Pour se faire une bonne idée de ce que peut être l'enfer sur terre, il suffit de contempler l'assaut ininterrompu de Gaza. Le massacre, qui a déjà coûté [à la date de l'article - NdT] la vie à plus de 11 200 Palestiniens, dont plus de 4200 enfants, souvent aux côtés de leur mère, est implacable.
Des vidéos quotidiennes montrent des cadavres de nourrissons démembrés, généralement entourés d'adultes perdant leur sang et hurlants qui, comme les morts, n'ont absolument rien à voir avec ce qui motive ce carnage.
Les véritables belligérants sont assez faciles à identifier. D'un côté, il y a la branche armée du mouvement Hamas, le groupe qui a mené des attaques violentes lors d'une offensive en Israël qui a coûté la vie à 1200 Israéliens. Le monde continue de pleurer et d'exprimer son indignation face aux meurtres, aux blessures infligées et aux personnes capturées.
Le principal ennemi des brigades al-Qassam du Hamas est la force de défense israélienne (FDI), qui est de loin la force militaire la plus lourdement armée du Moyen-Orient et qui est réputée pour sa violence meurtrière.
Alors que les accusations de crimes de guerre à l'encontre d'Israël s'accumulent, le gouvernement israélien prétend de manière grotesque que tout ce qui vit à Gaza peut légitimement être détruit, puisque s'y trouve un nombre limité de militants armés. Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».
La plupart des civils qui parviennent à éviter les bombardements et les tirs aveugles, y compris sous le couvert d'un black-out total, succomberont à une série d'autres facteurs mortels imposés par les forces de défense israéliennes (FDI). Il s'agit notamment du blocage des approvisionnements vitaux. « Nous assiégeons complètement Gaza... Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de gaz — tout est bouclé », a déclaré Gallant.
L'ancien premier ministre israélien Naftali Bennett a même prétendu à une adhésion ironique à la quatrième convention de Genève, disant ouvertement : « Nous permettons aux civils d'évacuer avant de les bombarder ». Le successeur de Bennett, Benjamin Netanyahu, s'est vanté de « faire pleuvoir le feu de l'enfer » sur Gaza.
À quelques variantes près, ce sont les mêmes clichés de massacre dans Gaza, ressassés depuis des décennies lors de ces conflits asymétriques. Encourager les gens à quitter la ville de Gaza vers le sud, sur des routes qui seront de toute façon bombardées, n'arrêtera pas ce qui est déjà décrit comme un génocide.
Les victimes palestiniennes sont tout simplement déshumanisées — elles sont toutes traitées comme des non-entités sacrifiables qui méritent une punition collective.
Les organisations de défense des droits de l'homme et les Nations unies ont exprimé leur crainte d'un nettoyage ethnique à Gaza. Cela évoque la Nakba (catastrophe) d'après 1948, lorsque au moins 750 000 Palestiniens ont été expulsés de force de leurs foyers et de leurs terres, et que quelque 15 000 d'entre eux ont été tués par des groupes paramilitaires, afin de vider l'espace pour le nouvel État d'Israël.
Comme toujours avec les offensives israéliennes, il y a une campagne médiatique mondiale visant à les « justifier ». Des expressions telles que « Israël se défend » sont utilisées en boucle. S'il y a une quelconque objection à ce qui se passe, le mot « Hamas » est utilisé, comme si le nom même du groupe avait le pouvoir d'absoudre quiconque de crimes contre l'humanité.
Même les armes les plus meurtrières des FDI, telles que les nouveaux mortiers Iron Sting, sont dites « défensives », bien qu'elles aient — une fois de plus — rapidement transformé Gaza en un tombeau jonché de décombres.
L'utilisation de ce vocabulaire « défensif » par une armée d'occupation qui inscrit le mot « défense » dans son nom même a pour but d'édulcorer tout sentiment d'indignation, et toute personne qui n'est pas d'accord est accusée de « cautionner le terrorisme ».
Les mots sont extrêmement puissants et, dans ce cas, ils démentent le fait que les multiples opérations menées par les FDI au fil des décennies, y compris les invasions terrestres, ont été des opérations offensives dont l'objectif principal était d'anéantir la vie des Arabes musulmans.
Il n'est jamais difficile de créer un consensus pour de tels projets parmi les alliés occidentaux. Des conférences de presse organisées à la hâte ont associé Hamas à toutes les atrocités imaginables, y compris l'utilisation d'armes chimiques.
Les auteurs des raids transfrontaliers auraient transporté des instructions « officielles » d'Al-Qaïda en anglais sur le lancement d'une attaque au cyanure, selon le président d'Israël. Pendant ce temps, la distinction entre ISIS, Al-Qaïda, Hamas et des millions de Palestiniens ordinaires s'estompe avec facilité.
Le président américain Joe Biden ne se préoccupe certainement pas de cette différence. Il souhaite simplement que le « pilonnage » se poursuive encore et encore. Joe Biden a même envoyé les navires de guerre les plus sophistiqués des États-Unis, dont le tout dernier porte-avions, l'USS Gerald Ford, pour aider Israël au cas où son propre arsenal s'avérerait insuffisant.
Il parle d' « équipes », comme s'il s'agissait d'un grand événement sportif, tout en allouant 14,3 milliards de dollars supplémentaires aux Israéliens, dont une grande partie sera consacrée à l'armement.
Aggraver des situations régulièrement enflammées en y déversant des armes et des munitions est épouvantable dans le meilleur des cas, mais dans un Moyen-Orient marqué par des années d'injustice, c'est la garantie d'une guerre sans fin.
Malgré les images d'enfer qui nous parviennent de Gaza, M. Biden a même affirmé de manière totalement choquante que les Palestiniens ne disaient peut-être pas la vérité sur le nombre de personnes tuées, tout en ajoutant : « Je suis sûr que des innocents ont été tués, et c'est le prix à payer pour faire la guerre. Mais je n'ai aucune confiance dans les chiffres avancés par les Palestiniens ».
Le nettoyage ethnique des Palestiniens et les décennies d'occupation sont essentiels pour comprendre la situation. C'est pourquoi Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, a évoqué la Nakba et la Naksa (recul), qui ont conduit à l'occupation par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967, entraînant le déplacement forcé de 350 000 Palestiniens.
Mme Albanese a déclaré :
« Il existe un grave danger que ce à quoi nous assistons soit une répétition de la Nakba de 1948 et de la Naksa de 1967, mais à plus grande échelle. La communauté internationale doit tout faire pour empêcher que cela ne se reproduise... Une fois de plus, au nom de la légitime défense, Israël cherche à justifier ce qui s'apparenterait à un nettoyage ethnique ».Même le résolument partial Biden admet que l'accaparement illégal de terres et de maisons, la destruction de fermes palestiniennes, les meurtres, les blessures infligées, les déplacements forcés et l'emprisonnement que subissent les Palestiniens depuis des générations sont à des niveaux critiques.
« Je continue d'être alarmé par les attaques de colons extrémistes contre des Palestiniens en Cisjordanie », a déclaré M. Biden. Qualifiant ce comportement de « verser de l'essence sur le feu », il a déclaré : « Ils attaquent les Palestiniens dans des endroits où ils [les Palestiniens] ont le droit d'être, et [...] il faut que cela cesse maintenant ».
Les FDI collaborent régulièrement avec des colons armés pour persécuter et terroriser les communautés palestiniennes. Cette violation incessante du droit international dans le cadre d'un système d'apartheid équivaut à une guerre permanente contre les Arabes.
C'est pourquoi tant de commentateurs d'extrême droite, y compris dans les médias britanniques, évoquent le grand remplacement — la théorie du complot raciste qui suggère que les musulmans pourraient un jour dominer les Occidentaux, ce qui rendrait les guerres de civilisation génocidaires tout à fait justifiées.
Les massacres sont nécessaires, dit-on, pour « protéger » la culture occidentale des « animaux humains ».
La façon macabre dont les méthodes d'assassinat sont classées est particulièrement troublante. C'est comme si une rangée de cadavres palestiniens mutilés n'était pas comparable à d'autres victimes, parce que les Palestiniens ont été déchiquetés par des armes « défensives » payées par l'Occident.
Les Palestiniens et ceux qui les soutiennent sont souvent considérés comme des moins que rien. Même les centaines de milliers de personnes qui descendent dans les rues de Londres, de Paris et de nombreuses autres villes pour protester contre les atrocités commises à Gaza et en Israël sont présentées comme des sympathisants du terrorisme.
Les conservateurs, qui seraient normalement favorables à la liberté d'expression sur tous les sujets, réclament à cor et à cri la censure de toute personne susceptible d'exprimer son soutien à la Palestine.
Ce qui est certain, c'est que le cycle de la violence sera sans fin tant que des gouvernements prétendument civilisés, dont celui de la Grande-Bretagne, considéreront que la destruction d'un groupe d'êtres humains opprimés est nécessaire pour assurer la sécurité d'un autre.
Les propos vicieux de M. Biden et du Premier ministre britannique Rishi Sunak, qui ont fini par défendre la mort et la destruction, ont constitué un autre point critique de cette période. Un changement d'état d'esprit s'impose d'urgence, et cela passe par l'acceptation de l'idée que les vies arabes sont aussi sacrées que n'importe quelle autre.
Nabila Ramdani est une journaliste franco-algérienne, chroniqueuse et animatrice renommée de chaînes d'information. Elle est spécialiste de la politique française, des affaires islamiques et du monde arabe. Elle rédige des chroniques pour les journaux The Guardian, The Observer, The Independent et London Evening Standard. Elle a écrit Fixing France, qui doit être publié à l'automne 2023
Son site internet et son compte Twitter.
15 novembre 2023 - The New Arab - Traduction : Chronique de Palestine - Boutros
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