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© Nasa/JHUAPL/SWRILa plaine glacée de Pluton baptisée Spoutnik intrigue. On y voit des sillons séparer la surface de glace en zones de 20 à 40 km de large et abritant par endroits des amas de matières sombres
Après son survol de 24 heures le 14 juillet dernier, la sonde New Horizons file dans l'espace, s'éloignant de Pluton et Charon à 1,2 million de kilomètres par jour au sein de la ceinture de Kuiper. Mais elle continue à expédier une - toute petite - partie des données engrangées (1 % du total...). Parmi elles figurent les images compressées en JPeg (à des taux de compression variés) et on peut dire que chacune d'elles apporte son lot de surprises. Globalement, Pluton apparaît étonnamment active.

Vendredi nous arrivait l'extraordinaire vision d'une plaine glacée, baptisée Spoutnik (le nom du premier satellite artificiel de la Terre, lancé par l'Union soviétique en 1957), photographiée par le télescope du bord, Lorri, dans le désormais fameux « cœur » de Pluton. Extraordinairement jeune, puisqu'il n'y a pas de cratères visibles, cette surface est l'une des plus jeunes du Système solaire (Terre mise à part) et ne peut avoir plus de cent millions d'années.

Le mystère de la plaine Spoutnik

Loin d'une couverture de glace uniforme, cette région est quadrillée de zones vaguement polygonales, de 20 à 40 km de large, séparées par des sortes de vallées, reliefs en creux au sein desquels apparaît de la matière sombre. Quelle explication à cette géographie jamais vue dans le Système solaire ? En attendant les données des autres instruments, les spécialistes de la mission ne peuvent qu'égrener des hypothèses devant les journalistes et les bloggeurs qui les interrogent. Vendredi, lors d'une conférence de presse, Alan Stern (responsable scientifique de la mission) en évoquait deux.

Ces formations pourraient avoir la même origine que le craquellement d'un sol de boue qui se dessèche. La glace passerait à l'état gazeux sous l'action des rayons du Soleil (mille fois moins lumineux que sur Terre), ce qui provoquerait une rétraction de celle qui reste. Une autre hypothèse, plus hardie, suppose des couches de glace de natures et de températures différentes qui subiraient des mouvements convectifs, comme il en existe au sein de la lave s'écoulant d'un volcan. Autant dire qu'on ne sait pas du tout de quoi il retourne...

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© Nasa/JHUAPL/SWRISur la blanche plaine Spoutnik, des formes noires sont flanquées de zones grises, toutes orientées dans le sens (Wind streaks?). Ce pourrait être des poussières emportées par le vent, ce qui permet d'en déduire la direction (Inferred wind direction)
L'alpinisme plutonien

Et puis il y a les montagnes de glaces ! Le survol du « cœur », baptisé région Tombaugh en l'honneur du découvreur de Pluton en 1930, a permis à Lorri de prendre un grand nombre d'images qui donnent une certaine idée du relief, et qui ont servi à réaliser la vidéo qui accompagne cet article. Et quel relief... Des montagnes de 3.500 m de hauteur.

C'est dans le registre de l'alpinisme que les responsables de la mission ont puisé pour baptiser ce massif, devenu Norgay Montes, en latin, du nom de Tensing Norgay, le Sherpa qui gravit le mont Everest avec Edmund Hillary le 29 mai 1953. Ces montagnes sont faites de glace d'eau, affirme l'équipe New Horizons. Dans cette région glacée, on ne trouve sur la surface que des glaces d'eau, de méthane et d'azote. Or, les deux dernières sont trop fragiles pour constituer des structures aussi grandes. C'est donc de l'eau.

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© Nasa/JHUAPL/SWRUn exemple des données sur lesquelles travailleront les planétologues dans les années à venir. L'instrument Leisa, un spectromètre infrarouge, a analysé le sol de Pluton dans trois longueurs d'onde correspondant au méthane, l'une étant moyennement absorbée par la glace de ce composé (représenté par la couleur bleue), la deuxième n'étant pas absorbée (en vert) et la troisième fortement absorbée (en rouge). De quoi reconstituer la texture de cette couverture glaciaire
Ces images sont dues au télescope Lorri seul quand elles sont en noir et blanc et en composite avec celles du spectromètre Ralph/MVIC quand elles sont en couleurs. Les autres instruments de New Horizons, aux résultats moins visuels, ont fonctionné eux aussi et quelques-unes de leurs données ont été transférées vers la Terre. Résultat : encore des surprises ! La sonde a étudié le vent solaire grâce à Swap (Solar Wind at Pluto) là où il frappe l'atmosphère de Pluton (dont la pression au sol se mesure en microbars, soit, grosso modo, un million de fois moins que sur Terre et un millier de fois moins que Mars).

Essentiellement formée d'azote, elle s'étend très loin au-dessus de la surface de la planète naine. Un autre instrument, Pepssi (Pluto Energetic Particle Spectrometer Science Investigation), a mesuré l'énergie des ions qui s'échappent de Pluton, ce qui permet aussi d'estimer le ralentissement du vent solaire auquel ils se heurtent.

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© Nasa/JHUAPL/SWRIPremier schéma de l'interaction entre le vent solaire (Solar wind) et l'atmosphère de Pluton. La rencontre des deux provoque une onde de choc (Schock) et le vent solaire est ralenti et dévié (Slowed and deflected solar wind). Ce vent est mesuré par l'instrument Swap. Les résultats montrent que l'atmosphère d'azote de Pluton s'échappe (Pluto's escaping nitrogen atmosphere)
L'atmosphère volage de Pluton

On savait en effet que les rayons UV du Soleil doivent ioniser les molécules d'azote et que nombre d'entre elles s'échappent alors dans l'espace. Le débit est peut-être de 75 kg par seconde avançait-on, soit 270 tonnes par heure. « 500 tonnes par heure ! », a annoncé Fran Bagenal, une spécialiste des atmosphères planétaires, avant de relativiser : « ce n'est qu'une estimation ! » Les interactions avec le vent solaire sont donc violentes et Pluton, surtout quand il est plus près du Soleil (ou moins loin...) sur son orbite elliptique (comme c'est encore le cas), perd son atmosphère. Un peu comme une comète... Deux autres instruments, Alice et Rex, ont étudié l'atmosphère elle-même. Mais les données sont encore dans les mémoires Flash de la sonde.

L'instrument Ralph comprend un deuxième spectromètre, Leisa (Linear Etalon Imaging Spectral Array), fonctionnant en infrarouge. Sa résolution est faible (environ 10 km par pixel au moment du survol) mais il peut analyser la composition des glaces et mesurer les températures dans chacun de ses pixels. Les données qu'il vient d'envoyer, obtenues dans trois étroites bandes de longueurs d'onde, permettent de dresser une cartographie des différentes formes de glace de méthane de Pluton. Un peu comme les images de la banquise prises par le radar d'un satellite renseignent sur la texture de la surface (glace jeune, lisse, fracturée, etc.), ces données permettront une analyse fine du sol survolé. Du grain à moudre pour les plutonologues...

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© Nasa/JHUAPL/SWRICharon vue de loin et de plus près lors du survol du 14 juillet. On remarque tout de suite le chapeau sombre (un sombrero ?), situé au pôle nord et sans doute composé de matière organique, mais laquelle ? En insert, la partie survolée, avec des cratères, peu nombreux. En haut à droite, on remarque un profond sillon. Il mesure mille kilomètres de longueur et on en ignore la nature. D'autres structures sont visibles en surface. Reste à savoir comment s'est formé ce relief
Maintenant, place au téléchargement des données

Tout cela concerne Pluton. Mais il y a aussi Charon. Ce petit corps glacé de 1.200 km de diamètre a surpris lui aussi. Le faible nombre de cratères implique une surface jeune. On y voit un gigantesque canyon qui la balafre sur un millier de kilomètres, avec une profondeur estimée de 7 à 9 km. Le pôle nord se couvre d'une matière noire de nature inconnue, probablement organique, donc des hydrocarbures ou des tholines (composés azotés).

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© Nasa/JHUAPL/SWRILa dernière vue du couple Pluton-Charon, en deux images prises lors de l'approche
Aurons-nous des images encore plus étonnantes dans les jours à venir ? Non ! New Horizons a fini d'expédier le premier lot de données acquises durant le survol, le paquet First look puisqu'il a été baptisé ainsi. La Nasa pourra continuer à diffuser des informations et des résultats sur ce qui a été reçu mais la sonde sera mise ce soir en rotation autour de son antenne pour la stabiliser et augmenter ainsi la précision du pointage. Le débit passera de 1 kilobit/s à un peu moins de 2 kilobits/s (d'après Emily Lakdawalla). Et la sonde passera alors en mode téléchargement intensif jusqu'à mi-septembre. D'ici là, c'est le moment de partir en vacances.