Autour du 11 Septembre prospèrent les croyances de chacun. Certains croient la version officielle pendant que d'autres y voient un grand complot. Entre ces deux positions dépassées, beaucoup de doutes, mais surtout des familles de victimes, des témoins, des survivants, des professionnels, des associations et de nombreux citoyens qui demandent plus d'explications à travers la réouverture d'une enquête. Pour ce faire, ils énoncent des faits et posent des questions qui contrarient sérieusement la version officielle, mais dont la couverture médiatique est extrêmement rare. Incapables de traiter le sujet à sa juste valeur, la plupart des médias écartent en général toute remise en cause et pointent simplement du doigt les conspirationnistes, qui à leur tour voient dans cette attitude la confirmation d'un appareil médiatique complice. Ils ne font alors que nourrir réciproquement des croyances en nuisant à la recherche de la vérité. Ceux qui défendent encore la version officielle du 11-Septembre ne sont donc pas plus crédibles que les théories du complot qu'ils dénoncent.

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C'est ainsi qu'à l'approche de la 11ème commémoration des attentats du 11 septembre 2001, le site Mediapart, journal d'information numérique indépendant, a choisi de publier une enquête en quatre volets sur les théories du complot. Malheureusement, ce média qui a participé à la mise en lumière de nombreux faits négligés par d'autres sur des événements équivoques tels que les affaires Bettencourt et Karachi, a choisi d'enfermer le développement de son enquête dans une impasse de clichés concernant le 11-Septembre au lieu d'opposer des faits tangibles aux théories qui entourent ce drame. En l'occurrence, la controverse est rangée sans distinction dans la case des pathologies mentales, alors que pas une ligne n'est dédiée à faire l'examen de la version officielle. Et c'est bien là toute l'inutilité de la démarche. En continuant d'esquiver le débat sur des éléments factuels, Mediapart ne fait que contribuer à la défiance des citoyens face aux médias tout en refusant de participer à l'éducation du public sur un sujet aussi souvent mal compris, tant par les journalistes que par les complotistes qu'ils abhorrent.

Au fil des articles de Nicolas Chevassus-au-Louis, l'enquête se transforme en définitive en une critique sans grandes nuances des théories du complot où toutes les controverses de l'histoire sont mises sur le même plan et sur lesquelles toutes les opinions contestataires ne seraient que le fruit d'une propension maladive à douter de tout. Après un premier article sur l'histoire des théories du complot, un deuxième se consacre spécialement au 11-Septembre qui se trouve rangé à son tour dans la même catégorie. Et ainsi de suite, le journaliste entame son troisième volet par une étude sociologique où il est demandé à 348 habitants de Philadelphie de donner « leur appréciation de dix théories du complot » : on y trouve pêle-mêle des questions sur les soucoupes volantes ou l'utilisation du virus du sida par le gouvernement américain, comparées aux assassinats de Martin Luther King et John F. Kennedy, ou encore à l'affaire des otages américains de Téhéran en 1980.

Tous ces différents sujets sont-ils juste l'objet de théories délirantes ? Ou existe-t-il parmi eux des théories du complot recevables et qui méritent d'être étudiées ? La réponse n'est pas si simple pour qui s'est penché sur ces questions, mais l'auteur n'en dira pas un mot. Au contraire, il généralise et sème une confusion dérangeante entre de simples rumeurs et des sujets concrets toujours soumis à l'étude des journalistes et des historiens. C'est très justement ce genre de confusion entretenue par l'auteur autour du terme de « théorie du complot » qui provoque la méfiance de nombreux lecteurs et permet d'introduire sur le terrain des faits des théories illégitimes. Mais alors que l'auteur dénonce justement l'élaboration de telles théories dans le cas du 11-Septembre, il leur reproche en même temps de bien se garder « de suggérer un scénario alternatif [...] qui pourrait être soumis à l'épreuve des faits » reprenant ainsi le philosophe Steve Clark.

Outre l'incohérence de la remarque avec sa position de départ, elle ne tient aucunement compte de la demande de réouverture d'une enquête par la majorité des personnes concernées. Cela s'oppose donc par nature à prétendre connaitre ce qui s'est véritablement passé, bien que de nombreuses recherches tentent de le comprendre à défaut de voir les médias se charger de l'enquête. Par ailleurs, l'auteur néglige complètement de son côté d'appliquer ce principe de vérification des faits quant à la version officielle du 11-Septembre. Pourquoi ? Il est tout aussi étonnant que celui-ci reproche aux prétendus conspirationnistes d'insister sur les faits, de faire appel à des experts ou encore de s'intéresser aux conflits d'intérêts alors même que ces critères devraient être regardés comme des moteurs de l'investigation journalistique.

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Mediapart mène l’enquête…
Le journaliste de Mediapart va tout de même faire appel à ses propres experts pour invalider les critiques de la version officielle du 11-Septembre, en commençant par deux spécialistes en rhétorique, Loïc Nicolas de l'Université libre de Bruxelles et Thierry Herman de celle de Neufchâtel. Ce choix démontre que l'auteur considère a priori que les faits en question ne méritent aucun débat et que tout cela ne repose finalement que sur ce qu'il nomme « les procédés de la rhétorique conspirationniste » auxquels il lui suffit donc d'opposer des rhétoriciens de son choix. Il est assez amusant au passage d'observer par quels fastidieux efforts rhétoriques, Loïc Nicolas cherche à invalider la qualité des experts qui contestent la version officielle dans le court extrait vidéo sélectionné par l'auteur. Un autre extrait vidéo de l'article laisse place à l'historien Emmanuel Kreis, auteur de plusieurs travaux sur les théories du complot. Cependant, l'extrait choisi par le journaliste ne parle à aucun moment du 11-Septembre bien qu'il s'agisse du sujet central de l'article : à la place, on y parle des théories du complot autour de la période de la seconde guerre mondiale, de l'influence de la littérature, des jeux vidéos ou du cinéma, ou encore des illuminatis. Pour entendre en revanche son opinion sur le sujet, il faut se reporter à la fin de la version complète de l'entretien où il déclare que « le 11-Septembre n'est en soi rien d'une théorie du complot » et nous dit même que « le fait de se poser des questions sur les attentats du 11-Septembre et la version officielle produite par le gouvernement américain n'est pas illégitime ». Alors que l'article porte très précisément sur le 11-Septembre, pourquoi le journaliste de Mediapart préfère-t-il présenter un extrait sans aucun rapport avec le sujet traité, plutôt que de relayer ce que le spécialiste qu'il interroge en pense réellement ?

Le biais de l'auteur est évident. Puis lorsque le sujet dévie inévitablement sur l'effondrement des tours du World Trade Center, l'auteur fait appel à Jérôme Quirant pour contester « une liste de près de 1.500 architectes et ingénieurs exprimant des doutes sur le rapport publié en 2004 par la commission d'enquête » (ils sont en fait 1.704 et critiquent les rapports du NIST de 2005 et 2008). S'appuyant sur sa caution scientifique, l'auteur déclare ainsi que la pétition regroupe différents spécialistes, « mais seulement une cinquantaine de signataires dont les titres laissent à penser qu'ils maîtrisent un tant soit peu le calcul de structures, bref qu'ils sont d'authentiques experts », ce qui du point de vue même de l'auteur, en dehors des termes dépréciatifs empilés grossièrement et laissés en italique, nous laisse pourtant avec une cinquantaine de signataires maitrisant le calcul de structure, ce qui mériterait au moins un débat contradictoire sur la question. Dans le même genre, l'auteur affirme que sur son site - alors que celui-ci est fermé aux commentaires (contrairement au nôtre) - « Jérôme Quirant n'a reçu que très peu de messages de truthers avançant des arguments techniques, comme si ces derniers n'étaient pas intéressés par la discussion scientifique contradictoire ». L'abus de confiance va encore plus loin quand le journaliste nous dit de façon péremptoire que les « particules extraites des décombres des Tours Jumelles [...] se sont avérées n'être que des résidus de peinture », ce qui est précisément la thèse de Jérôme Quirant bien qu'il n'ait aucune compétence en la matière. Or, bien que l'étude de Jim Millette sur laquelle se fonde cette assertion conteste la présence de thermite ou de nanothermite dans les poussières du World Trade Center, elle note bien que « la composition des chips rouges/grises ne correspond pas à la formule d'apprêt utilisée sur les colonnes métalliques des tours du World Trade Center ». Dès lors, s'il est souvent préférable de laisser la science aux scientifiques, cela ne signifie en aucun cas de prendre pour argent comptant tout ce qu'ils racontent, et cela vaut autant pour le journaliste de Mediapart que pour le reste de ceux qui s'intéressent vraiment au sujet.

Le 11-Septembre étant loin de se résumer à un débat scientifique où les théories s'affrontent, il aurait été utile que l'auteur se penche en priorité sur des faits dont chacun peut juger la pertinence. Mais le plus navrant dans cette série d'articles, c'est que, du point de vue qu'elle défend, tous ceux qui critiquent la version officielle du 11-Septembre passent eux-mêmes pour des théoriciens du complot, quels qu'ils soient et quoi qu'ils disent, ce qui, par ailleurs, n'a pas l'air d'intéresser vraiment l'auteur. Il conclut ainsi que les doutes exprimés sur le 11-Septembre relèvent d'une « foi comparable à celle de ces sectes qui survivent sans peine aux échecs répétés des prédications du gourou ». Il est rejoint dans ce sens par Philippe Corcuff qui dans les commentaires compare les « fidèles de ReOpen911 » aux « Témoins de Jéhovah » lorsque nous l'interpellons sur ce genre de généralités abusives. De même, l'auteur se demande si « les partisans des théories du complot ne sont-ils pas [...] statistiquement plus enclins à croire aux fantômes et à la transmission de pensée, à ne pas vouloir passer sous une échelle, à toucher du bois pour conjurer le mauvais sort ? ». « Plus l'on se méfie d'autrui, plus l'on se sent socialement en difficulté, et plus on adhère aux discours conspirationnistes », continue l'auteur. Il va même jusqu'à parler de « mauvais citoyens, décidément, que ces adeptes des théories du complot. Au mieux, des malades. Au pire, des dangers pour la démocratie » avant de se rattraper en précisant que « des courants de la psychologie proposent une interprétation autrement plus subtile de la formation de croyance en une théorie du complot ».

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Face à de tels propos qui rappellent les excès de Philippe Val ou Laurent Joffrin, il est essentiel d'écouter attentivement ce que dit l'historien Emmanuel Kreis dans la version intégrale de la vidéo de Mediapart : « Alors ce n'est pas en tant que telles les théories du complot finalement qui évoluent, mais c'est le regard qu'on leur porte. Doncdes attaques extrêmement violentes, sur non seulement les théories du complot proprement dites, mais aussi un ensemble de doutes, d'hypothèses. Alors on peut appeler ça - je ne sais pas comment - des hypothèses du complot peut-être ou des réflexions sur le complot, qui se retrouvent intégrées finalement dans une dénonciation globale. Alors pour l'instant ça fait, disons depuis le 11-Septembre que ces choses prennent une réelle dimension importante, médiatique, qui touche largement les gens. Les effets produits ne sont pas encore forcément faciles à analyser, à palper, mais il est évident que ça va avoir des effets. Ne serait-ce qu'un simple effet pervers, qui est de faire que des gens qui se posent simplement des questions, en étant attaqués extrêmement fortement sur des questions qui sont bien souvent même légitimes - enfin, je veux dire le fait de se poser des questions sur les attentats du 11-Septembre et la version officielle produite par le gouvernement américain n'est pas illégitime - ces gens donc, se posant des questions, vont donc être renvoyés finalement à une image de conspirationnistes, et du coup, on commence à avoir un élargissement finalement de l'impact de ces théories du complot dans des milieux qui jusqu'alors, n'étaient pas particulièrement touchés par ces théories, et finalement ces gens vont dériver vers tout autre chose. Donc qu'est-ce que cela peut produire, qu'est-ce que cela peut donner, est-ce que cela va enrichir les théories du complot, va les massifier ? Je n'en sais rien, mais en tout cas c'est quelque chose sur lequel, à mon avis, on ne réfléchit pas assez, et qui peut avoir des conséquences à la fois donc sur les théories du complot, mais également sur les sociétés »

Nicolas Chevassus-au-Louis aurait été bien inspiré de prendre ces paroles en considération quand il a réalisé son enquête. Non seulement parce que l'historien refuse l'appellation de théorie du complot sur le 11-Septembre et qu'il ne trouve pas illégitimes ces interrogations, mais plus spécifiquement parce que la qualité de son enquête reflète parfaitement l'effet pervers dont parle Emmanuel Kreis. En traitant ainsi la question du 11-Septembre, outre le fait d'être improductive à faire avancer le débat, son enquête est peut-être même totalement contre-productive. Comme le disait Alain Garrigou sur son blog du Monde Diplomatique en 2011, « c'est une affaire d'examen dans tous les cas, soit exactement ce dont nous prive la dénonciation des visions conspiratives. [...] La dénonciation de la théorie du complot est paresseuse. Elle rassure à bon compte, car le complot fait doublement peur. [...] Le dévoiement de la raison en complots fantasmatiques ne saurait être utilisé systématiquement contre l'ambition scientifique de dévoilement. Elucider des mécanismes, dévoiler des systèmes, comprendre des logiques n'est pas mettre à jour des complots, même si c'est parfois le cas, mais révéler que les raisons et les méthodes de l'action échappent à la lucidité des acteurs. »

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© Europe 1
Lorsque l'on soustrait l'examen des faits à un sujet aussi complexe et controversé, on peut effectivement arriver à faire passer des opinions avisées pour de simples croyances, de la superstition, et ainsi les associer à un profil social ou psychologique particulier, études à l'appui. Mais si l'on se désintéresse totalement des faits, ne peut-on pas faire de même avec l'affaire Karachi, qualifiée de « fable » par Nicolas Sarkozy ? Ceux qui croient à la théorie du complot dans l'affaire Karachi ne sont-ils pas plus enclins à croire à l'Affaire Bettencourt ? Quelles sont les couches sociales qui pensent que Kadhafi a financé la campagne de Sarkozy ? Combien parmi eux doutent également de la version officielle du 11-Septembre en rapport à notre sondage de 2011 ? Et on peut continuer comme ça indéfiniment... C'est pourtant de cette manière que Mediapart a mené son enquête, en assimilant le 11-Septembre à des histoires sans aucun fondement relayées par des ahuris paranoïaques. Interpellé sur les plus de 1.700 réactions suscitées par cette enquête, Edwy Plenel a répondu que « l'auteur de cette pertinente enquête, Nicolas Chevassus-au-Louis, veille lui-même à répondre aux commentaires. Un cinquième et dernier volet de sa série reprendra et synthétisera prochainement ses réponses aux objections et critiques ». Quand on se souvient que le président de Mediapart, à l'époque où il l'écrivait pour lesoir.be, disait du travail de Denis Robert sur Clearstream que « cette enquête Canada Dry, qui avait l'allure d'une investigation, mais en aucun cas sa consistance, appliquait à la finance mondiale une variante des théories du complot », il y a de quoi se demander ce qu'est pour lui une enquête pertinente (Denis Robert a gagné en justice et face à tous ses détracteurs).

Dans le cas présent, nous n'espérions rien d'un cinquième volet et cela s'est confirmé dans un article en réponse aux commentaires publié le 20 août. Bien que l'auteur, accompagné cette fois-ci par Sophie Dufau, tente de désamorcer quelques généralités trop fréquemment dénoncées par les lecteurs, il continue néanmoins de collectionner les idées reçues sur le 11-Septembre. Ainsi, contester la version officielle se résumerait, selon eux, à des « discours refusant d'attribuer les attentats du 11 Septembre aux islamistes de Ben Laden » et serait le « paradigme de la théorie du complot ». De tels préjugés démontrent à quel point ils ne connaissent pas et ne comprennent pas le sujet dont ils parlent. Ont-ils seulement pris le temps (85 minutes) d'écouter les familles de victimes dans le documentaire 9/11 Press for Truth ? Ils affichent en revanche une confiance inébranlable envers une commission d'enquête dont ils n'ont probablement pas lu le rapport, tout comme la somme d'ouvrages qui en font la critique. Et quand ils comparent sans gêne leurs contradicteurs aux « créationnistes » ou aux « climatosceptiques », que savent-ils vraiment de Coleen Rowley, Sibel Edmonds, Ann Wright, Anthony Shaffer, Robert Wright, Ray McGovern et tant d'autres ? Au final, ils citent Marcel Proust et nous disent que « les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances » : est-ce un aveu ? Le dernier mot sera laissé à Donna Marsh O'Connor, qui a enseigné la littérature et la rhétorique à l'Université de Syracuse pendant plus de vingt ans. Contrairement aux spécialistes en rhétorique cités par Nicolas Chevassus-au-Louis, elle a étudié le sujet et sait de quoi elle parle. Et pour cause, elle a perdu sa fille qui se trouvait en haut de la Tour Sud du World Trade Center lors des attentats du 11-Septembre et agit au sein de l'association September Eleventh Families for Peaceful Tomorrows. Ce qu'elle disait le 11 septembre 2006 en soutien d'une nouvelle enquête est peut-être la meilleure réponse que l'on puisse apporter à celle de Mediapart et ce sera d'ailleurs notre conclusion :



Sébastien Durrbach

Membre de l'association ReOpen911