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Des chevaux émaciés, malades ou blessés s'échangeant à bas prix sur les marchés aux enchères. Des bétaillères bondées, parcourant des milliers de kilomètres sans distribution d'eau ni de nourriture. Des centres de rassemblement regroupant des milliers d'animaux exposés au nord à la neige et au grand froid, au sud au soleil ardent ... Tel est le calvaire qu'endurent la plupart des chevaux traversant les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, l'Uruguay ou l'Argentine avant de finir... dans les supermarchés français. Donc dans nos assiettes. Une réalité au parfum de scandale que révèle aujourd'hui l'association française L214, spécialisée dans la défense du mieux-être des animaux d'élevage, au sortir d'une vaste enquête internationale menée en 2012 et 2013 avec les associations Tierschutzbund Zürich (Suisse), Animals Angels (USA), GAIA (Belgique) et Eyes on Animals (Pays-Bas).

Pour collecter leurs sinistres images, réunies dans un documentaire d'une trentaine de minutes, ces enquêteurs militants sont allés partout : sur les marchés aux enchères, dans les stations de collectes et les enclos d'exportation, aux points de contrôles vétérinaires, dans les feedlots (parcs d'engraissements intensifs) et dans les abattoirs. « Nous avons filmé de nombreux chevaux avec des plaies ouvertes, des yeux crevés, des membres déboités ou cassés, laissés sans soin ; d'autres morts, en décomposition, dans les feedlots », énumèrent-ils. En plus d'être traités de façon indigne, ces chevaux ont souvent reçu au cours de leur vie des anti-inflammatoires de type phénylbutazone : une substance potentiellement dangereuse pour la consommation humaine, et interdite d'usage sur les animaux destinés à la boucherie dans l'Union européenne.

Dans plusieurs pays d'Amérique, « la phénylbutazone est en vente libre, les contrôles vétérinaires sporadiques, les registres inexistants ou non fiables », explique Brigitte Gothière, porte-parole de L214, qui précise que « plusieurs chevaux ayant reçu de la phénylbutazone ont été tracés jusque dans les abattoirs canadiens ». Les chevaux n'étant pas, à de rares exceptions près, considérés comme de la nourriture potentielle sur le continent américain - en Argentine, une loi en interdit même la commercialisation -, leurs propriétaires ne sont pas alertés sur le fait qu'ils finiront à la casserole. Selon les enquêteurs, ce sont le plus souvent« des animaux en fin de carrière (sport, travail ou loisirs), vieux, malades ou blessés, considérés comme désormais inutiles ou encombrants ». En bonne logique, ils ont donc reçu durant leur vie des traitements correspondant aux pathologies de leur espèce.

Pour les associations de défense des animaux d'élevage, le pire n'est pas ce (relatif) danger sanitaire. Ce qui leur semble le plus inacceptable au regard des normes de l'Union, ce sont les conditions de transport des chevaux. « Si un abattoir, pour exporter, doit être agréé et appliquer la réglementation européenne, il n'est rien exigé concernant le transport », expliquent-elles. En Europe, le transport des animaux d'élevage est encadré, depuis 2005, par un règlement assez restrictif .Mais sur le continent américain, les législations sont très différentes.

« Les chevaux, précisent-elles, peuvent légalement être transportés jusqu'à 36 heures d'affilée en Argentine, en Uruguay et au Canada (contre 24h en Europe), dans des bétaillères sans ventilation, sans séparation voire sans toit. Il n'est alors pas rare de trouver des chevaux piétinés par les autres, des chevaux déshydratés et épuisés par ces transports très longs et éprouvants. Nous en avons rencontrés beaucoup au cours de notre enquête ».

En conséquence, L214 demande aux supermarchés français - Carrefour, Système U, Cora, Leclerc, Auchan, Intermarché, Casino - « de prendre leur part de responsabilité et de stopper les ventes de viande de cheval en provenance de ces pays, pour ne pas contribuer à maintenir le système en place et faire subir aux animaux des traitements cruels et illégaux en Europe ». Un vœu plus facile à formuler qu'à réaliser : en 2012, la France a importé 16.900 tonnes de viande de cheval pour une valeur de plus de 66 millions d'euros, dont au moins 60% provenait du continent américain.