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Un tribunal australien a jugé que des municipalités avait été aveuglées par la note "AAA" accordée à tort à un produit complexe. | AFP

Une notation "trompeuse", avec des "assertions inexactes et négligentes" et la publication "d'informations fausses". Telle est la charge de la Cour fédérale d'Australie contre l'agence de notation Standard & Poor's (S&P) dans un jugement rendu public lundi 5 novembre. En conséquence, le tribunal a condamné S&P à indemniser treize collectivités locales australiennes ayant investi des fonds dans des produits financiers ayant la note AAA, la meilleure possible.

Pour le tribunal, ces municipalités ont cru que les évaluations de S&P sur deux produits reposaient sur des bases prudentes et solides, alors que ce n'étaient pas le cas et que "S&P savait que ce n'était pas vrai".

"Notre succès est une première mondiale", juge-t-on du côté des collectivités locales. "C'est un coup majeur porté aux agences de notation", a estimé, dans un communiqué, l'avocate Amanda Banton, chargée de défendre les municipalités. De son côté, S&P s'est dite "déçue", a "rejeté toutes allégations selon lesquelles nos opinions étaient inappropriées" et indiqué vouloir faire appel devant la Haute Cour d'Australie.

LA CRISE AFFECTE BRUTALEMENT LA SOLIDITÉ DE PRODUITS

Ce jugement de 1 459 pages, après un procès de treize semaines entre octobre 2011 et mars 2012, découle de faits remontant à 2006. Cette année-là, la banque ABN Amro missionne S&P pour noter la solidité de produits financiers hyper-sophistiqués que l'établissement néerlandais vient de créer : des dérivés de crédit très complexes intitulés CPDO (Constant Proportion Debt Obligation).

S&P va alors décerner la meilleure note possible, le fameux "AAA", synonyme en théorie d'investissement sans risque, à deux CPDO émis par ABN Amro et mis en cause dans le dossier australien : des produits joliment baptisés "Rembrandt 2006-2 " et "Rembrandt 2006-3".

Un établissement financier australien nommé LGFS achète alors des CPDO d'ABN Amro et en revend une partie à treize municipalités, qui investissent au total environ 16 millions de dollars australiens (13 millions d'euros). Mais la crise financière mondiale affecte brutalement la qualité et le prix de ces produits, et S&P dégrade d'un coup la note de ces CPDO : en février 2008, leur note passe de AAA à BBB + (à deux notes de la catégorie "investissements pourris"). Résultat, quand les municipalités revendent ces CPDO en octobre 2008, ils récupèrent moins de 10 % de leur mise initiale.

UN SÉRIEUX REVERS

Estimant que les collectivités locales ont été trompées, le tribunal australien a condamné S&P, ABN Amro et LGFS à rembourser la différence entre la somme investie par les municipalités et le montant récupéré une fois les produits revendus. Soit environ 14,5 millions de dollars en tout, chacune des trois parties condamnées devant verser un tiers de la somme totale, les montants exacts devant être fixés ultérieurement.

Mais comme LGFS sera lui aussi indemnisé pour ses propres investissements dans ces produits, la facture sera encore plus élevée pour S&P et ABN Amro.

Ce jugement constitue un sérieux revers pour S&P, qui a toujours estimé qu'elle ne fournissait qu'une "opinion parmi d'autres", qu'il fallait prendre ses notations comme une source d'information et, en aucun cas, comme un jugement définitif et sûr à 100 %. Aux Etats-Unis, les agences de notation bénéficient d'ailleurs d'une jurisprudence très protectrice sur leurs opinions - et ce depuis le XIXe siècle - sur la base du premier amendement de la Constitution défendant la liberté d'expression. Un contentieux sur 2 milliards d'euros de CPDO émis par ABN Amro est cependant en cours aux Pays-Bas.

Reste que rien n'obligeait S&P à noter des CPDO. Dans son dernier ouvrage, Le Droit de noter (Grasset), Marc Ladreit de Lacharrière, le patron de l'agence Fitch, explique que ses équipes d'analystes ont refusé de noter les CPDO "en raison de leur complexité".