Jeune Brésilienne de 36 ans, Luciana Almeida a patienté cinq ans avant de tomber enceinte de manière naturelle. La trentenaire, physiothérapeute à Sao Paulo, attend maintenant des jumeaux, anxieuse, une bombe antimoustique toujours à portée de main.

L'angoisse de Luciana est liée à un insecte long de 5 millimètres, le moustique Aedes aegypti. Le Brésil est en état d'urgence sanitaire depuis le mois de décembre 2015, victime d'une épidémie étrange et monstrueuse provoquée par ce moustique. Sa piqûre, déjà responsable de la dengue et de la maladie tropicale du chikungunya, peut transmettre aux femmes enceintes le virus Zika (ou de Zika), provoquant une malformation fœtale, la microcéphalie.

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« D’ici quatre à cinq ans, le Brésil pourrait subir 100 000 cas de microcéphalie », estime Artur Timerman, le président de la Société brésilienne de la dengue.
Les nourrissons naissent avec un périmètre crânien inférieur à 33 centimètres et un retard mental irréversible, lorsqu'ils parviennent à survivre. Plus rarement, le virus peut provoquer chez l'adulte le syndrome de Guillain Barré, une maladie neurologique occasionnant dans quelques cas des paralysies.

L'épidémie touche Sao Paulo

De l'ordre de 150 par an, entre 2010 et 2014, les cas suspects de microcéphalie atteignent désormais 3 174 dans le pays, selon le bulletin du ministère de la santé dévoilé mardi 5 janvier. La plupart sont localisés dans les États du Nord-Est, en particulier celui du Pernambouc (1 185 cas), mais l'épidémie se propage et touche maintenant 684 villes dans 21 États. La psychose gagne les femmes enceintes : la maladie se manifeste parfois par une légère fièvre, des douleurs articulaires et des taches rouges sur la peau, mais peut ne s'accompagner d'aucun symptôme. La période la plus critique est celle du premier trimestre de grossesse, mais rien ne permet d'affirmer que le danger soit écarté les mois suivants.

Enfin, la malformation, détectable à environ six mois de grossesse, laisse les familles démunies. Il n'y a aucune échappatoire au Brésil, où l'avortement est considéré comme un crime, sauf en cas de viol ou de menace pour la vie de la mère.

Pour éviter le drame, Luciana Almeida a suivi les recommandations du gouvernement, évitant de passer ses vacances de fin d'année sur les plages du Nordeste. Mais cette précaution ne sera bientôt plus suffisante. Un premier cas a été détecté en Amazonie, l'État de Rio de Janeiro - où se dérouleront les Jeux olympiques en août - en a recensé 118 et les experts prédisent l'arrivée imminente de l'épidémie dans la mégalopole de Sao Paulo (6 cas détectés à ce jour). Considérée comme le « paradis des moustiques » en cette période de saison des pluies, la ville et sa métropole, ravagée par la dengue, compte plus de 20 millions d'habitants dont une grande partie réside dans des taudis.

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Aedes aegypti: élégant et minuscule mais dangereux.
A Sao Paulo, une course contre la montre est lancée. La cité de béton a accueilli mardi quatre chercheurs de l'institut Pasteur de Dakar. Deux autres experts sont attendus d'ici à la fin de la semaine. Paolo Zanotto, bactériologiste de la prestigieuse université de Sao Paulo (USP), nourrit beaucoup d'espoir dans ce soutien. « On manque de certitudes. Nous avons besoin d'aide pour mettre sur pied un système de détection du virus. Aujourd'hui, on ne connaît pas encore la taille réelle du problème », décrit le professeur. « C'est un désastre. »
La maladie, découverte en Ouganda dans la forêt de Zika en 1947, ne s'est d'abord attaquée qu'aux singes avant de frapper les humains en Afrique et en Asie. En 2007, une épidémie est recensée en Micronésie et, en 2013, en Polynésie française. En juin 2015, le Brésil est frappé à son tour, probablement contaminé par des spectateurs présents lors de la coupe du monde de football de 2014. Il faudra ensuite cinq mois au géant d'Amérique latine pour établir un lien entre le virus et l'explosion des cas de microcéphalie.


« La situation est dramatique »


Depuis décembre, le gouvernement brésilien est en vigilance maximale. « Nous sommes face à l'inconnu. Le ministère de la santé joue un rôle de sentinelle pour collecter, enquêter, recenser tous les cas et faire avancer la recherche », explique Antonio Nardi, secrétaire à la surveillance de la santé au ministère brésilien de la santé, qui n'envisage pas, pour le moment, une remise en question des Jeux olympiques de Rio en août, période moins propice aux moustiques. Le gouvernement se mobilise pour accompagner les patients, diffuser et recueillir les informations, faire avancer les recherches avec l'aide internationale et tuer les larves de moustiques, promettant de ne pas regarder à la dépense.

Mais la grave crise économique, politique et budgétaire que traverse le pays complique la guerre contre l'Aedes aegypti. « C'est effrayant. La situation est dramatique. D'ici quatre à cinq ans, le Brésil pourrait devoir gérer 100 000 cas de microcéphalie. Il faudra des structures pour ces enfants. Imaginez, le traumatisme sur la société et le coût inimaginable pour le système de santé déjà en sous-investissements », s'alarme Artur Timerman, le président de la Société brésilienne de la dengue et des arboviroses (virus transmis par les insectes tels que les moustiques), qui, pour lutter contre le fléau, préconise aux femmes de reporter leur projet de grossesse.


Commentaire : Les autorités dépensent des sommes folles pour les Jeux Olympiques mais ne trouvent pas assez d'argent pour régler les problèmes de santé de la population. Encore une fois et comme partout ailleurs, les chefs d'état nous prouvent qu'ils restent indifférents à la souffrance humaine. En situation de crise, ils appliquent la politique de l'autruche pour ne pas avoir à affronter la réalité. Une absence de bon sens et d'intelligence pour des gens qui sont sensé diriger un pays...


« La majeure partie des Brésiliens vit dans des grandes agglomérations », explique M. Timerman, décrivant des villes où l'eau de pluie stagne dans des bassins baignés de chaleur, et où la collecte des déchets laisse à désirer. « Utiliser des produits anti-moustiques ne suffira pas », insiste-t-il, redoutant une accélération de l'épidémie au cours de l'été tropical. Avant, peut-être, de découvrir d'ici quelques années un vaccin comme il en existe désormais contre la dengue.

Le Brésil et ses quelque 200 millions d'habitants n'est pas la seule cible de cette tragédie. La Colombie, le Guatemala, la Guyane française, Porto Rico, le Honduras... au total une douzaine de pays ou territoires sont touchés depuis 2015. « Tous les pays qui ont souffert d'épidémie de dengue ont eu, ou auront une épidémie de Zika », prévient Sylvain Aldighieri, de l'Organisation panaméricaine de la santé. Et d'ajouter :
« Préoccupé ? Oui, je le suis. Le virus est transmissible pendant cinq jours et on peut désormais faire 20 000 kilomètres en moins de vingt-quatre heures. »