La plupart des observateurs de la campagne lancée unilatéralement le 10 septembre par Obama contre État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Isis) ont noté que, ouvertement ou plus discrètement, cette campagne reposait aussi sur la volonté de renverser Bashar al Assad [1]. Le mot d'ordre, même s'il n'est pas officiellement annoncé, est « Isis d'abord, Bashar ensuite » [2]. D'où l'intention de bombarder des bases de l'EIIL en Syrie, c'est-à-dire pratiquement de s'en prendre aux positions de l'armée de Bashar al Assad.

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Tartous en Syrie, lieu de l'unique base navale russe en Méditerranée
Pour justifier ces attaques aux yeux de l'opinion occidentale, Obama a depuis longtemps affirmé que la chute de Bashar s'imposait, en juste punition des crimes perpétrés par lui contre son opposition, que les crimes en question soient vrais ou non. Son plan de 2013 reposant sur une attaque chimique sous faux drapeau s'étant terminé en eau de boudin après l'intervention opportune de Poutine, Obama retente le coup en 2014, cette fois à l'occasion de la campagne déclenchée contre l'EIIL.

Cela pose une nouvelle fois la question de savoir pourquoi Obama, et certains des Faucons qui le conseillent, veulent tant la mort de Bashar, contrairement d'ailleurs à ce que déconseillent certains membres plus éclairés des services de renseignements américains ou du Pentagone. On évoque généralement des intérêts économiques : avoir à Damas des interlocuteurs favorables aux stratégies pétrolières américaines, ou à celles de ses alliés du Golfe. Mais le risque serait grand : mettre en place des représentants des islamistes. L'Armée syrienne libre, à laquelle le Congrès américain vient de voter l'attribution de crédits, est moins que fiable. Pour nous, la raison de l'hostilité américaine est politique. La chute de Bashar serait pour l'Amérique un premier pas vers la chute de Poutine, laquelle demeure, comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois, l'objet ultime de l'Amérique et du Système qu'elle incarne. Le risque d'un axe chiite et ami de la Russie, associant l'Iran, la Syrie, le Hezbollah, disparaitrait, par ailleurs, à la grande satisfaction d'Israël, allié des États-Unis. Ce serait aussi un coup porté aux alliés objectifs de Poutine au Moyen-Orient : l'Iran et la Chine, tout cela indirectement, sans avoir à affronter le veto du Conseil de sécurité de l'Onu.

Les appuis de Bashar al Assad

Ces appuis proviennent principalement d'États que l'Amérique considère, ouvertement ou implicitement, comme ses ennemis.

1/ La Russie bénéficie de la base navale de Tartous (ou Tartus), concédée par la Syrie depuis 1971. Cette base présente un intérêt considérable pour la Russie, qui n'a pas pas d'autre implantation en Méditerranée (voir la carte plus haut), à l'instar de la base de Sébastopol en mer Noire, un des enjeux de la crise ukrainienne, que les Américains n'ont pu conquérir au printemps. On imagine l'émotion que cela susciterait à Washington si la Russie décidait d'installer à Tartous l'un des deux porte-hélicoptères Mistral qu'elle vient d'acheter à la France (dans l'hypothèse où la France les lui livre...).

La Russie tire aussi profit des achats d'armes syriens, qui ont atteint à ce jour un montant d'environ 5 milliards de dollars, avec la perspective de nouveaux contrats. Il n'y a pas de petits profits en période de sanctions.

En s'alliant avec la Syrie alaouite, la Russie montre également que, dans la lutte qu'elle mène de son côté contre les terroristes islamiques, elle a des alliés chez les pays arabes et parmi les chrétiens d'Orient. Plus généralement, elle sait gré à Bashar al Assad de représenter à ce jour un élément de stabilité dans un Moyen-Orient en pleine dissolution. la Russie mesure aussi à quel point la chute d'Assad ouvrirait un boulevard de plus aux milices sanguinaires de l'EIIL, ainsi qu'aux commerces d'otages, d'armes et de drogues, dont elle serait une des premières victimes. Elle ne veut à aucun prix suivre l'Amérique dans une voie, dont elle a pu constater les conséquences désastreuses, en Irak, en Afghanistan et en Libye.

2/ La Chine soutient Assad pour globalement les mêmes raisons. Elle est opposée aux changements de régime provoqués par des interventions militaires des États-Unis et de ses alliés européens.

3/ L'Iran, principalement chiite, qui est perse et ne se considère pas comme arabe, a peu d'alliés dans le monde arabe. Le plus important est la Syrie, qui lui avait apporté son appui dans sa lutte contre Saddam Hussein. Son alliance avec Bashar al Assad, aujourd'hui encore, lui fournit une ouverture sur la Méditerranée et lui permet d'apporter une aide aux éléments chiites du Sud-Liban.

Autant de raisons pour que l'Amérique veuille abattre Bashar al Assad

Nuire à la Russie, à la Chine et même, malgré un réchauffement récent, à l'Iran (qui reste détesté d'Israël, allié de l'Amérique), constituent autant de raisons pour que, à l'occasion d'une guerre contre l'EIIL, sans prendre la peine de demander l'accord au Conseil de sécurité de l'Onu, Obama saisisse la première opportunité (bien)venue pour provoquer la chute de Bashar al Assad. Le président syrien le sait bien. Il dispose encore d'assez de forces pour ne pas faciliter la tâche des Américains et de leurs alliés éventuels, les Saoudiens ou les Jordaniens. Un moment, il avait espéré que, promettant une aide à la coalition occidentale en lutte contre l'EIIL, il aurait désarmé leur hostilité à son égard. Mais le refus radical des Américains lui a ouvert les yeux.

Cela dit, l'Europe, et plus particulièrement la France, n'auraient aucune raison de soutenir Obama dans sa volonté de détruire la Syrie de Bashar al Assad. Au contraire, les raisons résumées ci-dessus, justifiant le soutien de la Russie et de la Chine devraient être aussi les leurs, sans mentionner le refuge que trouvent en Syrie les Chrétiens d'Orient, dont la France à juste titre se préoccupe. Mais la question de la Syrie n'a pratiquement pas été abordée lors de la conférence internationale tenue à Paris le 15 septembre 2014 [3]. Si François Hollande avait manifesté un tant soit peu d'indépendance vis-à-vis du secrétaire d'État John Kerry, représentant d'Obama à cette conférence, il aurait dû clairement signifier aux autres représentants que la France s'opposerait à toute action offensive contre Bashar al Assad à l'occasion de la lutte entreprise contre l'EIIL.

Il serait encore temps de le faire. Mais cela serait beaucoup demander à François Hollande, qui, on s'en souvient,, avait été le premier des Européens à vouloir bombarder Damas, si Obama avait persisté dans son intention première... et si la Russie n'était pas intervenue.

Notes :

[1] Obama s'en va-t'en guerre au Moyen-Orient (vineyardsaker, français, 11-09-2014)

[2] It's « Third Force » Time in Syria (chinamatters.blogspot.com.br, anglais, 16-09-2014)

[3] La guerre contre les égorgeurs (europesolidaire.eu, français, 15-09-2014)