La gauche israélienne accuse le scénariste palestinien Ali Waked d'avoir écrit un film de propagande pour l'Etat hébreu. Le point de vue du film est celui des Palestiniens eux-mêmes, rétorque-t-il.

Affiche du long-métrage Bethléem
© InconnuAffiche du long-métrage Bethléem
(en arabe بيت لحم) (en hebreu בית לחם)
Ali Waked a passé dix ans à faire des reportages sur la vie et la mort de Palestiniens dans les Territoires occupés. Il a traîné dans des camps de réfugiés avec des terroristes recherchés, il a esquivé des balles pendant l'opération Rempart, de 2002, et s'est fait réprimander par le président Mahmoud Abbas pour sa couverture de la corruption au sein de l'Autorité palestinienne.

Bande annonce du long-métrage Bethléem
(en arabe بيت لحم) (en hebreu בית לחם)


Il estime pourtant qu'aucun des reportages qu'il a effectués en tant que correspondant du célèbre site israélien Ynet ne donne une image aussi exacte de la réalité palestinienne que le scénario qu'il a coécrit pour Bethléem, le thriller israélien [qui a été candidat malheureux aux Oscars].

« En tant que journaliste, je me contentais d'écrire sur des événements qui touchaient des Israéliens, mais je m'intéressais peu à ce qui se passait dans les coulisses de la société palestinienne », explique ce Palestinien musulman de 40 ans qui vit à Jaffa.

Sombre portrait

En ce sens, sa participation à Bethléem - son premier scénario coécrit avec le réalisateur Yuval Adler - a été une « expérience salvatrice » qui lui a permis de présenter un portrait détaillé - et sans complaisance - de la vie palestinienne en Cisjordanie. Corruption, extorsion, trahison et luttes intestines sont omniprésentes dans le film, qui se déroule à Bethléem à la fin de la deuxième Intifada, en 2004 et 2005.

L'approche frontale des auteurs n'a pas suscité que des éloges. L'une des critiques les plus acerbes du film - qui dépeint la relation complexe entre un agent du Shin Beth, les services de renseignements israéliens, et son informateur, un jeune Palestinien dont le frère aîné est un terroriste recherché - est celle de l'éditorialiste Gideon Levy. Dans un article paru dans Ha'Aretz, Levy, qui couvre lui-même la Palestine depuis des années, juge scandaleux ce film de propagande israélienne dans lequel les Palestiniens sont invariablement présentés comme les « méchants ». Il reproche également aux auteurs d'être des « lâches » qui ne prennent pas position.

Un travail de terrain

Waked ne semble pas troublé par l'attaque de ce confrère qu'il admire profondément. « Quand j'étais reporter, je considérais Levy comme une sorte de maître spirituel, dont le travail me motivait », explique le scénariste, qui a quitté Ynet en janvier 2011. « Mais son interprétation du film est totalement erronée. Je ne pense pas que Bethléem donne une image totalement négative d'un camp ou de l'autre. En tant que Palestinien, je ne serais pas capable de diaboliser mon propre peuple », poursuit-il, en défendant l'un des personnages les plus dérangeants du films - Badawi, le numéro deux de la milice des Brigade des martyrs d'Al-Aqsa - comme étant « un homme intègre, un ardent patriote », dont les actes parfois très violents sont motivés non pas par la cupidité ou la soif de pouvoir mais par son total dévouement à la lutte contre Israël.

« Le point de vue du film est celui des Palestiniens eux-mêmes. Nous avons passé des mois à les interviewer pour les besoins du scénario. C'est un reflet très précis de la réalité », insiste-t-il. « Si Gideon n'aime pas ce qu'il a vu dans le film, c'est peut-être parce qu'il n'aime pas la réalité. »

En fait, Waked considère « le refus de se positionner ouvertement » comme l'une des qualités du film. « Notre but était de montrer la situation, pas d'indiquer aux spectateurs ce qu'ils devaient penser. Il y a beaucoup de films sur ce conflit qui essaient de sensibiliser ou de faire de la morale ; ils sont généralement vus par une poignée d'intellectuels et ont finalement très peu d'impact. »

« Notre but n'était pas de changer la réalité », poursuit le scénariste. « Mais le film a eu une vaste audience et il est en train de susciter un débat en Israël. S'il permet à des gens de comprendre que nous sommes engagés dans une situation dont nous sortirons tous perdants et que les choses doivent changer, je me dirai que c'est une réussite ».

Ni des potiches, ni des imbéciles

Avant de travailler sur Bethléem, Waked avait été sollicité par plusieurs cinéastes pour écrire avec eux. Il avait décliné toutes leurs propositions. « Je n'aimais pas leurs idées, ni la manière dont les Palestiniens étaient présentés : soit comme des potiches ou de parfaits imbéciles, soit comme des êtres pitoyables. »

Ironie du sort, le film israélien, présélectionné pour les Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger, était en compétition avec Omar, un film palestinien traitant exactement du même sujet - les liens entre un informateur palestinien et un agent israélien. Waked n'a pas été surpris. « Le problème des collaborateurs est très pénible en Palestine. On ne sait pas si l'on peut parler librement à quelqu'un rencontré dans un café, à l'école ou même à un membre de sa propre famille, car cette personne pourrait rapporter aux autorités israéliennes ce que vous lui avez dit. C'est un thème naturel pour un film qui dépeint la vie quotidienne des Palestiniens. »

En famille

Waked, qui parle couramment l'arabe, l'hébreu, le français, l'anglais et possède des notions d'espagnol a grandi à Jaffa, où il a fréquenté une école privée française. C'est là qu'il vit aujourd'hui avec sa femme, une avocate elle aussi originaire de Jaffa, et leurs trois enfants, inscrits dans une école de langue anglaise. Sa famille a été mise à contribution pour tenir de petits rôles dans le film : Waked, rasé de près, a joué son propre personnage, un journaliste qui couvre la situation en Cisjordanie, et sa femme, celui d'une présentatrice de télévision. « A certains moments, c'était comme un projet familial », dit-il avec un large sourire.

Depuis qu'il a quitté Ynet - en partie, dit-il, parce ce qu'il en avait assez d'écrire sur de simples faits - , il travaille comme analyste pour divers médias tout en poursuivant une maîtrise (la deuxième) sur l'histoire du Proche-Orient.

Il est aussi directeur adjoint de Merkavim - une association qui cherche à instaurer un dialogue entre les divers groupes de la société israélienne, en particulier les Juifs et les Arabes. Une mission qu'il remplit pour sa conscience. « C'est une modeste contribution pour améliorer un peu notre cadre de vie », dit-il. Mais il reconnaît que « ce qui se passe à Bethléem et dans toute la Cisjordanie fait obstacle à l'avancée de notre travail en Israël ».

Quand on lui demande s'il prévoit un changement - un accord signé entre les dirigeants israéliens et palestiniens, par exemple - , Waked pousse un long et profond soupir, le même que celui qui semble imprégner le très sombre scénario de Bethléem.