Croisade hygiéniste. Nous croyons être dans la science, mais nous n'y sommes plus depuis longtemps.

La laïcité est une obligation qui s'impose à l'Etat pour garantir précisément le droit à la non-laïcité des citoyens. Si l'Etat est laïc, c'est pour permettre aux religions de s'exprimer librement. L'obligation de laïcité imposée aux citoyens est absurde en soi. On voit d'ailleurs qu'elle mène à la non-laïcité d'un Etat qui se lance dans l'étude théologique de la symbolique vestimentaire à caractère religieux. La Laïcité devient une religion d'Etat qui exige le bannissement des religions non laïques.

Le féminisme est le droit des femmes à disposer d'elle-mêmes, mis en avant lors des combats prochoix de l'IVG. Le Féminisme est une tyrannie exercée par Ni Putes Ni Soumises sur la liberté vestimentaire et politique d'autres femmes, niant leur droit à disposer d'elles même comme elles l'entendent. Et Prochoix de Caroline Fourest mène le même combat antichoix.

La Santé est contre la santé : où est le souci de la santé des fumeurs se gelant dehors en hiver sous la pluie ?

La Laïcité est contre la laïcité : ou est le souci laïc de représentants de l'Etat qui viennent énoncer la signification de la symbolique du voile musulman ? Font-ils la symbolique du voile catholique ? Quelle est leur compétence ? Ils sortent de leur rôle en devenant athéologiens. La seule analogie historique est la laïcité athée des régimes communistes et la laïcité antijuive du régime nazi. Pas de quoi se féliciter des avancées de notre Laïcité à sauce antimusulmane.

Le Féminisme est contre le féminisme : où est le féminisme de celles qui hurlent en meute à la mort contre une autre femme, au motif que son chapeau leur déplait ?

Nous avons été abreuvés de sophismes pendant des années. Et maintenant, nous en payons le prix. L'opinion publique est devenue folle. Folle de peur devant la fumée de combustion d'une substance végétale, folle de peur devant un bout de tissu. On pourrait en ajouter, folle de peur devant le CO2, par exemple. Toutes les tentatives de ramener l'opinion à la raison sont vouées à l'échec.

On peut noter que ces questions qui concernent nos libertés individuelles au premier chef, notre notion de la démocratie, de la république, de la santé, de la laïcité, du féminisme, ne figurent dans nul programme électoral. Elles sont soulevées par des bandes politiques transversales aux partis politiques, qui agissent en groupe de pression pour faire triompher leur intérêt idéologique. Ce sont des sectes respectables, subventionnées par l'Etat, qui ne représentent qu'elles même. Qui est en France pour l'interdiction totale du tabac ? Presque personne. Qui est en France pour la mise hors la loi de l'Islam ? Presque personne. Et pourtant, c'est la direction que nous prenons, très tranquillement et presque sans nous en apercevoir sous l'influence de ces bandes politiques.

C'est pourquoi je suis pour l'emploi du référendum dans de telles questions. Nous verrons alors combien de citoyens représentent ces bandes politiques transversales aux partis politiques. Nous savons déjà que l'unanimisme parlementaire peut cacher une opinion minoritaire dans l'opinion.