Après la publication, en septembre 2012, d'une étude montrant que les OGM généraient chez les rats de nombreuses tumeurs, les critiques scientifiques se sont abattues sur son auteur, le professeur Séralini. Le CRIIGEN, instance indépendante, a voulu y répondre en mettant en cause les études publiées par les industriels, qui fondent les autorisations de commercialisation.

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Après le feu des critiques, la contre-attaque. Mardi 16 octobre, le Comité de Recherche et d'Information Indépendantes sur le génie Génétique (CRIIGEN) tenait une conférence de presse sur les suites de l'étude Séralini, dans les locaux de la fondation Charles Léopold Mayer. L'occasion pour le professeur Gilles-Eric Séralini de répondre aux critiques formulées à l'encontre de son étude et pour Corinne Lepage, la présidente d'honneur du CRIIGEN, d'élargir le débat. Car pour la députée européenne, l'étude met avant tout en évidence l' « extrême faiblesse » des études réglementaires qui fondent les autorisations des OGM, ainsi que la persistance des conflits d'intérêt dans les agences d'évaluation. Cette dernière accusation fait écho au récent rapport de la Cour des comptes européenne, selon lequel « aucune des (quatre, NDLR) agences sélectionnées (1) ne gérait les situations de conflit d'intérêts de manière appropriée » .

L'EFSA, l'agence en charge des avis scientifiques sur les OGM, fait partie de celles qui ont mis en place les procédures et les politiques « les plus élaborées », selon la Cour mais elles restent insuffisantes, aux yeux du CRIIGEN. L'EFSA, par exemple, a confié la co-évaluation de son avis sur l'étude Séralini à l'expert Andrew Chesson. Or celui ayant contribué au pré-rapport d'autorisation du maïs NK 603 en 2003, Corinne Lepage estime qu'il est juge et partie sur cet OGM.

Le point sur les critiques

Publiée le 19 septembre 2012 dans la très sérieuse revue Food and Chemical Toxicology, l'étude dirigée par le Professeur Séralini montre des corrélations troublantes entre la consommation de maïs OGM NK 603 et des tumeurs cancéreuses, notamment mammaires, sur une population de rats de laboratoire. Cette étude, qui est la première à avoir testé pendant deux ans les effets toxicologiques du NK 603 a fait l'objet d'une salve de critiques de la part de certains scientifiques. Avec le recul, sont-elles justifiées ? Si certaines critiques ne sont pas dénuées de fondement, d'autres semblent moins pertinentes et il faut garder en tête que ses études servent aux autorisations de mise sur le marché.

Souche de rats : l'accusation infondée ?

Le choix des rats Sprague-Dawley serait l'une des principales faiblesses de l'étude, dans la mesure où ces rats « développent spontanément des tumeurs », pour reprendre les termes de Gérard Pascal dans Le Monde. Ce toxicologue de l'INRA à la retraite est devenu consultant pour l'industrie agro-alimentaire et à ce titre est la bête noire des anti-OGM. Cette accusation est fausse : la souche Sprague-Dawley est très utilisée en toxicologie et a même été utilisée par Monsanto dans ses études fournies à l'EFSA. Pour l'EFSA, ce n'est pas la souche des rats qui pose problème, mais le fait que l'influence de cette prédisposition sur la fréquence des tumeurs n'a pas été explicitée par les auteurs.

Nombre de rats testés : torts partagés ?

Reste la question de la taille des groupes test qui serait insuffisante pour autoriser des conclusions statistiques. C'est vrai : l'étude présente bien « des limites statistiques », reconnaît le professeur Séralini, qui aurait souhaité avoir un budget suffisant pour traiter des volumes plus importants . Mais vu le nombre de tumeurs observées, notamment mammaires, « il serait malhonnête de dire qu'il n'y a pas de risques ». De plus, on peut faire le même reproche à Monsanto, estimait Marc Lavielle de l'INRA (cité par le Monde). En outre, l'EFSA aurait dans le passé autorisé des OGM sur la base d'études qui contenaient 5 ou 6 rats par groupe, s'emporte le professeur Séralini. « Nous considérons que les agences réglementaires n'ont pas fait leur travail », ajoute-t-il. Cette accusation est reprise par Corinne Lepage, qui pointe « la gravité des carences des études d'autorisation de mises sur le marché ». Les agences d'évaluation et les industriels des OGM devraient donc d'abord « s'appliquer leurs critiques à eux même », martèle la députée européenne.

Transparence des données : vraie ou fausse question ?

Troisième critique majeure, l'étude Séralini ne fournirait pas assez d'éléments sur le régime alimentaire des rats testés et sur la présence éventuelle de micotoxines, pouvant influer sur la naissance des tumeurs. Ce à quoi les auteurs répondent qu'ils ont respecté les bonnes pratiques en la matière et qu'ils s'engagent à fournir ces données... A condition que les agences d'évaluation le fassent aussi, pour les études fournies par les industriels.

Car pour le CRIIGEN, le problème fondamental reste l'absence de transparence sur les données brutes des études fournies par les industriels. Ces données sont indispensables pour permettre un vrai débat scientifique contradictoire, estime Corinne Lepage. Mais l'EFSA, interrogée par Novethic, affirme que toutes les données brutes des études dont elle dispose sont accessibles au public, sur simple demande.

Alors que l'EFSA annonce la publication d'un avis détaillé sur l'étude Séralini pour la fin octobre, son homologue française, l'ANSES, devrait se prononcer sur l'étude dans les prochains jours. En attendant, face aux passions déchainées par l'étude de toxicologie, une quarantaine de chercheurs (plus de 220 au 16 octobre 2012) ont lancé un appel sur le site du CNRS pour un débat raisonné sur les OGM. Ces scientifiques suggèrent aussi « que des fonds suffisants soient alloués à l'équipe ayant publié cette étude pour vérifier leurs observations de façon complète et rigoureuse, en partenariat étroit avec l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'alimentation et de l'environnement. » A ce jour, seule la Russie a annoncé officiellement le financement d'une étude de cette ampleur.

(1) Demandé par le Parlement européen, le rapport de la Cour des Comptes concerne l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l'Agence européenne des médicaments (EMA)