C'est la question qui m'est spontanément venue à l'esprit lorsque j'ai pris connaissance, via la dernière lettre d'information du CICNS, des propos pitoyables du président de la MIVILUDES au sujet du décès de Steve Jobs (Georges Fenech est tellement en manque de décisions de justice relatives à l'article du code pénal punissant l'abus frauduleux d'une personne en état de «sujétion psychologique» que tous les moyens sont bons pour faire vivre le concept central de la lutte contre les sectes).

Qu'est-il arrivé à Georges Fenech, dans son enfance ou dans un passé plus récent, pour que son esprit fasse preuve d'une telle inventivité lorsqu'il s'agit de tenir des propos aussi stupides qu'indécents, à l'image de nombre de psychopathes dont l'Histoire relate les «exploits» et qui doivent à leur enfance la cause de leur folie? Mais laissons-là l'enfance de Georges Fenech pour nous concentrer sur celui qu'il est aujourd'hui. Un homme qui aime à se donner l'image d'une personne à l'écoute des souffrances de ses contemporains («il y a des Français qui souffrent» disait-il à Olivier Bobineau, un trémolo dans la voix) victimes, pour nombre d'entre eux, des «mouvements à caractère sectaire qui exploitent sans scrupule la moindre faiblesse d'un individu»!

L'«emprise mentale» serait à l'origine de tous les dégâts dont la «mouvance sectaire» doit être rendue responsable affirme Georges Fenech, que l'on ait affaire à un «gourou thérapeutique» (ils seraient «des milliers» en France...) ou à une organisation bien structurée (...auxquels viendraient s'ajouter plus de 500 «sectes»). Et comme Georges Fenech maîtrise parfaitement son sujet, ses jugements équivalent à d'authentiques «expertises psychiatriques». Cela est d'autant plus remarquable que la détection de l'«emprise mentale» dans le domaine judiciaire, où celle-ci est connue sous les termes de «sujétion psychologique», est une entreprise éminemment délicate, comme le confirme la seule décision de justice à ce jour rendue sur la base de la loi About-Picard (au point que d'aucuns réclament aujourd'hui, comme en 2000 avant que la loi About-Picard ne soit votée, qu'un «délit de manipulation mentale» soit institué, à l'image de Me Picotin qui «souligne une loi trop faible et milite pour créer un délit spécifique de manipulation mentale»). Il faut dire que des «experts» tels que Georges Fenech il en manque cruellement, en particulier dans le domaine judiciaire, ce qui n'aide pas les juges à «apprécier» cet «état de dépendance» extrême.

Une pénurie d'experts en «emprise mentale» que le professeur Parquet de l'université de Lille, psychiatre à l'origine des «canevas d'audition» et des «guidelines» sur lesquels travaillent les agents de la CAIMADES, ne peut que déplorer1. Le professeur Philippe-Jean Parquet dont on trouve trace dans les publications de l'UNADFI dès 1984 déjà, et qui est membre du comité d'orientation de la MIVILUDES. Voilà l'une des rares caution médicale sur laquelle peut s'appuyer la MIVILUDES dans son combat contre l'«emprise» que les «sectes» exerceraient sur le psychisme des Françaises et des Français. Est-il pour autant le «découvreur» du concept d'«emprise mentale» rapporté aux «sectes»? (l'on est d'autant plus porté à se poser la question que le rapport Fenech au Premier ministre nous apprend «que la formation en psychiatrie légale n'aborde pas le thème de l'emprise mentale» - voir ci-dessous pour la citation et la référence)

Depuis quand le professeur Parquet s'y intéresse-t-il et en fait-il état dans ses travaux? Mystère. Relevons néanmoins l'étrange coïncidence qui a vu se rencontrer des professionnels du psychisme et les associations antisectes telles que l'UNADFI et le CCMM. Des associations de particuliers qui ont fait, il y a près de quarante déjà, du thème du «lavage de cerveau» le «centre névralgique» du fonctionnement des «sectes» et la raison même de leur opposition farouche à ces dernières. Des particuliers qui ne peuvent concevoir autrement qu'en dénonçant une «manipulation des esprits» que des gens puissent adhérer à des mouvements qu'ils décrivent comme étant les pires des escroqueries (ainsi lit-on souvent que les «adeptes» des «sectes» sont «happés» par ces dernières).

Cela signifie-t-il que des personnages tels que le professeur Philippe-Jean Parquet et le docteur Jean-Marie Abgrall n'ont fait que venir se greffer sur ce discours afin de lui servir de caution intellectuelle tout en bénéficiant des dividendes liés à l'exposition médiatique qui en résulte? (une exposition médiatique qui a d'ailleurs fini par se retourner contre le docteur Abgrall) Autrement dit, l'intérêt qu'ils portent à l'«emprise mentale» dans «les sectes» est-il indépendant de l'apparition des associations antisectes ou au contraire s'inscrit-il directement dans le sillage de ces dernières? Et quel accueil leur contribution dans ce domaine particulier reçoit-il de la part de la communauté scientifique et médicale internationale? Je ne peux malheureusement pas répondre à ces questions.

Ce qui est sûr, c'est que les capacités de Georges Fenech pour identifier l'«emprise mentale» vont bien au-delà des connaissances que la plupart des psychiatres possèdent. Lui qui est capable de déceler un telle «emprise» comme d'autres dénichent des truffes, c'est-à-dire «au flair»! Il en va ainsi du diagnostic qu'il pose à la suite de la mort de Steve Jobs, une personne qu'il n'a très certainement jamais rencontrée mais à propos de laquelle il peut dire avec certitude qu'elle était «sous l'emprise d'un naturopathe»!

Pour vraiment apprécier les talents improvisés de Georges Fenech, citons ces passages tirés des travaux de la MILS et de la MIVILUDES qu'il préside:

«Dès la promulgation de la loi du 12 juin 2001, la mise en oeuvre de cette nouvelle incrimination apparait délicate, notamment s'agissant de l'appréciation de l'état de sujétion - notion subjective s'il en est - et du préjudice subi. (...) L'appréciation de cet état relève assurément du pouvoir souverain des juges: le juge devra tenir compte de l'exclusivité des méthodes utilisées. L'établissement de l'état de sujétion nécessitera, le plus souvent, le recours à une expertise psychiatrique. Malgré les difficultés inhérentes à une telle opération, l'expertise psychiatrique devrait permettre de déterminer le degré d'aliénation de l'intéressé.» MIVILUDES, 2004, p.6. Source

«La déstabilisation mentale. Ce critère est intéressant, mais présente en l'état de la science un caractère subjectif peu commode à manier en droit.» Rapport 1999 de la MILS, «Une définition de la secte».

«Le degré d'importance de l'emprise sectaire ne peut être apprécié qu'à la condition d'analyser les phases successives de la vie de l'intéressé. Ce n'est pas seulement son état du moment, mais toute son histoire, sa vie entière, qui doivent être prises en considération. Son passé, ses antécédents familiaux et/ou médicaux, ses prédispositions psychologiques sont à observer.

Sur le plan pénal, la question de l'emprise sectaire se révèle souvent difficile à appréhender, d'où l'apparition de difficultés, délicates à trancher dans un cadre judiciaire. En effet, sur quels critères un juge va-t-il se fonder pour évaluer l'impact d'une emprise sectaire sur un individu? Devra-t-il faire appel à des experts? Et si oui, sur quels éléments ces derniers se baseront-ils pour déclarer un état de sujétion? Toutes ces questions restent en suspens et méritent d'être soigneusement analysées à la lumière de la jurisprudence et de conflits susceptibles de survenir dans l'entreprise.» Guide de l'entreprise face au risque sectaire, La Documentation française, p. 28.

«Le dispositif juridique d'incrimination de l'emprise mentale est incontestablement la caractéristique française la plus aboutie d'Europe.
On regrettera d'autant qu'il soit encore trop méconnu et si peu appliqué par les juridictions d'instruction et correctionnelles. La raison tient sans doute dans la difficulté rencontrée par les magistrats instructeurs insuffisamment formés, d'appréhender le concept même de sujétion psychologique. (...) Le faible nombre de poursuites ne s'explique-t-il pas au fond par la difficulté rencontrée par les enquêteurs et les magistrats pour rassembler les preuves de l'état de régression et de dépendance créé par la mise en sujétion? Comment en effet démontrer avec certitude que le consentement de l'adepte n'était libre qu'en apparence? (...)

Le recours aux rapports annuels de la MIVILUDES permet de mettre en exergue les critères de l'emprise mentale (...) et d'établir une base commune de connaissance au bénéfice des enquêteurs et magistrats en charge des dossiers. L'audition des anciens adeptes doit ensuite permettre de recueillir des éléments constitutifs d'infractions de droit commun, mais également de l'emprise mentale. Préalablement aux interpellations, un examen psychiatrique peut permettre de confirmer la mise en état de sujétion.»
(...)

«Au fond, de quels moyens disposent aujourd'hui les magistrats pour identifier les dérives sectaires et notamment l'emprise mentale? Sont-ils suffisants pour leur permettre de reconnaître les faisceaux de critères caractérisant une dérive sectaire? (...) Cette orientation plus équilibrée et plus conforme aux principes républicains mériterait cependant d'être davantage explicitée auprès de tous les acteurs de la lutte contre les dérives sectaires et aux premiers d'entre eux, les magistrats. La mission préconise une nouvelle mise à jour de la circulaire du 29 février 1996, tenant compte à la fois des travaux récents en ce domaine de la MIVILUDES et des commissions d'enquête parlementaire, mais également du dispositif législatif nouveau du 12 juin 2001 et de la jurisprudence tout nouvelle qui en est découlée. A cet effet, il pourrait être opportunément diffusé aux magistrats du parquet pour attribution et aux magistrats du siège pour information un guide juridique de la lutte contre les dérives sectaires explicitant les quinze critères aujourd'hui parfaitement identifiés: (...) La communication à l'autorité judiciaire de ces quinze critères constituera un précieux outil d'identification pour une plus grande efficacité dans la lutte contre les dérives sectaires.

Ajoutons que cette identification nécessitera toujours le regard d'un expert. (...) Ainsi le professeur Parquet a indiqué à la mission que les experts sont trop peu nombreux (...) et qu'ils ne sont pas assez formés. Il a déploré notamment que la formation en psychiatrie légale n'aborde pas le thème de l'emprise mentale. Selon lui, les experts psychiatres n'ont pas de nécessité d'analyser le fonctionnement du mouvement à caractère sectaire ni sa doctrine. Ils doivent se concentrer sur la victime et être capables de qualifier les dommages qu'ils soient psychologiques, sociaux ou financiers.» La justice face aux dérives sectaires, La Documentation française, 2008, p.17 à 21.

Après avoir lu ça, on mesure mieux les dons que possède Georges Fenech! Il est vrai que la MIVILUDES, et Georges Fenech en particulier, comme dans le rapport qu'il a remis en 2008 au Premier ministre (le passage est reproduit plus haut), affirme que les «travaux récents en ce domaine de la MIVILUDES et des commissions d'enquête parlementaire», tout comme les «quinze critères» que cette même MIVILUDES prétend utiliser dans son travail de détection de la «dérive sectaire», permettent à eux seuls de rendre les magistrats capables d'identifier l'«emprise sectaire». Mais le plus simple serait encore que ces derniers sachent qui sont «les sectes» qui «manipulent mentalement» les gens, ce qui leur épargnerait d'avoir à clarifier la notion de «sujétion psychologique» qui a été introduite dans le code pénal français à la faveur de la loi About-Picard.

Ca tombe bien, le rapport de la commission d'enquête parlementaire de 1995 dresse une liste de 172 «sectes», voilà qui leur sera d'une aide précieuse dans leur lutte contre les «dérives sectaires»! (ou comme le disait Philippe Vuilque: «La liste en question elle a servi aux magistrats, même si elle n'a pas, ce n'est pas une liste qui fait référence en droit.») Un rapport qui renferme également dix des quinze critères d'identification en usage à la MIVILUDES. Critères imaginés non par quelque «expert psychiatre», mais par les Renseignements Généraux! Voilà tout ce que la MIVILUDES est capable d'apporter aux magistrats pour les aider à déceler l'«emprise mentale»! Et pour qui aurait encore des doutes quant à la pertinence et l'efficacité d'un tel fatras, Georges Fenech se fera toujours un plaisir, en tant que président de la MIVILUDES, de faire la démonstration de l'efficacité de cet «outillage», comme dans le cas de Steve Jobs. Chapeau bas!

Le phénomène sectaire ou le phénomène des «groupes d'emprise»

Le discours antisectes a toujours tourné autour de l'idée de «manipulation mentale», et plus largement d'escroquerie. «Lavage de cerveau», «viol psychique», «captation de consentement», les termes ont évolué au fil du temps, mais le fond reste inchangé: «lutter contre les sectes», c'est lutter contre des «groupes d'emprise» qui mettent volontairement à mal, «par un processus instrumental», une «aliénation» et un «conditionnement», l'«esprit critique» des gens. Ce sont là les mots qu'utilise par exemple Jean-Pierre Coquand2 pour décrire le fonctionnement de l'organisation des Témoins de Jéhovah, au nombre desquels il a compté durant 19 ans. Mr Coquand (un autre «expert» qui n'a lui-aussi, et comme Georges Fenech, aucune difficulté à dénicher l'«emprise mentale» partout où elle se cache) se décrivant même comme un ancien «captif» de cette organisation. Il a donc décidé, des années plus tard, de faire de la «prévention» à 18 euros l'exemplaire, voire de faire tout son possible afin d'aider, de manière «curative» dit-il, les Témoins de Jéhovah à quitter définitivement l'organisation qui les manipulerait au point de les «rendre corvéables à souhait». (Je n'ai pas lu son livre, n'ayant pas le loisir de dépenser 18 euros pour faire une telle acquisition. Mais je le lirais volontiers s'il était disponible gratuitement, ce qui rendrait, soi-dit en passant, son action de «prévention» bien plus accessible. Dommage...).

Comment «prouver» que les Témoins de Jéhovah sont bien «manipulés» et que leur «esprit critique» s'en trouve gravement atteint, bien plus gravement que chez la moyenne de nos contemporains qui, pour beaucoup, ne connaissent pourtant que la télévision pour développer leur capacité à raisonner? L'un des moyens les plus utilisés consiste à mettre l'accent sur le degré d'implication des Témoins de Jéhovah dans leur mouvement, concrètement sur le temps qu'ils lui consacrent et sur les sacrifices qu'ils sont prêts à consentir en faveur de ce dernier (un discours bien connu que Mr Coquand reprend à son tour. On le trouve dans la bouche d'un Nicolas Jacquette qui va jusqu'à parler de «lavage de cerveau» - sans autres précisions - mais aussi dans l'émission que Temps présent a consacrée récemment aux Témoins de Jéhovah). C'est ainsi que Mr Coquand cite le «Ministère du royaume de juin 1969» où il est loué la décision de «frères vendant leur maison et leur propriété afin de se préparer à terminer les jours dans ce système de choses en tant que pionniers». Voilà pour Mr Coquand des «décisions regrettables» consécutives de l'«aliénation» dont seraient victimes les Témoins de Jéhovah.

Il faut souligner que Mr Coquand, en tant qu'ancien croyant, et c'est certainement là le côté «curatif» de l'action à laquelle il dit désormais se consacrer, se permet également de s'en prendre à ses anciens directeurs de conscience en les accusant de n'être que de «faux-prophètes», eux qui, précise-t-il, ont déjà à maintes reprises et sans grand succès annoncé la «fin du monde». Une critique que ne pourrait évidemment pas se permettre la MIVILUDES de Georges Fenech qui, en tant que représentant d'un état laïque, n'a pas vocation à s'ériger en certificateur du fait religieux. Une réserve que Mr Coquand n'a aucune obligation d'observer, même s'il ne va pas jusqu'à nous dire quels mouvements religieux peuvent compter dans leurs rangs, et contrairement aux Témoins de Jéhovah, d'authentiques «prophètes»!

Un autre moyen d'étayer l'idée selon laquelle dans un mouvement comme celui des Témoins de Jéhovah les gens sont «manipulés» (Mr Coquand qui se présente comme un «spécialiste» du psychisme va jusqu'à parler de «confusion mentale» à l'endroit des «adeptes» des «sectes», répétant mécaniquement à chacune de ses interventions, et quelle que soit la «secte» sur laquelle on lui demande de se prononcer - un «expert» qui n'a pour toute compétence que sa carte de visite d'ancien «captif» des Témoins de Jéhovah, un «captif» qui, précise son ouvrage, a fini, 19 ans plus tard, par quitter «volontairement» sa geôle... - qu'«ils sont aussi sincères que leur confusion mentale le leur permet»! Et de poursuivre, toujours aussi sûr de lui et tout aussi mécaniquement: «Et à l'évidence la sincérité n'exclut ni l'erreur, ni la manipulation, ni une certaine forme d'aliénation». Ou alors, version quelque peu remaniée: «Mais évidemment la sincérité n'exclut pas l'erreur, ni la manipulation mentale, et encore moins l'aliénation».

Un «spécialiste» du psychisme humain qui fait montre de bien des carences dans le domaine des langues mortes, et plus précisément s'agissant de l'étymologie du mot «secte», Jean-Pierre Coquand qui dira en effet: «Les Témoins de Jéhovah, par exemple, eux-même se coupent du monde. C'est le terme même, grec, sectare, qui veut dire couper»; alors que je crois savoir que le mot «secte» a plutôt pour racine le terme latin secta, lui-même dérivé du verbe latin sequi, qui signifie suivre, voire sequare, couper, toujours du latin...) consiste à évoquer la structure «pyramidale» de leur organisation et donc l'absence de «démocratie» qui y règne (je ne sache pas que la démocratie ait vocation à s'imposer partout), même si ce genre de «reproche» peut être adressé à de nombreux mouvements religieux, et en particulier à ceux qui reposent sur une révélation venue d'en haut. L'Eglise catholique en donnant le meilleur exemple. Mais le moyen le plus simple et peut-être le plus efficace c'est encore de dire que l'on a soi-même été «manipulé» durant de nombreuses années et que ce n'est qu'à la faveur d'une «prise de conscience» salutaire que l'on est parvenu à s'en «libérer».

J'ai déjà relevé dans ce blog, et notamment dans la note précédente, que l'action antisectes, qu'elle relève du niveau associatif, parlementaire ou gouvernemental, est une action qui, au-delà des cas particuliers propres à chaque «secte» et des infractions pénales dont chacune peut se rendre coupable, est une action qui vise, dans sa dimension «préventive» essentielle, toutes les formes d'engagement «convictionnel» trop prégnantes, qu'on les qualifie de «radicales», de «sectaires» ou de «fondamentalistes». C'est la crainte de voir les gens «croire plus qu'ils ne pensent» selon une formule bien connue, qu'ils soient engagés dans une «secte» ou dans un mouvement religieux bien intégré. Et ceci même si le discours antisectes nous présente le «phénomène» des «sectes» contemporaines comme étant fondamentalement «nouveau», et donc différent de ce que l'on pouvait voir jadis, avant le «virage historique» amorcé dans les années cinquante avec la naissance de la secte Moon et de l'Eglise de Scientologie. Pour ma part, j'aime à me remémorer la lettre que le jeune Racine a reçue de sa tante bien-aimée, religieuse à Port-Royal des Champs, histoire de mettre les choses en perspective, laquelle lui écrira:

«Ayant appris que vous aviez dessein de faire ici un voyage, j'avais demandé permission à notre mère de vous voir... mais j'ai appris depuis peu une nouvelle qui m'a touchée sensiblement. Je vous écris dans l'amertume de mon coeur, et en versant des larmes que je voudrais pouvoir répandre en assez grande abondance devant Dieu, pour obtenir de lui votre salut, qui est la chose du monde que je souhaite avec le plus d'ardeur. J'ai donc appris avec douleur que vous fréquentiez plus que jamais des gens dont le nom est abominable à toutes les personnes qui ont tant soit peu de piété; et avec raison, puisqu'on leur interdit l'entrée de l'Eglise et la communion des fidèles... Jugez donc, mon cher neveu, dans quel état je puis être, puisque vous n'ignorez pas la tendresse que j'ai toujours eue pour vous, et que je n'ai jamais rien désiré sinon que vous fussiez tout à Dieu dans quelque emploi honnête. Je vous conjure donc, mon cher neveu, d'avoir pitié de votre âme, et de rentrer dans votre coeur pour y considérer sérieusement dans quel abîme vous vous êtes jeté. Je souhaite que ce qu'on m'a dit ne soit pas vrai; mais si vous êtes assez malheureux pour n'avoir pas rompu un commerce qui vous déshonore devant Dieu et devant les hommes, vous ne devez pas penser à nous venir voir, car vous savez bien que je ne pourrais pas vous parler, vous sachant dans un état si déplorable, et si contraire au christianisme. Cependant, je ne cesserai point de prier Dieu qu'il vous fasse miséricorde, et à moi en vous la faisant, puisque votre salut m'est si cher.»

Imaginez si cette missive avait été écrite aujourd'hui et adressée par un Témoin de Jéhovah à l'un de ses proches, quels commentaires aurait-elle déclenchés si son destinataire s'en était servi pour expliquer les raisons de sa colère contre ce mouvement? Vous pouvez être certain qu'elle aurait été ajoutée au dossier d'instruction des Témoins de Jéhovah dans l'enquête pour «manipulation mentale» qui les vise! En effet, ce qui en d'autres temps et en d'autres lieux est vécu comme une forme d'engagement et de sacrifice admirable, donnée en exemple dans de nombreux récits hagiographiques3, cette même forme d'engagement religieux est aujourd'hui interprétée, au travers de la grille de lecture dont se sert l'anti-sectarisme contemporain, comme une «aliénation» et une «perte d'esprit critique». Ainsi vous pouvez être certain que si Jésus, dit le Christ, avait la malheureuse idée de revenir parmi nous, et que comme il y a deux mille ans un cercle de disciples fidèles et dévoués à sa personne et à son message se constituait autour de lui, les ADFI et la MIVILUDES n'attendraient pas la moindre seconde, et surtout pas qu'une infraction pénale soit constituée, pour leur tomber dessus à bras raccourcis, «emprise mentale» oblige! C'est ainsi que les promoteurs du «phénomène sectaire» sont obligés de poser sur le fait religieux un regard sélectif afin de rendre crédible l'idée selon laquelle il faut être dans l'une de ces «sectes» qui les obsèdent pour faire des choix (ou croire à des choses4) qu'à leurs yeux seules des personnes ayant perdu une partie importante de leur «raison» sont capables de faire!

Ainsi «radicalisés», les Témoins de Jéhovah seraient prêts à tout, nous prévient-on, pour satisfaire, voire devancer les attentes que leur «secte» place en eux. Même si leurs décisions peuvent se révéler «regrettables» dans le sens, précisément, qu'ils peuvent avoir à les regretter amèrement après coup. Mais il n'y a là vraiment rien soit nouveau. C'est même là le risque que chacun prend à vouloir vivre pleinement, «corps et âme», sa foi, et plus largement ce en quoi il croit profondément. Ce que ne semblent pas prêts à leur autoriser les personnes qui «luttent contre les sectes» lorsqu'elles qualifient les «adeptes» de ces dernières de «victimes consentantes»!

En aurait-il été de même dans le contexte de l'Allemagne nazie? Car au fond, les Témoins de Jéhovah qui ont fait le choix de l'internement plutôt que d'avoir à renier leurs croyances pouvaient eux-aussi, comme nombre de leurs compatriotes d'alors, et sans avoir à adhérer au parti nazi, faire quelques concessions peu coûteuses à leurs principes pour échapper au camp, s'épargnant ainsi de nombreuses souffrances, ainsi qu'à leurs proches qui devaient eux-aussi souffrir «par ricochet» (expression utilisée par Georges Fenech parlant des victimes collatérales des «sectes») des conséquences de leur choix. Faut-il également critiquer leur «radicalisme» sous cet angle-là, et les montrer de doigt comme étant des personnes ayant perdu tout «esprit critique» parce que «manipulées»? N'y avait-il d'ailleurs qu'elles pour faire de leurs «convictions personnelles» le centre de leur vie et la chose la plus précieuse à leurs yeux, plus précieuse même que leur vie? Et si non, cela signifie-t-il que toutes les personnes qui ont été poursuivies par le régime nazi non en raison de ce qu'elles étaient, c'est-à-dire en raison d'un «état» dont elles ne pouvaient se défaire (être juifs, être tziganes), mais en raison de ce qu'elles pensaient et de la façon dont elles avaient choisi de vivre, toutes ces personnes étaient-elles également «radicalisées» au point d'être atteintes dans leur «esprit critique»?

Oui, vendre sa maison en vue de la «fin du monde» prochaine est une «folie», mais une «folie» qui n'a rien de nouveau, une «folie» qui n'est en rien le propre des «sectes», une «folie» peu différente de celle qui animait ces objecteurs de conscience qui ont préféré l'internement au compromis (tout n'est que folie croyait même savoir Erasme).

Pour conclure, j'aimerais rappeler ces propos de Roger Ikor contenus dans son ouvrage La tête du poisson; Roger Ikor à l'origine du Centre contre les manipulations mentales et qui écrira:

«Combien de fois m'a-t-on senti buter sur une ligne invisible, condamnant ce qui était en deçà, gardant le silence sur ce qui était au-delà, ou le contournant? Ainsi la topologie de l'Anerie que j'ébauchais à l'instant (...) s'applique exactement en fait, et s'appliquait en tout cas exactement dans ma pensée aux dogmes des religions révélées. Pourtant je n'en tire pas les mêmes conclusions concrètes s'agissant des sectes et s'agissant des religions. Contradiction? Oui. (...) Ainsi le manque de sommeil, les restrictions alimentaires, la séparation d'avec la famille et les amis, les voeux d'obéissance, de pauvreté, de chasteté, etc. sont la règle dans nombre d'ordres religieux. Or je ne demande pas leur interdiction, et je demande celle des sectes. Contradiction? Oui.» La tête du poisson. Les sectes un mal de civilisation, Albin Michel, 1983, p.84.

Voilà au moins un regard sélectif qui ne se cache pas.

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«Ils sont aussi sincères que leur confusion mentale le leur permet.»

«Les Témoins de Jéhovah, par exemple, eux-même se coupent du monde. C'est le terme même, grec, sectare, qui veut dire couper.»

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«Les sectes, véritable poison social! Et quelle absence totale d'esprit critique!»

Le regard admiratif de la «journaliste» - Sabrina Supervièle - en direction de Mr Coquand, laquelle boit littéralement ses paroles. Un bel exemple d'«esprit critique», pas de doutes là-dessus!

Notes

1 Voir page 21 du rapport Fenech au Premier ministre, La justice face aux dérives sectaires», La documentation française, 2008.

2 «Jean-Pierre Coquand révèle le processus instrumental de la manipulation mentale et du conditionnement utilisé par cette organisation permettant de rendre, en 6 mois, les gens semblables donc prévisibles et corvéables à souhait, les amenant à penser, agir, réagir en T.J., neutralisant ainsi les résistances du facteur humain, difficulté majeure à la constitution d'un organisme social.»

«Ainsi radicalisés, privés de leur esprit critique, les adeptes obéissent aux inductions et injonctions émanant du collège central de la société Watch Tower depuis New York à travers les publications éditées.» Source

A lire également son commentaire sur le site de Philippe Vuilque.

Ou encore sa page facebook où il s'étale à nouveau comme ancien «captif» des Témoins de Jéhovah.

Quel triste spectacle nous offre Mr Coquand, lui qui ose parler de «captivité» (Nicolas Jacquette parle quant à lui de «rescapé») là où il est le seul responsable de ses choix passés, et où il n'a rien vécu qui puisse faire l'objet d'une action en justice. Il y a indéniablement pour lui un aspect «curatif», et pour reprendre un terme qu'il semble affectionner, à jouer le rôle de la victime «captive» d'une organisation «totalitaire». Quant à la «révélation» que contiendrait son livre («aujourd'hui je révèle, à travers mon livre, le processus instrumental de la manipulation mentale et du conditionnement utilisé par cette organisation»), l'on peut à bon droit qualifier un tel argument de vente de mensonger. Cela fait une effet des décennies qu'il se trouve des gens pour nous «révéler» le fonctionnement «manipulatoire» des «sectes» et de l'organisation des Témoins de Jéhovah en particulier! Le plus étrange dans tout cela, c'est que cette organisation a toujours pignon sur rue dans nos pays. Nos autorités publiques seraient-elles aveugles à ce point, là où des gens, toujours selon Mr Coquand, seraient «abusés» en masse? A moins qu'elles aient attendu la publication du livre de Mr Coquand pour agir? Affaire à suivre.

3 Un rappel opportun que ne manque pas de faire Jean-François Mayer lorsqu'il évoque l'histoire de Saint Syméon le Fol en Christ. Page 31 et suivantes de Les sectes et vous, éd. St-Paul, 1989.

4 Selon un commentaire inséré dans un guide de la MIVILUDES, lequel se demande: «Comment une personne adaptée et lucide - « monsieur ou madame tout-le-monde » - peut-elle en arriver à accepter l'inacceptable, à croire en l'incroyable, à vivre l'insupportable?» Les collectivités territoriales face aux dérives sectaires, La documentation française, p.17