Commentaire : Voici un article daté initialement de 2010 qui a été mis à jour et agrémenté d'extraits de livres et de suggestions de lecture en commentaire final.


Voici un résumé de « La famille narcissique - Diagnostic et traitement », de Stéphanie Donalson-Pressman et Robert Pressmann (1997), malheureusement non traduit en français (The Narcissistic Family: Diagnosis and Treatment). Cet ouvrage passionnant décrit très précisément et en termes simples la dynamique familiale de la plupart d'entre nous, tout en apportant des outils pour apprendre à observer son passé le plus objectivement possible, à changer le présent, et donc, l'avenir. Conçu pour des thérapeutes, il est accessible à tous ceux qui désirent aller au-delà dans la quête de Soi.
Famille narcissique
© Inconnu
Stéphanie et Robert Pressman, tout comme beaucoup d'autres thérapeutes de l'école américaine, approchent ce sujet du point de vue non pas des actes commis par quelqu'un, mais de celui de l'enfant qui grandit dans un milieu où ses besoins — naturels — n'ont pas été satisfaits.

Le terme le plus souvent employé est « enfant issu d'une famille narcissique ».

Définition de famille narcissique

Ce terme fait référence à un cercle familial où les besoins émotionnels des parents prennent le dessus sur ceux des enfants qui, par conséquent, assument des responsabilités qui ne correspondent pas à leur âge. Les actions de ces enfants se basent exclusivement sur la réaction qu'elles provoquent chez les adultes. Mais, étant donné qu'ils ne son pas en mesure de tout contrôler dans leur environnement, ils se sentent responsables, défectueux.

Leurs parents — dans la plupart des cas de façon non intentionnelle, que ce soit parce que, dans la plupart des cas, ils sont eux-mêmes issus de familles narcissiques, ou bien dû à des raisons pratiques — trop de travail, accident, décès... — ne peuvent pas combler les besoins de leurs enfants. Lorsque les parents ne sont pas disponibles émotionnellement, très souvent il s'instaure une dynamique subtile mais très dommageable : Si l'enfant a un problème — surpoids, dyslexie, dépression... —, il est étiqueté — « fainéant », « stupide »... Résultat : il apprend à cacher — et à se cacher lui-même — ses émotions.


Commentaire : Comme le souligne Alice Miller dans son ouvrage Le drame de l'enfant doué - À la recherche du vrai Soi :
« Le mépris est l'arme du faible et la protection contre des sentiments évoquant sa propre histoire. Et à l'origine de tout mépris, de toute discrimination, se trouve le pouvoir exercé par l'adulte sur l'enfant, un pouvoir plus ou moins conscient, incontrôlé, secret, et toléré par la société (sauf en cas de meurtre ou de graves sévices corporels). L'adulte est libre de faire ce qu'il veut de l'âme de son enfant, il la traite comme si elle était sa propriété. C'est la façon dont un État totalitaire traite ses citoyens. Mais l'adulte n'est jamais aussi complètement à la merci des puissants qu'un bébé dont les parents font fi de ses droits. Tant que nous ne deviendrons pas plus sensibles aux souffrances du petit enfant, personne ne prêtera attention à ce pouvoir, nul ne le prendra au sérieux, et on en minimisera l'importance, car après tout « ce ne sont que des enfants ». Mais dans vingt ans ces enfants seront des adultes qui reporteront tout cela sur leurs enfants. Consciemment, ils lutteront peut-être contre la barbarie « dans le monde », mais inconsciemment ils infligeront des horreurs à leur entourage, parce qu'ils portent en eux une expérience de la cruauté à laquelle ils n'ont plus accès, une expérience qui reste cachée derrière l'idéalisation de leur enfance et les pousse à des actions destructrices. »

Au lieu de reconnaître, comprendre et valider leurs émotions et besoins, ces enfants développent une sensation exagérée de l'impact que leurs besoins ont sur leurs parents. Ils deviennent donc le reflet des émotions de leurs parents, dont les besoins représentent l'unique objectif poursuivi par l'enfant. Les émotions de l'enfant n'ont donc plus de place, et il apprend à les ignorer, à ne plus les valider, les reconnaître.

Ceci est d'autant plus visible pendant la transition dans laquelle l'enfant cesse d'être entièrement dépendant de ses parents et qu'il a ses propres envies, émotions et besoins. A la naissance et pendant les premières années de sa vie, les parents ont plus de contrôle, mais au fur et à mesure que l'enfant grandit, ils ont plus de difficulté à lui donner ce dont il a vraiment besoin. Ils peuvent se sentir eux-mêmes rejetés, moins indispensables pour leur enfant, qui n'est plus totalement un reflet d'eux, mais un individu à part entière avec des besoins aussi importants mais plus compliqués. Quand l'enfant perçoit que ses parents ne peuvent pas satisfaire ses besoins, il commence le processus d'inversion des rôles, où il fait tout pour plaire, recevoir attention et approbation.

Le but de ce livre est d'enseigner aux adultes qu'un enfant qui grandit dans une famille dysfonctionnelle est façonné de cette façon dysfonctionnelle, mais qu'en tant qu'adulte, ceci ne doit plus de définir. Comprendre son passé permet de reconstruire son avenir.

Quelques traits communs aux enfants issus de familles narcissiques

Ils ont, en général, un besoin chronique de plaire et d'être validés ; ils sont incapables de reconnaître leurs émotions, désirs et besoins ; ils oscillent constamment entre un manque et un excès de confiance en soi ; ils ressentent de la colère, qu'ils répriment ou bien expriment de façon explosive.

Pourquoi « narcissisme » ?

Dans le mythe à l'origine de ce terme il existe deux personnages symbolisant deux aspects opposés du même problème : Narcisse et Écho. Narcisse se sent uniquement concerné par ses propres besoins, sa beauté, son propre reflet. Et son égocentrisme le conduit à la mort. Écho, enamouré de Narcisse, essaie d'attirer son attention et approbation à tout prix, mais n'a pas de « voix » propre. Sa vie est purement réactive, ce qui le mène également à sa fin.

Cette analogie permet de mieux comprendre la dynamique entre les parents et les enfants d'une famille narcissique. Les parents — volontairement ou involontairement —, sont plus concernés par leurs besoins et leur « monde ». Les enfants deviennent des « Échos ».

A l'opposé, il existe des dynamiques familiales plus saines

L'enfant a besoin d'un parent, tuteur, modèle qui soit ferme, mais qui le comprenne, et dont les propres besoins seraient satisfaits par le conjoint et un travail personnel. Ce tuteur doit avoir résolu certains conflits dans ses propres relations et avoir un sens de la responsabilité. Quand ceci est le cas, il est disponible pour l'enfant et peut satisfaire ses besoins émotionnels. Peu à peu, l'enfant apprend également à satisfaire ses propres besoins, en devenant une personne autonome, ayant grandi dans un environnement de sécurité, de compréhension et d'amour, ce qui lui permettra d'avoir une bonne estime de soi, reconnaître ses émotions et celles des autres.

Dans une famille « saine » l'enfant apprend plusieurs valeurs et comportements qu'un enfant issu d'une famille narcissique est obligé d'apprendre à l'âge adulte afin de guérir et d'avoir une vie épanouie :
  1. Toute correction d'un comportement est exprimée correctement, c'est-à-dire qu'elle n'est jamais blessante ni destructive.
  2. Nos propres besoins émotionnels ne peuvent pas toujours être satisfaits, mais on doit toujours avoir le droit de les exprimer.
  3. Nous avons toujours le droit de ressentir quelque chose. Les émotions n'ont pas besoin d'être justifiées.
  4. Il est possible de faire des compromis — laisser aller et obtenir des choses de façon équilibrée.
  5. Changer d'avis est normal et ne doit pas être utilisé contre quelqu'un. Plus on a d'information, plus nos décisions ou idées peuvent changer. C'est bien !
  6. Toute action a ses conséquences. On ne peut pas toujours agir d'une manière exclusivement basée sur nos émotions.
  7. Faire des erreurs est nécessaire pour apprendre, et représente des défis essentiels dans la vie. Culpabiliser n'a donc pas lieu d'être lorsque l'on apprend de ses erreurs.
  8. S'approprier ses erreurs, s'excuser et agir différemment est le moyen de prendre ses responsabilités, ce qui diffère du sentiment de « honte » qui peut souvent nous immobiliser et nous emmener à répéter des erreurs.
Il est évident que peu sont ceux qui ont appris toutes ses choses pendant leur enfance.

Narcissisme déclaré versus narcissisme dissimulé

Le narcissisme « déclaré » dans une famille est caractérisé par une dynamique où les besoins des parents prennent constamment le dessus. Parfois ceci peut être accompagné d'une obligation de garder « le secret de famille », et très souvent il existe des abus physiques, sexuels et émotionnels de différents degrés. Les enfants issus de ces familles se sentent souvent vides, ils ont une colère réprimée, ils se sentent inadéquats, ils souffrent d'anxiété chronique ou de dépression, etc.

Dans le narcissisme « dissimulé », une dynamique similaire s'instaure mais dans la croyance que l'on a « une famille idéale ». Les parents peuvent être disponibles par intermittence, ce qui génère une confusion chez les enfants. Les carences émotionnelles se font beaucoup plus subtiles, au point où souvent, beaucoup de personnes jurent avoir eu une enfance parfaite, alors qu'en réalité leurs besoins ont toujours été ignorés ou passés au deuxième plan.

Il est difficile de catégoriser ces deux dynamiques de façon si tranchée, parce qu'il existe plusieurs degrés de narcissisme, et que chaque individu est différent. Nombre de facteurs peuvent rentrer en compte même lorsque, par exemple, des frères et sœurs reçoivent autant d'attention, d'amour, etc. Leur propre sensibilité et personnalité jouent un rôle important dans la façon dont ils perçoivent le monde.

La communication est un problème important dans les familles narcissiques.

Il existe souvent une loi tacite de « maintenance » qui établit une distance entre les parents et les enfants, empêchant de parler des émotions. L'enfant comprend à un très jeune âge qu'il vaut mieux ne pas exprimer ses émotions car il court le risque d'être rejeté, critiqué ou ignoré. Par exemple, on le critique, on le punit, on nie ce qu'il ressent, on lui dit : « Je suis trop occupé(e) pour en parler », etc. Donc, il préfère garder le silence afin de se protéger.

A cela se rajoute la communication indirecte. Par exemple, « Ce serait bien si quelqu'un me passait le sel », plutôt que la formulation de demandes directes et adultes. La communication indirecte se manifeste également sous la forme de « triangularisation » : les parents communiquent à travers l'enfant (ou une mascotte !) — « Peux-tu dire à ton père/ta mère que... » —, ou bien ils font des « confidences » aux enfants comme s'ils étaient adultes, ou bien ils planifient leur vie autour de leurs enfants afin d'éviter l'intimité dans le couple. Il se crée parfois des « alliances » entre l'un des parents et l'un ou plusieurs des enfants, contre l'autre parent ou les autres enfants. Les enfants sont forcés de prendre partie pour l'un des parents et ils culpabilisent.

Dans une famille narcissique, l'enfant vit dans un va-et-vient constant. S'il fait confiance à ses parents, il peut recevoir de l'attention, de l'amour, de la compréhension à un moment donné, mais lorsque les parents ne sont pas disponibles, il peut perdre tout ceci en une seconde. La même chose arrive lorsque l'enfant fait une confidence. Un jour le parent garde le secret, et un autre il le punit, le raconte à des tiers, etc. Par conséquent, l'enfant apprend à un jeune âge à ne pas faire confiance, par crainte de perdre l'être aimé.

Un autre trait important de la famille narcissique est le manque de limites, c'est-à-dire non pas des règles et une discipline juste que l'on doit imposer un enfant afin qu'il apprenne à devenir responsable et indépendant, mais plutôt des limites encourageant une vie autonome. L'enfant n'est pas maître de ses émotions, qui ne sont que rarement validées. Son espace privé est souvent non existant — les parents ne le laissent pas seul, ou ils rentrent dans sa chambre sans frapper à la porte, ils l'empêchent de parler de ses émotions en sécurité, etc. Adulte, cet enfant ne saura pas mettre des limites aux autres ; il ne saura pas dire « non » lorsque ceci est nécessaire ou approprié.

Étant donné que dans une famille narcissique le regard extérieur compte énormément, souvent les parents montrent beaucoup d'affection à leurs enfants lorsqu'ils sont devant des amis, d'autres membres de la famille, etc. Dans ces moments-là, l'enfant est convaincu qu'il a gagné l'affection. Mais lorsqu'il se retrouve de nouveau seul avec ses parents, la dynamique change. Il croit alors qu'il a perdu ce qu'il avait obtenu parce qu'il est un échec, ou méchant, etc. Les auteurs appellent ce phénomène cible en mouvement.

Mais voici ce qu'ils proposent concernant la guérison, lorsque l'on a grandi dans une famille narcissique. Ils divisent le processus en cinq étapes majeures, à durée variable selon les individus :

1 - Revisiter l'enfance - Il s'agit de voir la réalité à travers les yeux de l'enfant. C'est par ce processus que meurt l'illusion d'avoir vécu dans une famille « idéale ». L'adulte commence ainsi à se comprendre lui-même, à moins culpabiliser, à comprendre que cet idéal qu'il essaie de retrouver dans le présent est impossible à atteindre. Il s'agit d'une étape difficile car les patients ont tendance à aller vers deux extrêmes : soit ils responsabilisent leurs parents pour tout, soit ils refusent de voir la responsabilité de leurs parents — quelles que furent leurs intentions. Les auteurs proposent plusieurs exercices pour cette étape :
  • La photo - Il s'agit de prendre une photo de notre enfance — entre 3 et 7 ans —, reconnaître qui nous étions, comment nous nous sentions, imaginer ce que nos propres enfants sentiraient s'ils avaient vécu dans une famille comme la nôtre, et donner des messages positifs et encourageants à cet enfant que nous avons été.
  • La compartimentalisation, ou l'exercice des boîtes - Cet exercice consiste à comprendre que, si dans l'enfance nous n'étions pas responsables de ce qui arrivait autour de nous, dans le présent c'est tout le contraire. On est responsables, et on peut prendre des décisions adultes. Afin d'illustrer ce point, les auteurs demandent à leurs patients d'imaginer deux boîtes. Dans la première, ils mettront ce qui correspond aux blessures, problèmes et comportements de leurs parents. Dans la deuxième, ils mettront leurs émotions et blessures du point de vue de l'enfant qu'ils ont été. Ensuite, ils peuvent décorer les boîtes, les ranger dans des endroits différents, etc. Ainsi, ils apprennent à séparer leurs émotions de celles des autres, et ils comprennent que, d'un côté, leurs parents ont aussi leurs blessures, et même avec les meilleures intentions, ils peuvent ne pas avoir été capables de nous donner ce dont on avait vraiment besoin sur le plan émotionnel. On apprend ainsi à comprendre de façon objective, sans accuser autrui, mais sans non plus prendre tout sur nous-mêmes, tout simplement en acceptant la réalité.
2 - Faire le deuil - Il s'agit ici du processus par lequel on apprend à ne plus rêver d'une enfance parfaite, ce qui nous mène à nous fixer des objectifs plus réalistes dans le présent, ainsi que de nous approprier la vie, de construire des relations plus saines — sans manipuler ni être manipulé, sans essayer de gagner le contrôle/l'approbation de façon obsessive —, et de ne plus être focalisés sur notre famille d'origine ni sur ses standards. Autrement dit, nous apprenons à ne plus faire les mêmes erreurs dans dans ces processus où l'on reproduit un drame de l'enfance.

3 - Reconnaître - Petit à petit, nous devons reconnaître les traits qui, pendant notre enfance nous ont été essentiels pour notre propre survie face à une situation dangereuse ou traumatique, et comprendre que dans le présent, ces traits sont devenus dysfonctionnels. Ce n'est qu'à ce stade que nous pouvons enfin cesser de vouloir plaire à tout prix, par exemple, ou de croire que lorsque quelqu'un rejette nos pensées, nos mots ou nos actions il/elle est en train de rejeter qui nous sommes. Ceci est extrêmement libérateur, dans le sens où nous apprenons à reconnaître nos points forts et nos faiblesses, à accepter des critiques constructives, et à plus nous respecter nous-mêmes. Mais attention : souvent, pendant cette période de récapitulation, beaucoup de personnes ressentent l'envie de confronter leurs parents à propos de leur enfance. Ceci est à éviter tant que l'on n'a pas vraiment guéri nos blessures. Autrement, leur réponse pourrait conduite à davantage de blessures, d'échec, et de déni de nos émotions.

4 - Évaluation - Il s'agit ici d'évaluer notre situation actuelle. L'adulte regarde les traits de personnalité qui lui sont « propres » et décide lesquels garder ou conserver et lesquels il désire changer. Il comprend également que les erreurs du passé sont principalement dues à un manque d'information, ou à des mécanismes de défense instaurés depuis un jeune âge. Nous ne savions pas mieux agir !

5 - Prise de responsabilité - Enfin, l'adulte commence à prendre des décisions plus saines, et à trouver un équilibre dans certains traits de sa personnalité — par exemple, il ne sera pas totalement accessible ou bien inaccessible aux autres, mais saura juger chaque situation en s'adaptant.

Émotions et communication

Réapprendre à reconnaître, classer, comprendre et exprimer ses émotions n'est pas une tâche facile. Mais avec le temps, reconnaître exactement comment on se sent, et pourquoi, nous permet de nous exprimer de façon claire — et non pas agressive ou bien passive —, ce qui fait que le message émis est très souvent le message reçu.

Les auteurs proposent les exercices suivants :
  • Liste des émotions - Cela consiste à demander au patient de formuler une liste de ses émotions, et de planifier ses actions se basant sur ces émotions — par exemple : « Je me sens triste, et donc, je ne vais pas sortir même si je me sens dans le compromis. Je peux dire non. ».
  • Émotions dans le corps - Dans cet exercice on apprend à identifier le rapport entre une émotion et le corps. Très souvent, si l'on demande un patient comment il se sent, il ne le sait pas. Mais si on lui demande de nous dire où il a un malaise ou des douleurs, il pourra, à partir du corps, déterminer la source émotionnelle de cette douleur, si elle existe.
  • Contes/histoires émotives - Cela consiste à imaginer comment quelqu'un d'autre se sentirait s'il avait à vivre une histoire que l'on a vécue en tant qu'enfant, ou même à l'âge adulte. Le fait de lire des romans ou de regarder des films parlant d'histoires personnelles peut également rappeler à la personne certaines émotions qu'elle a réprimées.
  • Vidéo-projection - On demande au patient de décrire sa vie comme s'il s'agissait d'un film, en parlant à la troisième personne. Ainsi, s'il lui est difficile de parler de ses propres émotions, ceci l'aidera à prendre de la distance tout en exprimant ce qu'il ressent vraiment.
  • Exprimer ses émotions - Apprendre à dire « Je veux », et surtout « je ressens », mais sans attaquer l'autre. Très souvent, si au lieu d'agresser l'autre on lui dit exactement comment on se sent, ou comment nous avons réagi émotionnellement à quelque chose qu'il ou elle a fait, on obtient ce que l'on veut sans besoin de manipuler. Car cette forme de communication décrit l'énonciateur — celui qui parle —, et non pas le récepteur du message, qui est donc plus ouvert à donner une réponse sincère, à s'excuser, etc. que s'il se sent attaqué. Ceci fait partie d'une communication adulte.

Commentaire : Comme Aleta Edwards l'explique dans son ouvrage La peur de l'Abîme - Guérir les blessures de la honte et du perfectionnisme :
« On peut observer des exemples de l'Abîme dans tous les domaines de la vie si l'on sait où regarder. Parfois, écouter les histoires d'autrui et réfléchir à leurs expériences et leurs sentiments peut être plus facile que d'examiner les siennes. Envisager la souffrance d'autres personnes peut vous permettre de commencer à examiner votre propre vie avec plus d'aisance. Cela contribue à vous habituer à une nouvelle façon de penser et de vous voir. De nombreux auteurs et artistes ont une compréhension intuitive de cette peur très courante dans la nature humaine, et l'on peut lire des romans ou regarder des films où cette sagesse est partagée avec le public. »



Mise en place de limites

Dans la plupart des cas, l'adulte issue d'une famille narcissique n'a pas appris qu'il a toujours le choix. Par conséquent, il ne sait pas dire non — ou, à l'autre extrême mais avec moins de fréquence, il est resté dans une attitude de refus/rejet de l'autre de peur de le perdre, et ne sait donc pas dire oui, même lorsqu'il veut accepter quelque chose !

Un cas très récurrent est celui du « tout ou rien » : l'adulte issue d'une famille narcissique recherche, par exemple, un mariage idéal et, s'il ne l'obtient pas, il opte pour la fuite de toute relation, ou il se contente de relations sans vraie intimité, etc. Mais, lorsque l'on apprend à reconnaître nos blessures, nos émotions, et à les exprimer ouvertement, on réussit également à fixer certaines limites, du respect, de la liberté dans le couple, et à avoir, par conséquent, des relations plus saines et heureuses.

Les auteurs proposent, encore une fois, quelques exercices :
  • Le cahier - Cela consiste, en thérapie, à demander au patient de prendre un cahier — ou n'importe quel autre objet — des mains du thérapeute lui demandant tout se suite après pourquoi il a automatiquement accepté de le faire. Ensuite, on entame une discussion autour de la prise de responsabilité lorsque l'on ne veut pas se plier à une demande, les conséquences réelles d'accepter ou de refuser selon l'importance de ce que l'on nous demande, etc.
  • « La crise mondiale » - Il s'agit ici de caricaturer la prise de responsabilité lorsque l'on nous demande — ou que l'on se fixe — de faire quelque chose que l'on ne pourra jamais contrôler. Si on nous demandait de trouver une solution immédiate à la crise mondiale, et que l'on prenait la responsabilité pour toute l'humanité, en tant qu'individu, on ne pourrait rien faire. Le patient peut ensuite comparer cette situation à toute autre situation dans laquelle il serait tenté ou amené à prendre trop de responsabilité — et donc, à échouer.
  • Autrement dit - Apprendre à dire non, à reconnaître ses propres limites et à poser des limites aux autres est essentiel pour regagner l'estime de soi et pour se défendre si l'on en a besoin.
Prise de décision et gratification retardée

L'adulte issu d'une famille narcissique n'a souvent pas confiance en lui, et par conséquent, en autrui. Réapprendre ceci permet de vivre dans le présent et de juger chaque situation de façon plus appropriée. Le fait de gagner de la confiance en soi augmente notre capacité de succès, notre perception, etc. Nous comprenons ainsi que l'on est unique, avec nos qualités et nos défauts, et que l'on a de la valeur malgré nos erreurs, notamment lorsque l'on apprend d'elles. Et, gagner la confiance en l'autre nous permet de comprendre que, au contraire de la dynamique familiale, certains gens sont fiables et ne vont pas changer de règles ni nous mettre des bâtons dans les roues en permanence. Et, même si cela arrive, on pourra mieux faire la différence entre les personnes en qui l'on peut avoir confiance et celles qui ne le méritent pas.

Une caractéristique très fréquente chez l'adulte issu d'une famille narcissique est le fait qu'il cherche une « gratification immédiate » : Étant donné qu'il ne se croit pas généralement capable de réussir sur le long terme, il cherche quelque chose — ou quelqu'un — qui le fasse se sentir mieux immédiatement. Ceci peut se manifester via la toxicomanie, les troubles alimentaires, l'alcoolisme, etc. Ces comportements mènent souvent vers la dépression ou la haine de soi. L'illusion du contrôle immédiat sur une situation ne peut pas combler le vide émotionnel que nous avons en nous. Ce n'est qu'un « solution » temporaire, qui ne nous soigne pas notre souffrance intérieure et l'enfant que nous avons été.

Une autre caractéristique importante est la distorsion de la réalité : « Les autres sont plus beaux, plus capables, plus... TOUT que moi », ou « Personne ne se sent aussi vulnérable, isolé, mois intelligent, laid (...) que moi ». Ce manque extrême de confiance peut nous faire perdre la perspective, car nous tendons à oublier que les autres souffrent aussi. En d'autres mots, le sentiment d'infériorité est une forme d'égocentrisme, tout comme le sentiment de supériorité, car il incite à s'apitoyer sur soi-même, plutôt que de prendre la responsabilité et se juger à sa juste valeur. On demande aux autres de valider ce que nous pouvons valider nous-mêmes si nous réussissons à sortir de ce cercle vicieux. Et c'est possible !

Cette distorsion de la réalité nous mène souvent à avoir des attentes irréalistes : on se fixe alors des objectifs tellement difficiles que, « la barre étant trop haute », on décide d'abandonner, de fuir, de ne même pas essayer. Donc, on se sent coupables, fainéants, bons à rien, etc. Le but est donc d'apprendre à se fixer des buts plus réalistes, à trouver de la joie dans le processus qui nous permet de les atteindre, et à être prêts à tout moment à modifier nos objectifs et priorités si nécessaire.

Si l'on ne réussit pas à franchir cette étape, nous risquons de vivre dans un éternel : « On ne peut pas me faire confiance ». Cette voix intérieure qui nous critique de façon si forte est un blocage que nous devons vaincre. Nous devons apprendre qu'il est possible, et même positif, de changer d'avis ou de comportement. Pour ce faire, les auteurs proposent à leurs patients de se poser les questions suivantes lorsqu'ils se trouvent immobilisés par une situation :
  • Quels compromis sont essentiels ?
  • Lesquels me font du bien ?
  • Desquels puis-je me libérer ?
  • Quelles seraient les véritables conséquences pour moi et pour les autres ?
Mais n'oublions pas l'une des caractéristiques les plus importantes chez l'adulte issu d'une famille narcissique : la pensée duelle « noir et blanc », « bon ou mauvais ». Très souvent, cet adulte ne voit pas les tonalités de gris. Il croit que toutes ses actions le définissent en tant qu'être humain — cf. « Je fais, donc je suis ». Il entend une voix qui lui dit constamment « Tu dois », plutôt que « tu veux, tu peux, tu pourrais,... ». Il doit donc apprendre qu'il A LE CHOIX. Qu'il peut se permettre d'évaluer les options qui se présentent devant chaque situation. « Devoir » équivaut à se dire « Ce qu'ILS veulent que je fasse », c'est-à-dire que ce sont des normes externes probablement apprises pendant l'enfance. En revanche, il PEUT accomplir beaucoup, mais il lui faut une prise de décision correcte et mesurée, un but réaliste, une action basée sur les meilleures options disponibles, etc. Et, on PEUT de tromper !

Intimité, sexe et amitié

Étant donné que l'adulte issu d'une famille narcissique vit dans une recherche perpétuelle de se sentir apprécié, aimé et désiré, il est fréquent qu'il associe les rapports sexuels à une approbation extérieure, et qu'il base son comportement selon ce qu'il croit pouvoir inciter chez les autres à travers ce qu'ils désirent le plus. Le sexe sera une solution parfois plus facile, car il n'aura pas forcément besoin de construire une vraie relation intime avec quelqu'un d'autre. Au contraire, l'échec sexuel sera perçu par lui comme si toute sa personne avait échoué. Il est donc réactif — comme « Écho ». Beaucoup d'adultes trouvent très difficile de sortir de relations superficielles. Ce n'est que lorsqu'ils guérissent à l'intérieur qu'ils sont capables de lutter pour ce qu'ils ont toujours désiré : une relation durable, honnête, intime.

L'adulte issu d'une famille narcissique veut presque toujours ce type de relation profonde, mais en même temps il a extrêmement peur de l'intimité. Il a peur d'être incapable de maintenir une relation car il se croit tellement défectueux ; il craint les demandes de l'autre dans le cas où il ne voudrait/pourrait s'y plier ; il a peur que l'autre découvre ses défauts et le rejette. Par conséquent, il décide de contrôler le degré d'intimité dans le couple, ce qui crée chez l'autre le sentiment de ne pas être vraiment aimé, ou bien d'être utilisé, blessé, mal compris — surtout quand l'autre est aussi issu d'une famille narcissique.

En ce qui concerne l'amitié, l'adulte issu d'une famille narcissique est souvent seul, et se sent seul. Même lorsqu'il est « occupé », avec une vie sociale chargée, beaucoup de connaissances et des sorties, il n'a que rarement des amis proches — surtout des amis du même sexe. Ceci est encore plus marqué chez les hommes dans notre société, car ils associent souvent l'amitié à la peur d'être perçus comme ayant des tendances homosexuelles, ou bien parce qu'ils ont appris qu'exprimer leurs émotions était réservé aux « filles ». Chez les femmes, la difficulté majeure est souvent le sentiment de concurrence, produit également de notre société. Mais dans les deux cas, ce manque d'intimité peut se manifester de deux manières différentes, chez tous les individus, sexe confondu : soit l'adulte assume que les autres l'aimeront pourvu qu'il se comporte d'une certaine manière et qu'il fasse ce qui est « accepté », soit il essaiera de contrôler la relation — il sera trop demandant, ou bien acceptera tout, il donnera trop, il sera trop réservé, trop manipulateur, intrusif, absent, responsable ou irresponsable.... Dans tous les cas, l'idée subconsciente est que « puisque tu vas de toute façon bien finir par me rejeter, autant que je le provoque ».

Que ce soit dans le cas des relations amoureuses ou de l'amitié, les auteurs parlent d'une « muraille » psychologique. C'est cette sorte de bulle que l'on construit autour de soi afin de se protéger. Parfois on peut faire tomber cette muraille, mais si on perçoit le moindre danger, on la reconstruit. On impose des limites tacites de rapprochement aux autres. Dans les cas les plus extrêmes, cette muraille ne disparaît jamais.

L'adulte issue d'une famille narcissique construit souvent ce que les auteurs appellent une « muraille plastique » : il est capable d'avoir une relation, d'être ouvert, mais lorsque, par exemple, il est critiqué, il érige la muraille. L'adulte sait ce qu'il ressent, mais il se protège des émotions douloureuses.

C'est ici que l'on voit également cette tendance très récurrente à plus apprécier ce que l'on n'a pas, ou bien de rejeter ce que l'on nous offre avec une véritable affection. Moins on reçoit, plus précieux cela devient et plus on laisse tomber la muraille même dans des situations dangereuses. Et, souvent, plus on reçoit de la part qui a de la vraie affection pour nous ainsi que nos meilleurs intérêts à l'esprit, plus on renforce la muraille. La peur de communiquer et de perdre l'être aimé, est toujours constante tant que l'on n'apprend pas à trouver l'équilibre.

Je fais, donc je suis

L'adulte issu d'une famille narcissique a un besoin extrême de validation externe. Il peut souvent avoir un grand succès dans sa vie professionnelle, mais ayant des relations superficielles il ne se sent pas bien compris lorsqu'il recherche plus d'intimité.

Parfois il devient « accroc au travail » pour compenser ce manque d'estime de soi, ou bien il est « l'amuseur » de la famille afin de plaire à tous. Mais quel que soit le rôle qu'il adopte ou les mécanismes de défense qu'il développe pour faire face à ce problème, il a beaucoup de difficulté à différencier les critiques de ses actions et de sa personne. La moindre correction devient pour lui un rejet de sa personne — ou de l'autre si c'est lui qui fait la correction.

Il assume la responsabilité pour des tâches qu'il ne peut pas contrôler mais refuse d'exercer le pouvoir sur ce qu'il peut contrôler. Cela se traduit soit pas un comportement abusif de pouvoir vis-à-vis des autres — il a tendance à tout vouloir superviser, à ne jamais déléguer, etc. — soit par un lâcher-prise où il refuse toute responsabilité, sans même reconnaître le pouvoir qu'il a réellement. Il vit dans un monde imaginaire où tout doit être parfait, juste, où les gens qui l'entourent doivent correspondre aux critères qu'il s'est fixés pour déterminer la « qualité » d'une personne, etc. Et il applique les mêmes critères pour se juger lui-même.

Observer la réalité dans le présent équivaut à faire pratiquement le contraire : nous devons apprendre à observer QUI nous croyons être vraiment, et assumer un pouvoir et des responsabilités réalistes. Ce qui compte, c'est que l'on A ce que l'on EST, et dans ce sens, nous pouvons dire que chaque personne, unique, différente, est un vrai trésor. Ce que nous devrions donc apprendre à ressentir est « Je suis, donc j'ai de la valeur ».

Confiance et thérapie

Cette section s'adresse principalement aux thérapeutes traitant des adultes issus d'une famille narcissique. Mais, à notre avis, elle contient également de conseils pratiques extrêmement utiles pour tous ceux qui désirent aider quelqu'un qui vit ce processus de guérison de soi, ou bien simplement pour ceux qui sont eux-mêmes dans une démarche personnelle de connaissance de soi.

Les auteurs expliquent comment moins on reçoit de soutien émotionnel pendant son enfance, plus on a peur de ce que l'on a. Cela se traduit souvent par une attitude tacite basée sur un va-et-vient entre « Rapproche-toi ! » et « Va-t-en ! ». A cela se rajoute le fait que les mécanismes de défense développés pendant l'enfance peuvent être profondément enracinés. Par conséquent, il faut instaurer un climat de confiance où l'autre puisse vivre dans des conditions stables qui lui permettront de soigner ses blessures.

Voici quelques exemples de ces conditions
  • Le « patient » aura besoin d'un soutien constant concernant qui il EST, et pas forcément ce qu'il fait.
  • Il aura besoin d'un modèle de communication adulte, ouverte, et libre de tout jugement — « Je me sens... ».
  • Il est nécessaire de parler d'options et de conséquences face à une situation particulière où le « patient » ne voit qu'une seule voie possible — pensées noir et blanc. Cela permettra de se débarrasser de la crainte de l'échec, et donner plus de liberté au moment de prendre des décisions.
  • Il faut redéfinir ce qui est normal et ce qui ne l'est pas, ce qui est sain ou qui fait du mal...Il est préférable de ne pas encourager une relation « spéciale », ce qui réduit le transfert et permet à l'individu de se redéfinir à part entière, sans continuer à dépendre du regard des autres. Il est possible d'instaurer la confiance et l'amour sans pour autant créer de la dépendance, mais plutôt un espace partagé.
  • Enfin, il est conseillé d'éviter le contact physique sans en avoir demandé la permission préalablement. Ceci permettra de travailler davantage sur le problème des limites.
  • Il faut donner le CHOIX à l'autre, en lui montrant que se tromper n'entraînera pas la fin de la relation.
Conclusion

Cet ouvrage apporte, à notre avis, des éléments importants en ce qui concerne la guérison de soi, la réévaluation de son passé et de qui on est vraiment. C'est en passant par cette étape que l'on réussit enfin à avoir une vie plus épanouie, où le regard que l'on porte sur soi peut devenir plus réaliste, et celui des autres peut prendre sa propre place, sans nous conditionner. Cet enfant que nous avons été a besoin de grandir émotionnellement, de se comprendre, et de se donner ce qui lui a manqué. C'est seulement ainsi que nous réussirons à devenir de vrais adultes, et à faire des choix qui nous mèneront, nous et les autres, vers une vie plus heureuse.

Nous recommandons vivement de lire la totalité de cet ouvrage (si vous lisez l'anglais, étant donné que malheureusement il n'est pas disponible en français), car il contient, en plus de la théorie, certaines études de cas qui peuvent permettre à chaque lecteur de mieux comprendre sa propre situation.