Le 14 août 1945, Alfred Eisenstaedt immortalisait l'un des baisers les plus célèbres du monde, celui d'un marin embrassant vigoureusement une jeune femme sur Times Square à New York pour célébrer la capitulation du Japon. Mais l'histoire est désormais connue, ce baiser fougueux n'avait rien de passionnel ni de romantique : le marin avait attrapé par la taille cette femme qu'il ne connaissait pas et ne lui avait pas laissé le choix de se soustraire à son baiser (relisez l'enquête du Monde sur cette image : "Un baiser peut en cacher un autre").

Animateur sur la radio NRJ, Guillaume Pley veut prouver que l'on peut embrasser une inconnue en dix secondes, le temps de lui poser trois questions et de la placer dans une situation où celle-ci ne peut plus le repousser. Une technique tristement efficace mais qui fait verser ce petit défi de séduction dans le harcèlement. La vidéo des "exploits" de Guillaume Pley a été vue 2 millions de fois depuis sa mise en ligne mercredi.

Rien de nouveau, pourtant, dans ces scènes qui appliquent à la lettre la technique employée dans une autre vidéo en anglais, "How to get girls to kiss you" ("Comment faire que les filles vous embrassent", 18 millions de vues depuis sa publication en mai). Un scénario qui peut se résumer en cinq points :

- aborder une fille seule en pleine rue ;
- lui demander : "Puis-je te poser trois questions ?" ;
- "As-tu un petit ami ?" ;
- "Me trouves-tu attirant ?" ,
- "Est-ce que je peux t'embrasser ?" ;
- Peu importent les réponses de l'interlocutrice, profiter de son hésitation pour l'embrasser.

Le "défi" que s'est lancé Guillaume Pley a indigné le magazine féminin en ligne Madmoizelle, qui publie un long réquisitoire contre le pseudochallenge que s'est lancé l'animateur.
"On constate sur la vidéo de Guillaume Pley qu'il se passe volontiers du consentement de la jeune femme, puisque plusieurs répondent clairement 'non' à sa quatrième question. Qu'importe, il plaque quand même sa bouche sur la leur, en leur tenant la tête avec les mains au besoin. C'est charmant. Et totalement répréhensible, excusez-nous de le souligner :

Article L-222-22 du Code pénal :
'Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.'"
Madmoizelle insiste en effet sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent plusieurs jeunes femmes ainsi abordées alors qu'elles sont seules dans la rue, assises sur un banc, souvent dans une position statique. La vidéo mettant en scène la première femme est même tournée de nuit alors que celle-ci est en train de retirer de l'argent à un distributeur de billets de banque.
"Les techniques de 'séduction' [parfois vantées sur Internet] entretiennent l'illusion qu'un 'non' est un 'peut-être', que le séducteur habile est celui qui 'arrive à obtenir un 'oui', poursuit Madmoizelle. Ce postulat est dégradant et dangereux pour les femmes. Dégradant parce qu'il revient à sous-entendre que la séduction est un jeu dont le trophée est la femme. (...) Dangereux parce qu'il nie la notion de consentement et qu'une relation sexuelle non consentie est un viol. (...)
Non, embrasser une inconnue sans qu'elle ait pu accorder son consentement, ce n'est pas un défi, ce n'est pas un challenge. C'est profondément irrespectueux."
D'après Le Figaro, le collectif Osez le féminisme a décidé de saisir le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui dispose depuis un an d'une commission sur l'égalité homme-femme, sur cette question. "C'est encore une fois un programme, diffusé sur une chaîne de grande écoute, complètement sexiste et qui banalise le fait de se jeter sur une inconnue et l'embrasser sans qu'elle soit forcément d'accord. Comme si on pouvait accéder à une fille sans son consentement", dénonce la porte-parole du collectif, Julie Muret.

Il y a un an, la vidéo d'une étudiante belge, Sofie Peeters, avait exposé la banale réalité du harcèlement de rue, provoquant un profond débat de société et suscitant de multiples témoignages en Belgique et en France, notamment sous le mot-clé #HarcèlementDeRue sur Twitter ou sur le tumblr Paye ta shnek.

Dans sa dernière enquête sur les violences faites aux femmes (qui date de 2007), l'Insee avait établi que 20 % des femmes âgées de 18 à 29 ans se font injurier au moins une fois par an et que 10 % d'entre elles subissent des baisers ou des caresses qu'elles ne désirent pas.

Un appel à se rassembler en fin de journée devant les locaux de NRJ a été lancé sur Twitter pour "défendre le consentement et lutter contre la culture du viol". Pour ceux qui ne sont pas à Paris, il est suggéré de saturer le standard d'appel de la radio. L'objectif : rappeler NRJ à ses responsabilités, la radio étant en tête des audiences radio en France avec RTL.