Quel bazar ! En annonçant samedi que le sauvetage des banques cypriotes serait en partie financé par une contribution prélevée directement sur les comptes des déposants, l'Eurogroupe a créé un beau chaos.
Le plan, qui accompagne une aide de 10 milliards d'euros, vise à prélever :
6,75% des dépôts en deçà de 100 000 euros ;
9,9% au-delà de 100 000 euros.
En échange de ces prélèvements, des actions des banques seront distribuées. Les autorités chypriotes ont procédé dès vendredi soir au gel des sommes à prélever.
Problème : cette mesure, qui doit rapporter 5,8 milliards d'euros, a été interprétée comme un possible précédent à d'autres initiatives du même ordre. algré les démentis, le risque est de voir les déposants grecs, italiens ou espagnols vider leur compte. Pour de nombreux économistes, l'Eurogroupe a joué avec le feu : le risque de « bank run » n'est pas à exclure.
Chypre, numéro cinq des pays aidésPourquoi le secteur bancaire chypriote va mal
Après la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, Chypre est le cinquième pays à se tourner vers la zone euro pour obtenir une aide dans le contexte de la crise de la dette souveraine.
Chypre a commencé à appeler à l'aide en juin 2012, lorsque ses banques ont affiché une perte de 4,5 milliards d'euros liée à la restructuration de la dette grecque.
Ce choc a frappé des banques qui, pour certaines du moins, étaient fragiles. Les banques chypriotes ont attiré énormément de placements étrangers, russes notamment (beaucoup soupçonnent le système d'avoir servi à blanchir des fonds tirés d'activités illégales).
Visiblement, elles n'hésitaient pas à investir dans des produits risqués, comme des titres de dette grecque, pour pouvoir offrir aux déposants étrangers des rémunérations élevées. Il n'y a jamais de miracle en la matière : quand une banque propose des rémunérations bien plus alléchantes que les autres, il y a toujours un loup.
Résultat, le bilan des banques représente plus de sept fois le PIB de l'île, un déséquilibre manifeste. En cas de pépin, le pays ne peut pas sauver le système.
La situation est en cela comparable à celle de l'Islande en 2008, dont les banques pesaient dix fois le PIB du pays, après avoir elles aussi attiré des épargnants étrangers. Mais Chypre a deux handicaps supplémentaires, par rapport à la situation islandaise :
« Si vous observez le bilan de Laiki bank, vous constatez qu'il représente 30 milliards d'euros pour un capital de 1 milliard, avec, au passif, uniquement des dépôts bancaires. Par conséquent, un échange "dépôts contre actions" semble la chose la plus logique à faire, sur le papier.Pourquoi le fait de taxer des comptes bancaires a choqué
Le problème, c'est que les déposants ne sont pas des créanciers comme les autres. Et vous vous retrouvez avec des problèmes très complexes, pour inciter les gens à ne pas retirer en masse leurs fonds. Vous vous aventurez sur un territoire dangereux. »
Ceux qui défendent la mesure décidée par l'Eurogroupe, comme le financier Marc Fiorentino ou comme mon ami Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, avancent plusieurs arguments :
Le fait de remplacer le cash par des actions, enfin, n'est pas tellement rassurant : on échange des actifs liquides pour des actifs sans liquidité et dont la valeur peut chuter.
Pourquoi ne pas avoir taxé que les gros comptes ?
On aurait pu imaginer un prélèvement plus subtile : seuls les comptes des non-résidents, par exemple (qui sont généralement des gens ou des groupes qui ont été séduits par les charmes du secret bancaire chypriote) auraient été taxés. Ou alors, si c'était juridiquement compliqué, seuls les gros comptes l'auraient été, ce qui revenait au même. Mais cette voie n'a pas été retenue.
Le président de l'Eurogroupe, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem a expliqué qu'il paraissait plus juste de demander un effort à tous les déposants « dans la mesure où il s'agit de contribuer à la stabilité financière de Chypre ».
Une explication peu convaincante. La vérité, c'est que les autorités chypriotes ont craint, par des discriminations, de faire fuir les épargnants étrangers. Et particulièrement de fâcher les Russes.
C'est Wolfgang Schäuble, ministre des Finances allemand, qui avait imaginé le plan initial. Mais il désirait, lui, que les déposants les plus riches portent l'essentiel de l'effort afin que les petits soient protégés. C'est ce qu'il a déclaré :
« Le prélèvement sur les comptes inférieurs à 100 000 euros, ce n'était pas une idée du gouvernement allemand. »Le Fonds monétaire international (FMI) soutenait le plan allemand. Mais les Chypriotes ont refusé que ne soient taxés que les grands comptes de peur de nuire à l'image « accueillante » de leur système financier. Ils ont préféré sacrifier leurs petits déposants plutôt que leur business « paradisiaque ».
Commentaire :
« Le racket général sur les comptes bancaires à Chypre »
Extrait : Voir aussi : « Le renflouement « de l'argent noir » russe à Chypre »